Chronique de l’empire vague et du jeune prince renonçant rattrapé par la rage
Tel est raconté qui croyait raconter.
Proverbe imaginaire
Un jeune homme s’était cru, il y a bien longtemps, l’héritier d’un grand empire secret. Il ne fut jamais démenti. Nul ne saurait dire néanmoins si de fait il hérita de la charge. Telle est l’étrange énigme que les chroniques orales ont rapportée jusqu’à nous et que je me propose de coucher par écrit pour l’enseignement et le plaisir des générations futures.
L’empire
Peut-être avez-vous entendu parler de cet empire qui s’étendait jadis sur un nombre vaguement considérable d’esprits. C’est de cet empire spirituel que le jeune homme se savait élu. Devait-il cette élection à quelque marque de naissance, ou bien à quelque mérite manifeste, à moins que ce ne fût aux ardeurs singulières de son cœur qui s’étaient signalées très tôt dans son enfance à travers son goût pour les recherches bizarres et les contemplations furieuses ? Nul ne le sait. Toujours est-il que Piotr avait senti très tôt, à l’heure où l’adolescence se décide comme un appareil photo automatique s’accommode et déclenche l’obturateur irréversiblement, qu’il avait été choisi pour recevoir l’invisible sceptre de cet empire sans administration.
Il savait aussi qu’il n’était pas le seul. Cet empire était aristocratique : un sénat sans cénacle y détenait l’absolu pouvoir. Les décisions s’y prenaient toujours selon les règles de l’unanimité vague. Cette notion avait été élaborée avec le temps et en vérité on ne pourrait dire qu’elle fût explicitement retenue comme telle, sa nature même y répugnait. En effet, elle signifiait en gros que le sénat était considéré avoir émis une de ses irrévocables décisions lorsqu’une sorte de présupposé commun dont on ne discutait plus s’était imposé et qu’on n’envisageait même plus l’hypothèse contraire, sinon parfois, individuellement, dans la solitude de son lit, et dans un silence confus, bafouillant, interdit. Cet embarras secret, cette légère honte, aussitôt réprimée, cette vague tentation peut-être pour q