Écologie

Coronavirus, un mal pour un bien ?

Socio-anthropologue

Rendons grâce au Dieu bienfaisant Coronavirus, qui nous a réveillé de notre prison économique : désormais, nulle autre solution que de renverser notre échelle de valeurs. Après le dogme de l’exceptionnalité humaine, qui érige l’économie mondialisée en première préoccupation aux dépens de la Terre et de ses habitants, il va nous falloir ralentir, et retourner à un principe de vie qui unit humains et non-humains. Pour le meilleur.

Nous sommes en 2020, une épidémie venue de Chine envahit l’Europe du nom de Coronavirus. L’inquiétude est palpable, bien que tous n’aient pas lu la Peste à Athènes de Thucydide, l’épidémie raisonne comme un mal absolu, une fatalité qui laisse l’homme impuissant lorsqu’il n’est pas en mesure de la contrer.

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Ce virus fait resurgir la mémoire des épidémies, celle rapportée par Thucydide mais aussi par Camus dans son livre fameux la Peste qui toutes deux ont marqué notre imaginaire social.  Venise récemment, vient d’être mise en quarantaine, cette mise au ban de la Sérénissime a une forte puissance d’évocation. Nous avions oublié le sens du mot épidémie et de son superlatif, la pandémie, croyant à notre exceptionnalité humaine pour la neutraliser et l’endiguer. Et soudain nous découvrons sa résurgence qui nous sidère et qui occupe toutes nos conversations.

Le Coronavirus dans l’espace public prend la place du réchauffement climatique. Dans les médias des prophètes de l’effondrement paradoxalement se font moins entendre. Ils n’ont plus à avertir de l’imminence de la catastrophe, « la tempête microbienne » (Patrick Zylberman) est là qui met à mal nos repères, nos habitudes et nos modes de vie. Un brin d’apocalypse s’empare du monde, il nous faut nous préparer à une menace qui n’est plus celle du terrorisme mais d’une guerre contre un risque sanitaire dont l’échelle planétaire met en question l’idée même de souveraineté nationale.

La hantise de l’apocalypse mine les fondements du néo-libéralisme et de son économie mondialisée. Le risque épidémique rend visible les faiblesses du système de santé propre à chaque pays, le futur devient de plus en plus incertain et la décision soumise aux aléas n’est pas en mesure de prévoir les conséquences tant sanitaires que sociales, économiques et politiques. L’État est sur le pied de guerre, il mobilise l’ensemble de ses services et appelle à une approche intégrée qui sache s’affranchir des frontières traditionnelles entre services publics et privés. Dans l’espoir de conjurer le mal, il en appelle aussi au sens civique des citoyens, l’accent étant mis sur ses devoirs, ses obligations, son altruisme et la nécessité des quarantaines. Il réactive une économie de la morale.

La décroissance et la dépression qui guettent le Monde apparaissent comme une bonne surprise pour la Terre et ses habitants non-humains.

Mais par un curieux retournement du sort, pendant que les humains et leurs systèmes sont impactés, les non-humains à contrario sont les gagnants, la planète terre semble profiter de la crise pour pouvoir à nouveau respirer et se régénérer. Pour la première fois depuis l’industrialisation, les villes chinoises voient leurs cieux s’éclaircir, plus de panaches de fumées mais un ciel lumineux, les Chinois portent des masques non plus pour se protéger de la pollution mais des risques liés au virus.

La décroissance et la dépression qui guettent le Monde apparaissent comme une bonne surprise pour la Terre et ses habitants non-humains. La faune et la flore s’en réjouissent à la différence de nous qui sommes inquiets pour notre santé et pour l’état de notre économie au sens restrictif du terme et de la conception que nous nous en faisons à savoir, un mode spécifiquement de gestion marchande des intérêts humains aux dépens d’autres régimes d’existence.

Face ce dilemme, il nous faut arbitrer, trouver un équilibre entre protéger notre santé et garantir la survie de notre économie. Dilemme dont l’origine est liée à notre étroitesse de vue et qui a court-circuité d’autres usages du terme économie avant que ne s’impose celui obtus des marchands du temple. En effet, une autre acception de l’économie existe, celle que l’on trouve chez Linné puis chez Darwin.

Pour le premier, une économie de la nature marquée par une conception théologique qui voit dans celle-ci l’œuvre de Dieu et pour le second, un processus relationnel d’engendrement, une pensée de la précarité qui met en avant l’’intelligence sensible des êtres à s’adapter à des événements incertains en vue d’un résultat, celui de la vie, du devenir être et non de l’avoir (voir Alain Deneault : « l’économie de la nature, feuilleton théorique », Montréal, Lux éditeur, 2019). De cette crise sanitaire l’économie de la nature sortira peut-être victorieuse, montrant la vanité de la conception étriquée du dogme prétendument scientifique de l’économie réduite à l’acception étroite d’une science de l’intendance et des intérêts au service des seuls humains sans y inclure les autres êtres qui peuplent la Terre.

Le virus joue le rôle d’un contre champ qui nous oblige à remettre en question notre modèle de civilisation et notre ontologie occidentale naturaliste.

En ce sens le Coronavirus est un bon virus qui ampute la machine capitaliste mondiale, il frappe en son cœur et en ses poumons, il ralentit son accélération, l’urgence économique soudain devient moins pressante car nous sommes contraints de ralentir. Le virus est un « attracteur terrestre », un front contre la mondialisation à tout crin. Certains verront en le Coronavirus l’œil d’un dieu bienfaisant, l’autre du diable. Du point de vue de l’éthique de la Terre, l’épidémie, et plus encore son superlatif la pandémie, est un événement heureux dont la Cop 21 devrait se satisfaire.

Mais comment se réjouir d’un bien qui pour le commun des mortels, ici l’homme, est perçu comme un mal radical sur le plan individuel comme collectif ? Le virus est un analyseur social, il nous met en face de nos apories, la contradiction entre les intérêts économiques au sens restrictif du terme et la vie organique. La seule manière de surmonter cette opposition est de ralentir, non seulement la progression du virus mais aussi la roue endiablée de la production et du toujours plus pour lui substituer la valeur de la vie et du temps retrouvé.

Ainsi il nous faut réaliser que marcher de l’avant pour marcher de l’avant est devenu absurde et dramatique, et qu’il nous faut s’arrêter pour regarder à quel point nous sommes en retard sur le soin que nous devons à notre demeure commune. Le virus inverse la perspective, il joue le rôle de contre champ qui nous oblige à remettre en question notre modèle de civilisation et notre ontologie occidentale naturaliste.

Nous rendrons grâce alors au Dieu bienfaisant Coronavirus qui nous a réveillé de notre prison économique. Ce virus ainsi devrait nous apparaître moins angoissant sur le plan psychologique et social si la valeur de la vie n’est plus seulement réduite à celle de notre seule existence et son orientation utilitariste et instrumentale.

De mortifère nous pourrions voir en ce virus son envers, un principe vital et fécond pour la Planète Terre réconciliant humains et non humains. À n’en pas douter il y aura un avant et un après du Coronavirus. Comme il est loin le temps des chansonniers vantant la douce France et celui de l’affiche représentant Mitterrand en Pétain sur fond de clochers et de village. Macron dans l’imaginaire collectif sera associé aux gilets jaunes et au Coronavirus, la société du clash contre la force tranquille, la survie contre le bien vivre.


Bernard Kalaora

Socio-anthropologue, Chercheur à l'IIAC (CNRS, EHESS), ancien président de l’association LITTOCEAN

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