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Parole présidentielle : commentateur n’est pas leader

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La quatrième allocution d’Emmanuel Macron sur la gestion de la crise du Covid-19 était très attendue ce lundi 13 avril. Prolongation du confinement jusqu’au 11 mai, annonce de la réouverture des écoles à partir de cette date, distribution de masques grand public : le Président de la République a soulevé autant de questions qu’il a apporté de réponses. Et celui qui parle pour s’écouter peut difficilement être celui dont la parole guide.

L’allocution télévisuelle révèle beaucoup de ceux qui nous gouvernent. De leur politique bien sûr, de leurs ambitions encore plus, de leurs limites aussi. La deuxième allocution d’Emmanuel Macron face à la crise du Covid-19 prenait selon l’Élysée ses racines dans Clemenceau. La quatrième était annoncée inspirée de Churchill. D’Outre-manche, les Français avaient pu suivre en direct, le 6 avril dernier, la prise de parole rarissime de la Reine d’Angleterre Elizabeth II : une poignée de minutes pour appeler ses concitoyens à leur responsabilité et leur insuffler de la confiance en l’avenir. Une semaine plus tard, la comparaison est cruelle : trente minutes de discours n’ont suffi ni à établir un lien de confiance, ni à partager, malgré le martèlement de la date du 11 mai, un horizon.

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La mise en regard des deux discours est d’autant moins flatteuse que la référence, à travers la promesse de jours heureux retrouvés, a manqué de finesse. La valeur de la parole politique ne se mesure pas en nombre de mots ou d’envolées lyriques. Celui qui parle pour s’écouter peut difficilement être celui dont la parole guide.

Une large partie du discours d’Emmanuel Macron du 13 avril a été dédiée à commenter, à la manière d’un journaliste, sa propre action. Président commentateur de ses déplacements à travers une piqûre de rappel de sa visite dûment mise en scène au professeur Raoult à Marseille (« j’ai tenu moi-même à comprendre chacune des options possibles »). Président commentateur de ses précédents discours, comme pour s’assurer que l’histoire, ou plus modestement les médias, n’oublient pas ses éléments de langage, et de lui en attribuer la paternité (« chacun d’entre vous dans ce que j’ai appelé cette troisième ligne »). Président commentateur de ses impuissances, sans plus avoir, face à la pandémie, la possibilité de les masquer par l’excuse des carences de « l’ancien monde ».

Dès lors qu’il a été question des insuffisances de l’action gouvernementale et comme s’il n’était pas de sa responsabilité et de celle de son gouvernement de gérer la crise, il était étrange d’entendre Emmanuel Macron se mettre au niveau de tous les autres Français pour leur dire « comme vous, j’ai vu des ratés, encore trop de lenteurs… ». Annoncer des accents churchilliens obligeait pourtant à être à la hauteur d’un chef de guerre qui s’attachait, non pas à « voir » mais à trouver des solutions à chaque problème lors du second conflit mondial, du plus concret au plus stratégique, de la production des œufs à la sous-utilisation des capacités logistiques de transport.

Chef de guerre, c’est la figure que tente d’incarner le Président de la République depuis que les ravages de la pandémie se sont abattus sur la France. Il n’a ainsi pas manqué dans son allocution de décliner à maintes reprises le vocabulaire militaire, même s’il y a recouru de manière moins marquée que lors de ses précédentes prises de parole : première, deuxième et troisième lignes, « lorsque l’on est au front », « une production comme en temps de guerre s’est mise en place ».

La sémiologue et professeure à l’Université de Stanford Cécile Alduy a justement analysé les limites de ces références guerrières, les jugeant « [utiles] du point de vue de l’efficacité rhétorique (…) mais (…) éthiquement et politiquement problématique ». Pour l’auteure de Ce qu’ils disent vraiment : les politiques pris aux mots, le recours à la métaphore guerrière n’est pas exempte de « mauvaise foi » : « cela exonère le pouvoir de ses responsabilités propres. Avec “la guerre”, le problème vient d’ailleurs ». Commenter une partie de ses failles pour les mettre à distance, s’exempter d’une autre partie en mettant en scène une guerre par le discours, le mécanisme d’évitement est le même.

Il est frappant face à cette rhétorique militaire d’entendre la parole de beaucoup de soignants sur les réseaux sociaux et dans les médias demandant à ne surtout pas être considérés comme des héros, par crainte que cette rhétorique les prive de leurs droits à être humains, c’est-à-dire à pouvoir exprimer leurs doutes, leurs peurs, leur fatigue, et ne fasse passer au second plan leur manque cruel de moyens de travail. Les mots du Président de la République fédérale d’Allemagne Frank-Walter Steinmeier le 11 avril estimant que la lutte contre le Covid-19 n’est pas une guerre mais un « test de notre humanité », ont peut-être parlé tout particulièrement à nos soignants.

Le fossé est flagrant entre ces mots, justes et attendus, de constat sur nos limites collectives face à la pandémie et une annonce de retour des élèves à l’école.

Au-delà des limites de ses accents martiaux, les mots d’Emmanuel Macron ont-ils donné confiance aux Français ? Le Président a, à plusieurs moments de son discours, joué la carte de la parole performative : « depuis quelques jours (…), l’espoir renaît », « nous voilà tous solidaires, fraternels, unis, concitoyens d’un pays qui fait face ». Rappelons que l’unité est, dans la célèbre analyse conduite par Raoul Girardet de nos Mythes et mythologies politiques (Seuil, 1986), aux côtés de la conspiration, du sauveur et de l’âge d’or, l’une des quatre « structures mythiques » qui forment depuis plus de deux siècles le tissu conducteur de la culture politique française. Mais les craintes nées de son allocution illustrent un décalage marqué entre les intentions et le ressenti.

Enseignants et parents d’élèves s’interrogent légitimement sur les fondements, en termes de sécurité sanitaire, d’une décision de réouverture des écoles, des collèges et des lycées alors que les bars et les restaurants sont appelés à rester volets baissés et que les premiers avaient été conduits, en mars, à fermer leurs portes avant les seconds. Le fossé est flagrant, à l’intérieur même du discours du Président de la République, entre ces mots, justes et attendus, de constat sur nos limites collectives face à la pandémie – « ce soir je partage avec vous ce que nous savons et ce que nous ne savons pas » – et une annonce de retour des élèves à l’école que ne vient étayer aucune justification scientifique.

Après avoir depuis plusieurs semaines fondées chacune de ses prises de parole sur les analyses du comité scientifique et des experts, Emmanuel Macron n’a plus cité lundi soir ni l’un, ni les autres. La conséquence relève de l’évidence : citoyens, syndicats, responsables politiques demandent que les travaux scientifiques justifiant la reprise des cours dans le primaire et le secondaire soient rendus publics. Chacun peut comprendre que la France, comme tous les pays du monde, fait face à l’immense défi de juguler la crise sanitaire tout en tentant de limiter l’ampleur de la crise économique produite par le confinement, et surtout de ses conséquences sociales. Mais personne ne peut accepter que des risques soient pris quant à la santé des plus jeunes, et de leurs enseignants. Comment ne pas s’étonner qu’il y a quelques jours encore la porte-parole du gouvernement renvoyait toute prise de décision sur le port de masque à l’attente d’un consensus scientifique et que pas un mot ne soit dit sur celui-ci dès lors qu’il est question de regrouper par dizaines, dans les salles de classe, plusieurs millions d’élèves, même de façon progressive ?

Un exercice très simple permet de mesurer les limites d’une phrase. Lorsque son contraire est absurde, c’est sans doute qu’en partie elle ne disait rien.

Les mécanismes de la confiance politique sont similaires à ceux des jeux de domino. Lorsqu’un élément s’écroule, il est difficile de garantir la stabilité des autres. Si les Français s’interrogent au lendemain de la prise de parole présidentielle sur les motivations réelles de la réouverture des écoles, des collèges et des lycées et sur les garanties qui l’entoureront, il faut s’attendre à ce qu’ils interrogent également d’autres annonces faites par le Président et souffrant du grand flou les entourant, d’autant que les précisions apportées par le ministre de l’Education nationale à la suite de l’allocution d’Emmanuel Macron sont à même de nourrir doutes et incertitudes.

Ainsi, l’annonce d’« un plan massif pour notre santé, notre recherche, nos aînés entre autres » prend des allures d’arlésienne alors même que pendant des mois les jets de blouse, la grève du codage des actes médicaux, le mouvement social dans les services d’urgence sont restés comme autant de signaux d’alarme tirés dans le désert. Il n’est par ailleurs pas rare, en communication politique, que l’expression à la fois excessivement floue et assurée du volontarisme se révèle contreproductive. Lorsque le Président de la République dit : « Le gouvernement apportera toutes les réponses nécessaires à chaque fois qu’il le faudra », les Français entendent très certainement une promesse, mais voient sans doute mal la réalité concrète du soutien qui leur sera apporté. Un exercice très simple permet de mesurer les limites d’une phrase. Lorsque son contraire est absurde, c’est sans doute qu’en partie elle ne disait rien. C’est flagrant s’agissant de cette citation présidentielle ; l’exercice, si vous vous y prêtez, devrait vous faire sourire.

Bien sûr, les exégètes officiels de la parole présidentielle se sont empressés de saluer la modestie et l’humilité retrouvées par le chef de l’Etat. Ils l’avaient d’ailleurs déjà fait en 2019 à l’issue de la conférence de presse de clôture du Grand débat et le Président a, lors de cette quatrième allocution dans le contexte de la crise du Covid-19, étrangement utilisé des images similaires : « ce moment m’a transformé » pour conclure le Grand débat, « le moment que nous vivons est un ébranlement intime et collectif. (…) Sachons en ce moment (…) nous réinventer. Moi le premier » lors de son allocution du 13 avril. Se réinventer, certes, mais en quoi ? La question reste une nouvelle fois sans réponse.

Est-ce que ce sont les certitudes ou les doutes qui prédominent au lendemain de la prise de parole d’Emmanuel Macron ? Dans la presse étrangère, le journal espagnol El Pais n’a pas manqué dans son article consacré au discours de souligner, dès le chapeau, le grand nombre d’incertitudes entourant le plan de retour à la normale présenté par le Président. En France, où l’allocution était attendue à quelques heures de la précédente date fixée pour la fin du confinement, il faut espérer qu’elle ait permis de partager une forme de solidarité nationale avec les aînés isolés, les étudiants en détresse, les familles en grande précarité. Mais l’on peut regretter que la mise en scène de soi n’ait pas, pour une fois, fait place à une parole entièrement pensée pour et tournée vers les citoyens.

Aucun discours ne fait l’histoire. C’est l’histoire qui fait les grands discours. A plusieurs reprises, pendant les quatre minutes de sa prise de parole, Elizabeth II s’est effacée pour laisser place à des images de soignants, de manutentionnaires, de camions de pompiers, d’Anglais applaudissant dans un supermarché. Savoir s’effacer pour porter un message plus grand que soi. C’est ce qui fait toute la difficulté du discours politique, et peu de femmes et d’hommes sont capables d’atteindre un tel objectif. Mais c’est à son aune que se mesure la vraie valeur d’une parole présidentielle.


Agathe Cagé

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