Culture

Lettre de Dame Culture, alitée, aux acteurs du monde de la culture

Politiste et artiste

Accéder au théâtre, au cinéma, au centre d’art, au musée, danser et voir danser, c’est jouir d’un inétouffable « droit à la vie ». Voilà les mots que pourrait adresser une Dame Culture alitée, à celles et ceux qui disent la défendre et se sont indignés tout le week-end de la non réouverture des théâtres, des cinémas et des musées. Dans cette lettre ouverte, elle se souvient d’une époque marquée à la fois par l’ambition politique et par l’indiscipline, l’impertinence et la folie des créateurs. Pour survivre Dame Culture le sait, il va falloir se réinventer.

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Chers toutes et tous,

Je vous écris de mon lit, à la manière de Marcel, ce qui ne manque pas de m’amuser un peu. Toute Dame Culture que je suis, je me contente de plaisirs simples en ces tristes temps de confinement. C’est d’ailleurs d’ici-même, vendredi soir, que j’ai sagement écouté Jean Castex annonçant la fermeture prolongée des cinémas et des théâtres, des musées et des multiples hauts-lieux culturels dont vous avez la responsabilité. Je me suis endormie aussitôt et n’ai, je crois, pas rêvé. C’est de ce lit toujours que, smartphone au poing, j’ai surfé sur Internet tout le week-end et lu vos tribunes, lettres ouvertes, tweets pleins de colère, amertume, détresse. J’ai relevé vos arguments. Je suis restée couchée.

Je n’imaginais pas qu’un beau jour les défenseurs de la création contemporaine que vous êtes en viendraient à s’enorgueillir d’être de « bons élèves », de respecter les mesures, les distances, les décrets. J’ai cru, mais peut-être ai-je rêvé, que l’indiscipline était votre credo, que l’impertinence faisait votre souffle. Il faut reconnaître que vos copies sont propres, que les règles sont assimilées, que la raison réside bien de votre côté : rien ne peut justifier, du point de vue de la science, la fermeture de vos lieux pendant que s’ouvrent aux quatre vents le supermarché du coin, la boutique à bibelots ou de prêt-à-porter.

Vos images font mouche, en diptyque : salle de spectacle vide, rame de TGV bondée ; musée d’Orsay désert, quai surpeuplé de la station de métro Louvre-Rivoli. Vos démonstrations sont imparables, mais permettez-moi de vous dire que rien en elles ne me secoue. Tout au plus obtiendrez-vous qu’ils décident demain d’interdire le shopping de nouveau, puisqu’à vos arguments raisonnables ils ne peuvent répondre autrement. Scènes et grands écrans resteront pour leur part éteints, comme le sont, manifestement, vos souffles et vos visions.

Accéder au théâtre, au cinéma, au centre d’art, au musée, danser et voir danser, c’est joui


Sébastien Thiéry

Politiste et artiste, Coordinateur des actions du PEROU (Pôle d'Exploration des Ressources Urbaines)