Société

Les écrivains ou la lecture fortuite d’un roman qu’on a bien fait d’oublier

Médecin généraliste, écrivain

Pourquoi au moment de basculer le contenu de ce carton dans la benne, Christian Lehmann a-t-il sauvé ce Livre de Poche, Les Écrivains de Michel de Saint-Pierre ? Un auteur dont il ne savait rien mais dont le nom lui disait vaguement quelque chose. Quelques pages lui suffirent pour constater combien ce roman d’un autre temps foire lamentablement au test de Bechdel, qui analyse la représentation des femmes dans la fiction…

Pourquoi ai-je sauvé ce livre et pas un autre ?

Si vous avez un jour perdu un aïeul, vous vous êtes aussi trouvé confronté aux mêmes étagères sur lesquelles le temps s’est arrêté. Maurice Dekobra, Frank Slaughter (chez Presses Pocket), Guy Des Cars, Gilbert Cesbron (chez J’ai Lu ), et Maurice Druon, Jean Dutourd : Au bon beurre, avec une illustration de couverture de Dubout, Pierre Benoît, André Gide : La Symphonie pastorale ( au Livre de Poche)… Ces livres qui aujourd’hui finissent leur course chez les bouquinistes, ou plus souvent dans un sac-poubelle, quand ils ne sont pas sauvés de l’anéantissement par des collectionneurs, à la recherche des couvertures kitsch des romances de guerre d’alors, ou des illustrations au fusain, faux Bernard Buffet ornant les romans de Mauriac.

Si vous avez perdu un grand-père, une grand-tante, si vous avez dû faire un dernier tour du propriétaire dans ces appartements pétrifiés, ces meublés immobilisés dans le passé, pour y sauvegarder quelques reliques, et pour peu que vous aimiez les livres, vous avez dû, vous aussi, hésiter de longues minutes devant ces rayonnages, témoins muets de la précarité des modes littéraires, et derniers vestiges d’un esprit disparu.

Car les livres qu’a lu un homme ou une femme, il ne les a pas seulement parcouru, il les a fait siens, il a été marqué par eux, il reste quelque chose de lui ou d’elle qui se lit, pour celui qui sait voir, jusque dans l’agencement et la juxtaposition de ces quelques San Antonio illustrés par Dubout : Le Standinge selon Bérurier, L’Histoire de France… (ces deux-là tant lus et relus que la tranche s’effrite et que des pages s’en échappent par paquets d’une cinquantaine…) au milieu des œuvres complètes de Mauriac ou de Zola.

Ce qui frappe, c’est la place des femmes au sein du roman, et de la société, ce monde d’avant où « la liberté d’importuner » était « indispensable à la liberté sexuelle. »

Laisser ces livres sur l’étagère, à la merci de l’entreprise de nettoiement, c’est les


Christian Lehmann

Médecin généraliste, écrivain