Ce à quoi la pensée critique doit s’atteler, maintenant
Nous vivons la crise du Covid-19 comme une longue saison d’indétermination. Quand va-t-elle se terminer ? Comment va-t-elle se terminer ? Malgré les nombreux commentaires d’un certain nombre d’intellectuels publics, il y a peu de réponses à la question de savoir ce que l’avenir pourrait nous réserver, et encore moins à celle de savoir comment y parvenir. Ainsi, la pandémie a mis en évidence une autre des failles de notre époque : la difficulté de s’imaginer au-delà du monde actuel dans lequel nous vivons. Et, tout comme pour ces autres failles auxquelles nous reviendrons plus tard, le problème n’est pas nouveau, ainsi que nous le rappelle l’historien François Hartog lorsqu’il parle de « présentisme ».

Quelque part au cours du XXe siècle, nous avons perdu notre croyance dans le pouvoir rédempteur de l’histoire, et donc dans la garantie d’un avenir meilleur. Wendy Brown en donne une explication concise : « Nous nous savons nous-mêmes saturés par l’histoire, nous sentons la force extraordinaire de ses déterminations ; nous sommes également baignés dans un discours sur son insignifiance, et, par-dessus tout, nous savons que l’histoire ne pourra plus (ne pouvait toujours déjà pas) agir comme notre Rédempteur ». La perte de la garantie de l’histoire ne signifie pas que nous n’avons pas d’avenir ; elle signifie simplement que nous sommes seuls responsables de ce qu’il pourrait être.
Bien sûr, alors que le virus révèle un désastre social après l’autre, de pieux espoirs sont formulés pour un monde meilleur et plus juste. Le New York Times a consacré toute une section de son édition dominicale à souligner la nécessité de plus d’égalité et d’une meilleure justice ; mais sans aucun article proposant ce qu’on pourrait appeler une « analyse critique ». Et tout comme ces commentateurs convoqués par le Times, d’autres experts n’ont fait que souligner ce que la crise a révélé de façon saisissante et qui, pourtant, était manifeste depuis le début.
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