Ô bobos et logés
Comme disait Edmond Rostand « c’est bien plus beau lorsque c’est inutile ». Voilà donc un petit texte qui ne sera pas laid car, inutile, il ne peut l’être davantage. Je vais vous parler du sort des SDF qui en cette période de pandémie sont confinés à deux par chambre dans des hôtels réquisitionnés sans qu’un dépistage systématique soit effectué avant leur entrée. S’il s’agissait de vous ou moi – ô bobos et logés – non seulement nous n’accepterions pas de partager nos 10 m2 de chambre avec un inconnu, peut-être infecté par le coronavirus, mais au grand jamais on nous ne le proposerait. Nous pourrions protester, qui sait, porter plaine en cas d’infection et nos familles de poursuivre l’État si nous crevions la gueule ouverte étouffés par cette charmante maladie au nom de mousse. Et puis, nous tomberions dans une statistique tôt ou tard et quand on découvrirait le pot-aux-roses on invectiverait gouvernements et corps constitués.
Un SDF contaminé a beaucoup plus de malchance de mourir que le reste de la population. C’est une cohorte de gens usés par la rue, affaiblis, souvent grevés de comorbidités. Malheur aux vaincus et ils ont perdu au grand loto de la société libérale. On les nourrit – c’est la moindre des choses, on nourrit bien les chats, les chiens et les chevaux – on les loge parfois – provisoirement, bien entendu – pour qu’ils ne tombent pas comme des mouches sur la voie publique en plein hiver mais, s’ils coûtent quelques liards, ce sont là des gens qui ne sont ni électeurs ni clients des industries diverses et variées ni des médias qu’ils ne consultent guère et en lesquels ils n’ont aucune confiance. Ni électeurs ni clients, ils n’intéressent personne. Ils peuvent mourir sans bruit.
D’autant qu’il s’agit d’une population par définition impossible à tracer. Les SDF qui ont été ou seront infectés à cause de ce confinement, on n’en saura jamais rien. Pour la société c’est tout profit. Par avarice on n’attribue pas une chambre à chacun et en perspective c’est la totale impunité pour ceux qui ont pris la décision d’évaluer au rabais la vie de ces êtres humains.
D’ailleurs, ou ai-je bien pu trouver l’information dont je vous parle ? Nulle part. C’est juste parce que j’ai répondu à l’appel d’une organisation sans but lucratif qui s’occupe de distribuer les repas aux confinés – repas payés par l’État comme les nuitées d’hôtel – que j’ai pu découvrir cette façon de maltraiter les malchanceux. Mais, soyons justes, ce confinement à deux par chambre n’est pas le fruit de la méchanceté de l’administration. Simplement, le plan confinement a été calqué sans plus de réflexion sur le plan anti-froid. Il n’y a pas d’inconvénient sanitaire majeur à loger deux personnes dans le même espace pour les préserver d’une température polaire mais en cas de pandémie c’est non seulement idiot mais criminel.
Bon, on n’a pas pris le temps de réfléchir, nous n’allons pas en faire un drame. Ces SDF ne sont pas nos enfants, nos parents, nos anciens comme dirait Macaron et personne ne viendra réclamer leurs cendres. Vous n’auriez pas dû lire ce papier. Vous avez perdu votre temps. Depuis bientôt deux mois que dure le confinement (désormais assoupli, il est d’ores et déjà trop tard pour empêcher le massacre. Une aubaine. Les victimes appartiennent au passé. Un passé qui les a déglutis comme une pièce à conviction afin que nous n’ayons jamais aucun remords.
– Je plaisante.
En réalité le confinement hôtelier devrait – dit-on – se prolonger jusqu’à la fin du mois de mai. On aurait le temps de sauver quelques victimes potentielles. Patience, ça ne durera pas.