Santé

World War C – à propos du coronavirus

Médecin généraliste, écrivain

Chaque jour, la mise en relation par les médias des chiffres de contamination (sous-estimés) et de décès (fiables) liés au COVID-19 génère une anxiété majeure au sein de la société. Rappelons-le, parmi les mesures barrières les plus importantes : se laver les mains régulièrement bien sûr, éternuer dans son coude naturellement, mais aussi arrêter de se gaver de chaînes d’infos, et se méfier des marchands de peur, plus dangereux que le virus.

Nourri très jeune à la science-fiction apocalyptique, je me suis toujours intéressé aux épidémies. J’étais fasciné par ce que les romanciers nous dévoilaient de la fragilité du vernis de civilisation. Devenu médecin (et cette fascination n’a pas été étrangère à ce choix, j’avais très tôt voulu avoir un métier qui puisse être utile même et surtout en situation de crise), je me suis longtemps demandé ce qui arriverait si un virus à diffusion respiratoire se propageait dans le monde à la faveur de la mondialisation généralisée.

C’est une des raisons qui m’a amené à créer en 2007 le blog En attendant H5N1, un peu comme une inside joke au cœur des années Sarkozy. Nous avions déjà le choléra, j’attendais la peste. Et lorsque la grippe H1N1 a débarqué en 2009, j’ai suivi son développement avec quelques autres collègues internautes, ce qui nous a permis, en tâtonnant collectivement, de réaliser assez vite l’écart grandissant entre la bénignité relative de l’épidémie et le délire médiatique et politique qui l’entourait.

Les premiers articles de mai 2009 en provenance d’Amérique du Sud laissaient craindre une forte mortalité, que la suite devait infirmer. Ainsi dès septembre, alors que le ministère de la Santé anglais cherchait des cobayes pour le vaccin en fabrication, il apparut qu’un grand nombre des volontaires sains possédait des anticorps contre H1N1, ayant été infectés par le virus pendant l’été sans s’en apercevoir. Cela n’empêcha pas Roselyne Bachelot et le gouvernement de s’enferrer dans une politique alarmiste et déconnectée du réel, car il n’était plus possible de modifier la stratégie ridicule qui consistait à évincer les médecins généralistes en cherchant à administrer des vaccins multidoses dans des vaccinodromes vides.

Le décompte anxiogène des cas et des morts maintient la population dans un choc traumatique répété pour le seul grand plaisir des chaînes d’infos.

Seule solution politique à ce fiasco : hystériser la population, promettre une hécatombe (ce que n’hésitèrent pas à faire des experts de santé publique en évoquant une mortalité dix fois supérieure à celle de la grippe saisonnière à partir de chiffres douteux). Au final, la mortalité fut plutôt moindre que celle d’une épidémie de grippe, mais l’épisode laissa sur le carreau des millions de doses vaccinales, la crédibilité de la gestion de santé publique en France et pour de nombreuses années la confiance en la vaccination.

L’actuelle pandémie Covid-19 se déploie très rapidement, et ce caractère explosif ne facilite pas la gestion de crise. Entre l’émergence du virus et sa diffusion mondiale, il ne s’est passé que quelques semaines. Mais les images des hôpitaux chinois débordés, des brigades de nettoyeurs en costumes de Stormtrooper pulvérisant les avenues vidées de leurs habitants, et le décompte anxiogène des cas et des morts maintient la population dans un choc traumatique répété pour le seul grand plaisir des chaînes d’infos, où s’invitent des experts virologues Bac -15 et des homéopathes camelots en pierres miraculeuses.

Sous couvert de parfaite transparence, le nouveau ministre de la Santé se doit d’éluder certains faits qui nourrissent pourtant la méfiance. Ainsi on en est toujours à chercher « le patient zéro de l’Oise », alors que tout laisse à penser qu’il s’agit d’un militaire impliqué dans le rapatriement des Français de la zone de Wuhan. De même Olivier Véran doit taire l’absence d’anticipation d’Agnès Buzyn expliquant doctement fin janvier que le risque d’extension à la France était pratiquement nul, sa décision d’envoyer en Chine du matériel médical sans mettre en œuvre la réquisition des moyens de production, ou encore plus grave, l’absence de stocks de masques protecteurs (coûtant probablement « un pognon de dingue ») et le retard à la commande du matériel de protection recommandé.

Ainsi le Haut Conseil de Santé Publique avait comptabilisé près de 700 millions de masques FFP2 en 2009 et avait recommandé la reconstitution régulière d’une partie du stock. Il semble que c’est en 2011, sous l’égide de Xavier Bertrand, qu’il en ait été décidé autrement au motif de « la plus grande disponibilité de certains produits et de leur commercialisation en officine de ville ». Personne n’a anticipé l’effet de l’arrêt de la production industrielle en Chine, ou les effets des délocalisations au moment où le monde entier commande des masques en même temps…

Les soignants français affrontent donc l’épidémie sans un stock suffisant de masques FFP2, et le gouvernement fait parvenir aux seuls généralistes une boîte de 50 masques chirurgicaux FFP1, censés jusqu’ici constituer une protection inadaptée… jusqu’au jour où la Direction Générale de la Santé revient brusquement sur les directives validées et explique que mettre deux masques chirurgicaux, ou utiliser des masques périmés, serait une protection acceptable. Devant cette incohérence et la crainte quotidiennement entretenue dans le grand public d’être infecté, les vols de masques se multiplient jusque dans les établissements de santé, mettant en péril l’activité des services (me rappelant la finesse du vernis de civilisation que pointaient mes auteurs de jeunesse préférés).

Des soignants, parmi lesquels les chirurgiens dentistes, se retrouvent dépourvus de masques chirurgicaux réquisitionnés. Les infirmières, les kinésithérapeutes, les aide-soignants, sont oubliés. Les patients qui, selon les directives, se voient prescrire par leur médecin des masques chirurgicaux ne peuvent en obtenir. On retrouve comme en 2009 un hiatus grandissant entre les directives annoncées et la gestion au quotidien. Malgré la création d’un numéro vert, le 15 est submergé d’appels parfois farfelus générés par l’anxiété, ce qui retarde d’autant le temps de réponse de ses équipes pour des urgences vitales, malgré les renforts mis en place par un personnel fonctionnant déjà dans des conditions très difficiles.

Le seul effet des chiffres brandis au pifomètre est d’angoisser la population, d’embouteiller les Centre 15, et de retarder l’accès aux soins d’urgences vitales.

Le pouvoir politique hésite alors entre deux stratégies, qu’en adepte du « Nouveau monde » il décide de mener de front : d’un côté minimiser les conséquences des erreurs et des choix politiques faits (non renouvellement des stocks de matériel de protection, contraintes financières sur les hôpitaux exsangues, fermetures de services, d’hôpitaux au nom d’une rationalisation économique totalement aveugle de ses conséquences à long-terme, mise à mort volontaire du maillage des généralistes existant considéré obsolète par le Président) ; de l’autre instrumentaliser cette menace pour relooker le Président des LBD et du 49.3 en viril protecteur du peuple.

D’où cette séquence lunaire où, de retour d’Italie (l’un des pays les plus touchés en Europe), Emmanuel Macron s’invite dans un Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes, entouré de son aréopage et d’une cohorte de journalistes, pour expliquer doctement… qu’il faut absolument limiter les visites aux anciens et confiner les EHPAD. D’un pouvoir qui confia sa communication à Bruno-Roger Petit puis à Sibeth NDiaye, on n’espérait pas mieux.

Au lieu d’expliquer qu’il s’agit d’une virose respiratoire majoritairement bénigne avec malheureusement quelques cas graves touchant essentiellement (mais pas seulement) des personnes âgées, immunodéprimées, ou souffrant de certaines pathologies chroniques, nombre de média et de responsables politiques génèrent une anxiété majeure et disruptive pour la société. De même pour ceux des scientifiques qui agitent des chiffres de mortalité totalement fantaisistes dans la mesure où en l’absence de testing et de traçabilité, nous n’avons à ce stade aucun moyen de savoir combien de personnes sont infectées de manière asymptomatique, ou avec si peu de signes qu’ils ne consultent pas.

Ainsi, si l’on sait que les personnes âgées atteintes de co-morbidités sont à risque, le pourcentage de formes mortelles ne peut être extrapolé à partir des chiffres chinois en provenance de Wuhan au départ de l’épidémie, dans un pays où en l’absence de protection sociale l’accès aux soins s’est fait tardivement et a embouteillé les hôpitaux. Les pourcentages de létalité brandis ici ou là n’ont à ce stade guère de sens. Ils peuvent varier grandement selon le stade de l’épidémie ou le pays.

En Corée, où les tests sont largement utilisés, ce qui permet de dépister les formes modérées ou asymptomatiques, le taux de mortalité global des personnes infectées est pour l’instant de 0,69%… Le seul effet des chiffres brandis au pifomètre est d’angoisser la population, d’embouteiller les Centre 15, et de retarder l’accès aux soins d’urgences vitales.

Dans le même temps, les directives se heurtent quotidiennement pour les praticiens de terrain à la réalité découlant d’années de choix de restriction d’un pouvoir politique encore hier totalement fermé (au-delà des déclarations de façade sur la nécessaire modernisation du système de santé) à la question de la sauvegarde d’un hôpital à bout de souffle et de soignants de ville méprisés et croulant sous les injonctions contradictoires.

Les médecins sont ainsi censés renvoyer chez eux les patients possiblement infectés sans signes de gravité en leur recommandant de porter des masques chirurgicaux…. indisponibles. Les ministres se font dépister au moindre éternuement quand des généralistes fébriles avec toux n’arrivent pas à se faire dépister…

S’il est impossible de prévoir avec certitude l’évolution de l’épidémie, s’il est utile de la freiner en utilisant au cas par cas des techniques de confinement pour éviter une saturation des services de réanimation (qui comme chacun le sait coûtent « un pognon de dingue », eux aussi), il peut à ce stade être utile de prévenir le public. Parmi les mesures barrières les plus importantes : se laver les mains régulièrement, éternuer dans son coude, utiliser des mouchoirs à usage unique, arrêter de se gaver de chaînes d’infos, et se méfier des marchands de peur, plus dangereux que le virus. Ensuite, l’épidémie passée, il leur faudra avec leurs soignants se tourner vers les responsables politiques, fossoyeurs conscients de notre système de santé.


Christian Lehmann

Médecin généraliste, écrivain

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