Et demain… les Verts à l’Elysée ? Conditions pour une victoire
Une vague Verte est annoncée aux municipales. Si l’on en croit les sondages, les candidats écologistes seraient présents au second tour, parfois même en tête, à Montpellier, Bordeaux, Besançon, Lyon, Nantes, Toulouse… Partout ou presque, la même stratégie paye : s’allier avec la gauche au premier tour, voire en prendre la tête, pour profiter de la dispersion des voix à droite.
Sans vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué, cela augure bien de la présidentielle qui présentera une configuration similaire. Quoi qu’on pense des mérites ou des manquements d’Emmanuel Macron, celui-ci a en effet considérablement réduit ses chances de se voir réélire en faisant le choix de gouverner très à droite. Sauf coup de génie politique d’ici 2022, ou crise mondiale majeure qui le poserait en « père de la nation », il s’oblige à ne pouvoir compter que sur une réserve de voix très limitée au premier tour et, comme il y a aura très certainement un autre candidat de droite face à lui en 2022, celle-ci sera encore plus réduite.
Bref, la possibilité de son élimination dès le premier tour n’est plus à exclure, et sans doute cela explique-t-il sa radicalisation récente. Des appels du pied au lecteurs de Valeurs Actuelles aux provocations des manifestants, en passant par la légion « bras d’honneur » au président de BlackRock France, tout se passe comme s’il s’agissait d’empêcher l’émergence d’un candidat à sa droite dans une primaire avec LR très « ancien monde » qui ne dit pas son nom.
On peut craindre que le front Républicain se fracasse, pour la première fois, sur un front anti-écologiste.
Alors que tout le monde commence déjà à se préparer à cette éventualité – Ségolène Royal en tête, mais pas seulement – il faut cependant d’ores et déjà signaler que le plus dur resterait à faire dans le cas où un·e Vert·e arrivait bel et bien au second tour de la présidentielle. Aux municipales, les Verts victorieux du premier tour seront opposés au second à un candidat de droite traditionnelle ou à un candidat République en Marche, ou aux deux, dans une triangulaire, voire dans une quadrangulaire avec le Rassemblement National. Ils n’auront rien d’autre à faire qu’à rester bien à gauche.
Ce ne sera pas le cas en 2022. Là, ils rencontreraient au second tour Marine Le Pen – très vraisemblablement – en duel. Or si les Verts étaient assurés de faire le plein des voix de gauche à cette occasion, il n’est pas certain qu’ils bénéficieraient, eux, de l’effet repoussoir du Rassemblement National. Sans doute Macron appellerait-il à voter écologiste en cas de défaite. Mais ses troupes le suivraient-elles ? Et les électeurs LR, voteraient-ils écolo ? On peut craindre que non et que le front Républicain se fracasse, pour la première fois, sur un front anti-écologiste.
La venue de Greta Thunberg en France l’année dernière a donné un avant-goût de la campagne qui serait orchestrée contre un·e candidat·e écologiste présent·e au second tour de la présidentielle, avec des éditorialistes brandissant la menace du « totalitarisme vert » et de la « dictature bobo » à longueur de plateau de BFM TV, de studios de RTL et de colonnes du Point. À les en croire, un écologiste au pouvoir ce serait la confiscation des 4×4 et l’interdiction de la voiture, autant dire la stigmatisation de cette France-périphérique-qui-dépend-de-la-voiture qui est d’autant plus chère aux journalistes qu’ils n’y mettent jamais les pieds.
Un président vert, ce serait l’obligation de manger du quinoa et des graines germées à tous les repas, c’est-à-dire la fin de la filière viande, voire la féminisation des mâles carnivores par ingestion massive d’œstrogènes (cette intox complètement farfelue circule déjà sur internet). Paradoxe ultime, mais qui ne leur fait pas peur, l’écologie au pouvoir ce serait la mort de nos chers paysans, la fin de la France rurale et bucolique qu’on aime tant, par la faute du bannissement des pesticides, des engrais chimiques et des antibiotiques pour animaux qui constituent leurs outils de travail, alors que les mêmes produits chimiques ont transformé chaque bout de ladite campagne française en autant de petits sites Seveso à ciel ouvert et que chaque agriculteur ressemble désormais à un mineur de Germinal, les poumons ravagés par la silicose.
Campagne ridicule, certes. Mais il ne faut pas sous-estimer les effets d’une petite musique suffisamment répétée. À bien des égards, c’est la même que l’on jouait déjà en 1981 – parfois par les mêmes personnes ! – en prévenant nos bons compatriotes que l’accession d’un candidat socialiste à l’Elysée verrait les chars soviétiques déferler sur les Champs-Elysées, les banques faire faillite, et même les Livrets A être confisqués. Elle a failli coûter la victoire à François Mitterrand qui ne s’en est défait de justesse (un million de voix le sépare de Giscard) qu’en réussissant à élargir son électorat vers la droite au second tour, et ce de manière d’autant plus convaincante qu’au fond, de gauche, il ne l’avait jamais été.
L’écologie ferait le mauvais choix en préférant arracher des bouts d’électorat à la droite conservatrice, voire à l’extrême droite, plutôt qu’aux libéraux.
Si au second tour des municipales, les candidats écologistes peuvent se contenter de camper sur leurs positions à gauche, à la présidentielle le ou la candidat·e des Verts ne coupera pas à la nécessité de faire comme Mitterrand, et donc d’élargir leur électorat à la droite. Mais ce n’est pas tout : il lui faudra choisir à quelle droite l’élargir, car il y en aura au moins deux, en partie incompatibles.
L’écologie pourra choisir de parler à la droite conservatrice, en vantant le retour à la nature, les circuits courts, la relocalisation de la production industrielle en terre nationale, la dénonciation des traités internationaux, même l’Europe – bref, elle pourra tendre la main aux conservateurs, voire aux réactionnaires. Ou bien elle pourra essayer de parler aux libéraux (donc aux macronistes), et pour ça, il lui faudra prouver que, loin d’être le grand croquemitaine décrit par ses ennemis, elle n’est pas punitive, elle est compatible avec la mondialisation, l’emploi, et même l’abondance.
Spontanément, c’est sans doute vers la première option qu’elle voudra se tourner, plus proche de ses valeurs. « Il faut en finir avec la société de consommation », « il faut arrêter avec le gâchis » : ces mots d’ordre ont leur force, qui tient à leur évidence, et ils participent incontestablement de l’attrait pour l’écologie. Greta Thunberg, quand elle choisit de prendre un voilier plutôt qu’un avion pour aller en Amérique en sait quelque chose, comme les collapsologistes et les fans énamourés de Pierre Rabhi et de sa « sobriété heureuse ».
En revanche, le libéralisme est moins dans la culture écologiste. Il existe même un courant très fort chez les Verts qui tient que l’écologie ne peut exister qu’à la condition de rompre avec toute promesse d’abondance, qu’elle soit libérale ou même socialiste (car le socialisme est toujours allé de pair avec une promesse de prospérité et de « lendemains qui chantent »), au nom des « limites de la croissance » et de la lutte contre un productivisme qui serait le point aveugle où marxisme et capitalisme se retrouvent. Pourtant, elle ferait le mauvais choix en préférant arracher des bouts d’électorat à la droite conservatrice, voire à l’extrême droite, plutôt qu’aux libéraux.
La raison à cela tient au fait que l’extrême droite n’arrivera pas sans doctrine écologiste aux élections et ce sera la doctrine frugaliste, qui est alignée sur ses positions xénophobes, souverainistes et chrétiennes (car la frugalité évoque la continence et la mortification, la critique morale du consumérisme). Elle est d’ailleurs d’ores et déjà en train de la rôder sous le nom « d’écologie intégrale ».
Autrement dit, le RN pourra clamer qu’il est plus écologiste que les écologistes si le débat porte sur ces questions, et cela d’autant plus facilement qu’il aura pour lui une certaine forme de cohérence : si on est contre la mondialisation et la libre circulation des marchandises, on ne voit pas en effet comment on pourrait être contre la fermeture des frontières et la production en « terre nationale ».
Également, non seulement les électeurs LR préfèreront-ils voter pour le parti identitaire avec un supplément d’âme écologiste plutôt que pour le parti écologiste avec un programme économique et social inconsistant, mais surtout les électeurs LREM, de leur côté, s’abstiendront probablement devant l’anti-libéralisme des uns et des autres. Et cette abstention fera perdre les Verts, puisqu’ils n’auront qu’une réserve de voix à gauche à opposer à une alliance des droites.
À l’inverse, le scénario d’une alliance avec les libéraux pourrait avoir une issue plus positive. Si les écologistes arrivaient à convaincre les électeurs LREM qu’ils sont plus proches de leurs valeurs, les reports de voix pourraient se faire. Certes, le RN ferait toujours le plein des voix à droite, mais un bloc Vert-socialiste-extrême gauche-libéral l’emporterait sur le fil. Bref, les Verts pourraient gagner en 2022, s’ils se font violence à eux-mêmes.
Mais ceci ne pourra pas se faire pendant l’entre-deux tours. Il faudra que le terrain ait été préparé. La victoire ne pourra être arrachée au RN que si les Verts mettent à profit, dès la fin des municipales, le temps qui nous sépare de l’élection présidentielle pour travailler au rapprochement des points de vue dans leur propre camp, où le risque est grand de voir, dans l’entre-deux tours, les Verts exploser en vol, voire des écologistes rallier le RN, comme on l’a vu en Autriche récemment avec l’alliance entre les Grünen et l’extrême droite.
Cette condition n’est pas sans rappeler un précédent historique qui a marqué l’histoire de la gauche : le congrès d’Epinay. La victoire de Mitterrand en 1981 n’est pas sortie d’un chapeau. Elle a été patiemment bâtie dix ans auparavant en faisant converger la SFIO et le PSU, dont les positions en matière de progrès économique et social n’étaient pas plus opposées que celles qui divisent les courants écologistes.
Un « congrès d’Epinay de l’écologie » serait à monter dans le même esprit pour trouver un accord commun entre les courants Verts (l’idée avait déjà circulé en 2007 avant d’être écartée par Dominique Voynet avec le résultat qu’on sait). D’autant que s’il y a divergence de vue, il est évident qu’il y a plus de choses qui rassemblent ces courants que de choses qui les divisent, à commencer par la conscience de l’urgence absolue de la situation et la nécessité impérieuse de s’unir pour y mettre fin. Mais il y a aussi le fait que les deux camps ne sont pas si éloignés qu’ils le pensent.
Abondance et liberté, le livre du philosophe Pierre Charbonnier, tout récemment publié aux éditions de la Découverte, le rappelle opportunément : s’il faut réussir à dissocier la liberté de la promesse de croissance infinie, ça ne veut pas dire pour autant que la liberté doive se penser en dehors de toute infrastructure matérielle, bien au contraire. Ce n’est qu’avec de telles infrastructures que le recours à croissance peut être remplacé.
Pour prendre un exemple bien connu que Charbonnier rappelle, l’issue au problème de « la bagnole » n’est pas le vélo, c’est une politique de la ville incluant la modernisation des transports en commun, des règles d’urbanisme qui ne favorisent pas le mitage, le développement des voitures électriques, etc. Or une ville comme Tokyo, où le métro est incroyablement développé, procure un sentiment de plus grande abondance qu’une ville comme Paris, qui est pourtant tout aussi prospère, mais où le délabrement des transports publics, dès la sortie de l’aéroport Roissy, donne une impression d’abandon. Autrement dit, l’abondance peut revêtir beaucoup de sens dont certains ne sont pas liés à la croissance, mais qui tous sont liés au social.
Dans le même ordre d’idées, il ne va pas être possible pour les Verts d’arriver à la présidentielle sans avoir fait évoluer leur discours sur la question des limites des ressources terrestres. Ces limites sont bien réelles mais les conclusions qu’ils en tirent en matière de déconsommation et de déproduction sont-elles aussi unilatérales que le Club de Rome ou les théoriciens de la bioéconomie qui les inspirent l’ont dit ?
L’écologie ne peut pas entretenir qu’un rapport de méfiance avec la science et la technologie (ou même la finance), ne serait-ce que parce qu’elle en est elle-même issue.
Un bioéconomiste proche de Michel Rocard, René Passet, ne le pensait pas. Il a montré que la bioéconomie partageait avec l’économie néoclassique une vision du monde entièrement réduite à l’énergie. Or l’information est au moins aussi importante que l’énergie, et, contrairement à l’énergie, l’information ne peut jamais venir à manquer. Ainsi, Passet rappelle dans L’Économique et le Vivant (Economica, 1996) que les Verts se sont déjà trompés une fois sur les limites de la croissance en prévoyant que les rendements de l’agriculture productiviste atteindraient leur pic dans les années 1960, alors que de nouvelles inventions allaient, au contraire, conduire à une situation de surproduction alimentaire dans les années 1980 (même si elle n’est pas sans poser d’autres problèmes).
Du reste, la croissance trouvera bel et bien sa limite, mais naturellement, avec le ralentissement de la croissance démographique. Après que la transition démographique se sera terminée en Afrique et en Asie, on se trouvera dans une situation mondiale à la japonaise, où le défi sera de gérer une population vieillissante.
Plus généralement, une grande séance d’explication collective serait l’occasion de rappeler que l’écologie ne peut pas entretenir qu’un rapport de méfiance avec science et la technologie (ou même la finance), ne serait-ce que parce qu’elle en est elle-même issue. L’écologie est née de la modélisation du climat rendue possible par les percées de la recherche en matière de thermodynamique, de théorie du chaos et d’informatique dans les années 1970.
Un des pionniers de la permaculture, David Holmgren, l’a bien compris, qui n’a pas conçu ce mode de culture comme un retour aux exploitations préindustrielles, mais comme une avancée par rapport aux agricultures industrielles. La permaculture, c’est plus de rendement à l’hectare, pas moins, grâce à une meilleure connaissance du cycle de vie des végétaux, et c’est plus de profit à l’hectare, pas moins, grâce à la suppression des intrants chimique et pétroliers coûteux ; le tout avec moins d’empreinte carbone. On est loin de la caricature de l’écolo-bobo qui n’a jamais mis les pieds dans une ferme.
Enfin, ne l’oublions pas non plus, le Green New Deal porté par le Sunrise Movement aux Etats-Unis, est bel et bien un New Deal, c’est-à-dire une relance économique par l’emprunt qui fait la promesse du plein-emploi. Il n’y est pas question de « green austerity », pour reprendre le mot de la journaliste Kate Aronoff. En France, Jean-François Caron, le maire EELV de Loos-en-Gohelle, dans le Pas-de-Calais a fait la preuve de l’efficacité d’une pratique écologiste très orientée sur l’emploi, en ouvrant par exemple dans sa ville une formation aux métiers d’avenir de l’écoconstruction, ou en articulant les investissements en rénovation thermique à des gains de pouvoir d’achat pour les ménages les plus pauvres. François Ruffin insiste également sur ce point de manière très convaincante dans son dernier livre.
Bref, rien ne s’oppose vraiment à ce qu’un·e candidat·e écologiste affirme le moment venu que la promesse de l’abondance puisse être tenue par l’écologie, fût-ce à préciser qu’il s’agira d’une nouvelle abondance, et d’une nouvelle idée de la prospérité, les deux fondées sur un nouveau modèle de développement, ce « nouveau modèle » dont les écologistes et les socialistes ne cessent de dire qu’il a à être inventé sans jamais en donner la recette, alors qu’il existe déjà : il se déduit des principes de cette science elle-même relativement nouvelle, la thermodynamique, qui nous enseigne les moyens de nouer une « Nouvelle Alliance » entre humains et non-humains, pour reprendre les mots de Prigogine et Stengers.
L’écologie politique ne devra pas avoir peur de dire qu’il est possible de nourrir sept milliards d’individus sur terre sans détruire les sols ou épuiser l’eau, car ça l’est. Elle ne devra pas avoir peur dire qu’on pourra prendre l’avion sans détruire l’atmosphère, car ce sera possible aussi à la condition d’inventer des manières efficaces de séquestrer le carbone. Elle ne devra pas avoir peur de dire que tout le parc automobile pourra être converti en électrique, et que tout l’électrique produit par le charbon, le gaz et le pétrole pourra être issu du solaire et de l’éolien en moins de dix ans, car il faudra que ce soit possible.
Georges Bataille écrivait jadis dans un traité de thermodynamique économique, justement, La Part Maudite (Paris, Minuit, 1949), que le socialisme « ne demande pas seulement le pouvoir du peuple, mais la richesse. Il n’est personne de sensé qui l’imaginerait fondé sur un monde où les baraquements succéderaient à la civilisation que symbolisent les noms de New York et de Londres. Cette civilisation est peut-être haïssable, elle semble quelquefois n’être qu’un mauvais rêve, elle engendre à coup sûr l’ennui et l’agacement propices au glissement vers une catastrophe. Mais nul ne peut s’arrêter sensément à ce qui n’a pour soi que l’attrait du non-sens ». Il doit en être même pour l’écologie.
NDLR : Mark Alizart vient de publier Le Coup d’Etat climatique dans la collection « Perspectives critiques » des Presses universitaires de France.