International

Rues vides, une lettre de Barcelone

Écrivain

Confiné à Barcelone, Enrique Vila-Matas redécouvre la monotonie associée à l’habitude de vivre. Et ce sentiment de monotonie peut nous paraître ridicule, car les circonstances ont la vertu de nous rappeler qu’en réalité la vie est longue, mais que nous la gaspillons en nous adonnant à quantité d’occupations idiotes (ces jours-ci, par exemple, la profusion de « carnets de bord de la quarantaine » abordés par nos nombreux écrivains « confinés »). Pour quelle raison perdons-nous tout ce temps ?

Barcelone, avril 2020

Mon très cher ami,

J’ai entendu à la radio une amie commune – vous voyez de qui je veux parler – dire que s’il était une chose qui nous avait bien bouleversé, c’était qu’après l’avoir vue à la télévision si loin de nous (la pandémie en Chine), on l’avait soudain sous nos yeux. Ce qui m’a rappelé Empty house of the stare (« Maison vide de l’étourneau »), l’exposition de janvier de cette année de Tom McCarthy à la Whitechapel Gallery de Londres, exposition qu’un contretemps de dernière minute vous a empêché de voir, où le romancier britannique montrait que si nos systèmes de contrôle et de surveillance des masses nous semblaient assurément solides, ils pouvaient s’effondrer à tout moment, parce qu’ils avaient des failles.

En effet, disait McCarthy, le problème du système dans lequel nous étions installés, c’était qu’il comportait des erreurs qui le rendaient redoutable. Une des images les plus inquiétantes de l’exposition de Whitechapel était ce buffer, sorte de petit disque qui parfois tourne dans notre ordinateur et laisse entendre que quelque chose fonctionne de travers, n’est pas connecté, ce qui nous angoisse terriblement. Je sais que mentalement la lente arrivée du virus dans notre pays a été précédée chez certains d’entre nous d’une image semblable à celle de ce buffer qui tournait sans cesse, nous annonçant un désastre indéfini qui, et nous étions loin de le supposer, serait la rupture de tout le système, au point de nous reclure entre nos quatre murs et de nous interdire pendant des journées entières de mettre le nez dehors. Nous n’y croyions pas, mais c’est quand même arrivé. Et maintenant, devant les mois qui s’annoncent, empreints d’une forte incertitude, nous n’avons plus qu’à nous fier de façon plutôt illusoire à ce qui peut arriver dans les situations extrêmes où tout va se jouer pendant qu’on continue de vivre ou d’écrire comme si de rien n’était.

Mon très cher ami, me permettez-vous de poursuivre ? Je viens de me rappeler un pas


Enrique Vila-Matas

Écrivain