Le véritable héritage d’Ivan Illich – sur une prétendue « sacralisation de la vie » (2/2)
La première fois que j’ai vu Ivan Illich, c’était sur un écran de télévision. Il était interviewé par le directeur de la revue Esprit, Jean-Marie Domenach, dans la cour d’un hôtel particulier de la rue de l’Université, à Paris. Nous étions en 1971 ou 1972. Ce qui frappait d’emblée chez Illich, c’était son profil d’oiseau de proie et sa voix tout à la fois suave et tranchante, l’aristocratique accent d’Europe centrale se mariant à une façon presque brutale d’accentuer la dernière syllabe des mots.
La conversation avait duré plus d’une heure lorsque Domenach posa la question qui était restée en arrière-plan tout au long de l’entrevue : « Et l’Église, Ivan, l’Église, dans tout cela ? » La question était d’autant plus pertinente pour qui connaissait les éléments de base de la biographie de cet homme fascinant, né à Vienne en 1926, qui avait été prêtre et même Monsignore dans la hiérarchie de l’Église catholique avant d’être soumis à un procès inquisitorial à Rome.
Comme il le faisait habituellement, Illich se recueillit l’espace d’un instant avant de lâcher : « L’Église, c’est une putain, mais c’est aussi ma mère. »
Comme beaucoup de téléspectateurs sans doute, je restai interdit. Domenach était un ami et je savais par lui qu’Illich, auteur de deux livres qui avaient déjà créé beaucoup de controverses, Libérer l’avenir et Une société sans école, avait mis en chantier un programme de recherches, de rencontres et de discussions sur l’institutions médicale, à Cuernavaca, à quelque 60 kilomètres au sud de la ville de Mexico, où il s’était établi. Domenach, qui savait que je travaillais moi-même sur le sujet, nous présenta l’un à l’autre et ce fut le début d’une amitié qui ne devait s’éteindre qu’avec la mort d’Illich, en décembre 2002[1].
Je fis plusieurs séjours à Cuernavaca, travaillant en particulier à l’opuscule Énergie et équité (Seuil, 1973), une critique du système de transports et une démystification plus pertinente que jamais de l’idée que nous aurions u