Politique culturelle

Absence – à propos des théâtres vides

Directeur du Théâtre de la Bastille

Depuis des mois, les pouvoirs publics s’obstinent à maintenir les théâtres vides. Que cette fermeture soit provisoirement nécessaire, soit… mais attention. Car si l’on considère que la fermeture des salles ne répond qu’à l’absence d’un plaisir passager, il n’y a pas grand drame. Mais décidément, non. En interdisant les théâtres, ce n’est ni de l’essentiel ni du non-essentiel dont le pouvoir nous prive. Plutôt, il ampute notre commune appartenance au monde.

Je voudrais essayer de dire pourquoi, en évitant toute attitude de révolte radicale ou même tout appui empirique – aucun « cluster » n’a été observé dans les théâtres dont les pays ont autorisé l’exercice dans le respect de mesures sanitaires strictes – pourquoi il est difficile de comprendre l’obstination de nos pouvoirs et l’empêchement qui en résulte. Depuis des mois, nous dirigeons des théâtres vides ; je préside un théâtre sans œuvre. Ici et là, certains cherchent des substituts généreux, manifestent une volonté d’action ou de présence que je ne critique pas, mais qui soulignent malgré eux la réelle absence d’œuvres dans la forme qui fait théâtre : le face à face, la présence des corps dans l’échange des paroles.

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Quelques-uns ont ironisé à juste titre – c’était tentant et facile – sur la partition de l’essentiel et du non-essentiel. Pourtant, on ne peut contester que manger à sa faim soit plus indispensable à la vie que d’aller au théâtre. La survie ou la vie ?

Mais la vie « zoé » n’est pas la vie « bio » (qui donne la biographie), la vita activa telle que la définit Hannah Arendt. : « Je propose le terme de vita activa pour désigner trois activités humaines fondamentales : le travail, l’œuvre, l’action. » L’humaine condition ne se spécifie pas par la satisfaction des moyens nécessaires à sa survie. Or, ce qui fut désigné par essentiel semble bien faire référence à cette « zoé ». Cela peut s’entendre et je ne souhaite pas entretenir d’inutiles polémiques sur ce point.

Ce qui est plus contestable en revanche, c’est le caractère manichéen induit par l’opposition essentiel/non-essentiel. Hannah Arendt  : « L’œuvre est l’activité qui correspond à la non-naturalité de l’existence humaine, qui n’est pas incrustée dans l’espace et dont la mortalité n’est pas compensée par l’éternel retour cyclique de l’espèce. L’œuvre fournit un monde artificiel d’objets, nettement différent de tout milieu naturel. (…) La condition humaine de l’œuvre est l’appartenance au m


Jean-Marie Hordé

Directeur du Théâtre de la Bastille, Paris