Société

Confinés : de proches en proches… jusqu’aux lointains

Philosophe et Psychanalyste

Avec la crise sanitaire, toute proximité fait courir un risque de contamination, et la distance régit désormais notre rapport à l’autre. L’un des effets de la période a été d’amener chacun à redéfinir qui étaient ses proches, car quoi qu’on fasse nous ne pouvons nous passer d’une proximité qui ne doit pas être confondue avec un simple entre-soi. Si dans une société de performance comme la nôtre le proche est un rival, il ouvre aussi une fenêtre sur le lointain, sur d’autres horizons. Un article publié à l’occasion de la Nuit des idées 2021 dont le thème est « Proches ».

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Si, comme dit le proverbe, « à quelque chose malheur est bon », il faudrait se réjouir que la crise sanitaire que l’humanité traverse depuis une année nous fasse redécouvrir le sens de la proximité, accentuant un mouvement de fond, qui, depuis plusieurs décennies, travaille à une relance du sens politique dans les comités de quartier et les relations de voisinage. Tel est en effet le paradoxe contemporain. Toute proximité faisant courir le risque d’une contamination virale, la distance doit désormais régir notre rapport à l’autre.

Mais la « distanciation sociale » produite par le télétravail et la fermeture des lieux de rencontre culturels, festifs ou sportifs, en nous assignant à résidence nous oblige à prendre en compte que « chez soi », il y a aussi des autres, qu’il s’agisse de ces proches que nous nommons « les nôtres », ou des voisins et voisines. Cela ne va pas sans heurt dans les deux cas. La proximité n’est pas simple. Les proches sont ceux et celles qui peuvent nous blesser, nous trahir, nous manipuler. Prendre le risque de la proximité, c’est s’exposer, voire se livrer. On n’est pas sous emprise à distance, et l’éloignement ne préserve pas seulement du Covid mais aussi du sadisme ordinaire. Dans une société de performance comme la nôtre, le proche est un rival.

Mais nous ne pouvons nous passer de la proximité même si le proche est parfois un animal piquant, comme l’avance Schopenhauer en forgeant l’allégorie des hérissons tiraillés entre besoin d’autrui et besoin de se protéger d’autrui. Est-ce par besoin de chaleur comme celui-ci le suggère ou parce que nous sommes, quoiqu’il arrive, solidaires, ainsi que s’efforce de le penser le philosophe stoïcien Marc-Aurèle ? Si, selon celui-ci, nous devons, avant même de commencer chaque journée, nous préparer aux piques des proches et si nous devons éviter ce qu’il nomme « l’amitié des loups », ce n’est pas tant par besoin que parce nous sommes, que nous le voulions, ou non, liés dans le partage du mond


Hélène L'Heuillet

Philosophe et Psychanalyste, Maîtresse de conférence à Sorbonne université

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