Histoire

L’inventaire des possibles : le cas du management nazi

Historien

Les critiques adressées au nouvel ouvrage de Johann Chapoutot – Libres d’obéir. Le management, du nazisme à aujourd’hui – frappent par leur faiblesse, fait d’autant plus regrettable qu’elles évacuent du débat ce qui faisait la promesse du livre. Ce que manquent ces lectures simplistes, c’est que le livre porte moins sur le nazisme que sur le concept de modernité, au sein duquel le management nazi peut figurer comme possible, sans pour autant en être l’élément originel.

Il est parfois bien difficile d’anticiper les effets de lecture créés par les livres qu’on écrit. L’essai de Johann Chapoutot, intitulé Libres d’obéir. Le management du nazisme à aujourd’hui en est un exemple remarquable qui pourrait malheureusement conduire à oblitérer un débat qui me paraissait être la promesse du livre.

Cet ouvrage tente de montrer que le nazisme produisit, notamment au sein de la SS et de son Service de Renseignement, un ensemble de techniques et de discours qui formèrent une manière originale de gouverner les hommes au travail durant le Troisième Reich. S’originant dans l’Auftragstaktik prussienne revitalisée durant la Grande Guerre par la grande réforme de l’entraînement d’infanterie, cette forme de management spécifique — et spécifiquement nazie — s’incarna dans un homme, Reinhard Höhn, qui constitue un observatoire passionnant que décrit Johann Chapoutot.

Il replace ainsi Reinhard Höhn à la pointe d’un certain nombre de débats cruciaux au sein des instances nazies, débats touchant les uns à la pratique de l’État, les seconds aux structures du droit, les troisièmes à l’organisation de l’administration impériale. Höhn se trouvait ainsi tout à la fois au cœur de la pensée nazie, mais en marge de ses pratiques les plus criminelles : parti du SD en 1937, il n’est pas impliqué dans les politiques meurtrières du régime et les juges de Nuremberg comme de la RFA des années 1950-1960 n’ont aucune matière pour l’incriminer.

Ce que montre Johann Chapoutot, dans son essai, c’est que les pratiques que promut Reinhard Höhn au sein de la SS et du SD connurent une postérité après-guerre, car l’ancien Professeur Ordinaire de l’Institut pour la Recherche sur l’État de l’Université de Berlin fonda, à Bad-Harzburg, après-guerre et après un court purgatoire, une école de commerce et de management qui fournit le gros des cadres du miracle économique allemand. Il montre alors que les formes de gouvernance du travail qui se développent dans les cursus et les enseig


[1] Nous n’indiquons pas les références d’une part parce qu’il s’agit de courtes interventions polémiques ne faisant pas office de travaux référencés, et en second lieu car il nous semble très simple de les retrouver pour qui le désirerait.

[2] Johann Chapoutot, Libres d’obéir. Le management, du nazisme à aujourd’hui, Editions Gallimard, 2020, 113 p., p. 19.

[3] Le concept est expliqué très simplement et sans équations in John Von Neumann, Mathematical Foundations of Quantum Mechanics, Princeton University Press, 1955, introduction, p.5 sq.

[4] Les lecteurs germanophones trouveront un aperçu général in Riccardo Bavaj, Die Ambivalenz der Moderne im Nationalsozialismus: eine Bilanz der Forschung, Oldenbourg Verlag, 2003, 290 p.

[5] La Mètis est l’intelligence pratique, celle des mains et du faire… Cf. M. Detienne et JP. Vernant, Les ruses de l’intelligence. La Mètis des Grecs, Flammarion, 1974, 332 p.

[6] Götz Aly, Suzan Heim, Vordenker der Vernichtung. Auschwitz und die deutschen Pläne für eine neue europäiche Ordnung, Francfort, Fischer, 1991, 539 p. ; en français : Götz Aly et Susanne Heim, Les architectes de l’extermination: Auschwitz et la logique de l’anéantissement, le grand livre du mois, 2006, 429 p.

[7] Michael T. Allen, Engineers and modern managers in the SS : The Business Administration Main Office (SS Wirtschafts- Verwaltungshauptamt), Pennsylvania University, Phd, 1995, 596 p.

[8] Jan Erik Schulte, Zwangsarbeit und Vernichtung. Das Wirtschaftsimperium der SS. Oswald Pohl und as SS-Wirtschafts-Verwaltungshauptamt, Paderborn, Schöningh, 2001, 550 p.

Christian Ingrao

Historien, Directeur de recherche au CNRS

Notes

[1] Nous n’indiquons pas les références d’une part parce qu’il s’agit de courtes interventions polémiques ne faisant pas office de travaux référencés, et en second lieu car il nous semble très simple de les retrouver pour qui le désirerait.

[2] Johann Chapoutot, Libres d’obéir. Le management, du nazisme à aujourd’hui, Editions Gallimard, 2020, 113 p., p. 19.

[3] Le concept est expliqué très simplement et sans équations in John Von Neumann, Mathematical Foundations of Quantum Mechanics, Princeton University Press, 1955, introduction, p.5 sq.

[4] Les lecteurs germanophones trouveront un aperçu général in Riccardo Bavaj, Die Ambivalenz der Moderne im Nationalsozialismus: eine Bilanz der Forschung, Oldenbourg Verlag, 2003, 290 p.

[5] La Mètis est l’intelligence pratique, celle des mains et du faire… Cf. M. Detienne et JP. Vernant, Les ruses de l’intelligence. La Mètis des Grecs, Flammarion, 1974, 332 p.

[6] Götz Aly, Suzan Heim, Vordenker der Vernichtung. Auschwitz und die deutschen Pläne für eine neue europäiche Ordnung, Francfort, Fischer, 1991, 539 p. ; en français : Götz Aly et Susanne Heim, Les architectes de l’extermination: Auschwitz et la logique de l’anéantissement, le grand livre du mois, 2006, 429 p.

[7] Michael T. Allen, Engineers and modern managers in the SS : The Business Administration Main Office (SS Wirtschafts- Verwaltungshauptamt), Pennsylvania University, Phd, 1995, 596 p.

[8] Jan Erik Schulte, Zwangsarbeit und Vernichtung. Das Wirtschaftsimperium der SS. Oswald Pohl und as SS-Wirtschafts-Verwaltungshauptamt, Paderborn, Schöningh, 2001, 550 p.