À propos d’ensauvagement : pour une sociologie modeste
Faut-il « stopper l’ensauvagement d’une partie de notre société »[1] ? Voici sans conteste une problématisation courte et dangereuse de l’actualité. Sur cet usage politique et tendancieux du sauvage et de l’imaginaire colonial qu’il charrie, tout a déjà été dit. Nul besoin d’insister, d’autant que l’auteur de ces déclarations semble vouloir faire de cette thématique de l’ensauvagement un signe distinctif de son positionnement politique. L’ambiguïté ou la polyphonie du terme posée, il nous semble important d’envisager la face plus sereine d’un possible ensauvagement de nos vies et de notre quotidien : celui que nous analysons dans une ouvrage récent sur L’utopie sauvage.
Le titre provisoire du manuscrit, « Ensauvagez-vous ! », reprenait la tournure classique des manuels de développement personnel, comme une provocation. En effet, sans originalité et à la suite d’autres auteurs comme Baptiste Morizot ou Alain Damasio, nous pensons nécessaire d’œuvrer à la réappropriation de ce terme. Il est en effet urgent de le ramener dans sa maison première, la forêt (« sauvage » venant du terme latin sylva, qui signifie forêt), pour mieux l’étudier et ce faisant, soyons utopique, de prévenir son usage politique vulgaire.
Parler d’ensauvagement
Nous n’invitons pas ici à contourner l’ambiguïté du sauvage, son opacité intrinsèque, mais bien, dans une approche critique, à mettre celle-ci au centre de l’analyse. L’omniprésence de la forêt et du sauvage dans le débat public doit être analysée dans cette perspective, au plus près de cette ambivalence : la forêt comme sanctuaire ou comme hétérotopie ? Un Éden mis sous cloche en attendant de s’y réfugier, substrat d’une altérité radicale propice aux raccourcis intellectuels ? Ou un terrain favorable à la construction de cabanes, à la résistance active, à la redéfinition du commun ?
De la défense des peuples premiers comme sentinelles affaiblies de notre société à bout de course, à l’usage tendancieux du sauvage, il n’y a qu’un p