Écologie

Déterritorialiser la pensée : l’océan comme étirement du monde

Socio-anthropologue

Le milieu marin est communément perçu soit comme le réceptacle passif et inerte de nos actions et activités, soit comme la scène imaginaire et théâtrale sublimée de nos désirs romantiques. Dans ce schème dualiste où terre et mer se font front, la mer n’est vue que comme barrière ou limite. Mais cette représentation apparaît en opposition avec l’expérience nouvelle et contemporaine de l’océan comme milieu vivant, dynamique et mobile, s’étendant au-delà de l’horizon de la vue et de la perception. Alors plutôt que de tenter de conformer le monde liquide à nos modèles humains, il nous faut apprendre à penser la vie qui se fait dans l’entre-deux, pour vivre l’océan comme une part de nous-mêmes et non plus comme un appendice étranger. Un texte commandé par AOC dans le cadre du cycle Planétarium du Centre Pompidou.

La globalisation conjuguée à la crise de l’environnement nous fait découvrir la finitude de la planète terre, contrairement à l’idée que l’on s’en faisait et, du même coup, elle fait apparaître les liens existants entre la terre et la mer, le littoral et l’océan. Des relations entre humains et non-humains s’y nouent, en tant qu’organismes partageant l’univers, à la fois terrestre et marin avec de nombreux autres organismes, en tant qu’être social remodelant la nature et eux-mêmes réciproquement, en tant que créatures conteuses d’histoires et s’efforçant de trouver un sens à leur place dans le monde.

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Cette découverte se heurte à nos cadres classiques d’interprétation du milieu marin, tantôt perçu comme le réceptacle passif et inerte de nos actions et activités, ou tantôt, comme la scène imaginaire et théâtrale sublimée de nos désirs romantiques. Dans ce registre, la mer est fantasmée comme originelle et authentique et coupée de tout lien avec le monde terrestre. Cette représentation véhicule une conception dualiste du monde où l’homme est extérieur au milieu, celui-ci n’étant vu que comme surface et non comme constituant à part entière du devenir humain.

Le couplage dynamique entre l’homme et le milieu vivant, les échanges réciproques qui sont au cœur de ce qui les constitue, l’un et l’autre, sont scotomisés. Le milieu est perçu comme un corps étranger, et non comme l’extension même de son organisme. Ce paradigme est le produit du dualisme cartésien qui oppose nature et culture, sujet et objet, homme et milieu, terre et mer.

Il trouve son pendant symbolique dans la sensibilité romantique du spectacle de la mer, celle-ci étant contemplée d’un point de vue dominant et faisant l’objet de rêveries où la pensée se réfléchit à la manière d’un miroir. La mer comme l’écrit Alain Corbin, est « […] une mer éprouvée de la terre, c’est-à-dire d’un point fixe ; une mer dont les prestiges ne se déploient que parce qu’on la perçoit, non dans son infinité (sa cosmicité po


[1] Mers et Océans : sauver notre devenir (sous la coordination de F. Herpers et A. Gitton), Libre et solidaire, 2020

[2] Françoise Gaill, « La place des océans dans les sciences de l’environnement », Responsabilité et environnement, n° 83, juillet 2016.

Bernard Kalaora

Socio-anthropologue, Chercheur à l'IIAC (CNRS, EHESS), ancien président de l’association LITTOCEAN

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Notes

[1] Mers et Océans : sauver notre devenir (sous la coordination de F. Herpers et A. Gitton), Libre et solidaire, 2020

[2] Françoise Gaill, « La place des océans dans les sciences de l’environnement », Responsabilité et environnement, n° 83, juillet 2016.