Le goût de la fiction (en temps de pandémie)
Ça commence par une question lancée à la cantonade, une question qu’aurait dû emporter la conversation dans son flot, l’entrainant hors de ma mémoire. Mais la question est restée, s’est mise à me travailler ainsi que le bois travaille avec l’humidité. Ce jour-là, j’étais passée saluer une amie dans sa librairie, le genre d’expédition amicale que je n’effectue plus guère depuis un an mais que je m’autorisais enfin parce que nous étions samedi ou parce qu’à ne plus voir personne, je craignais de m’y faire. Et nous, tu crois qu’il va falloir que l’on mette des masques à nos personnages ? Elle rigolait ; une plaisanterie, une boutade entre collègues, entre initiées, mais en la lançant si spontanément, mon amie réussit à me refiler sa question. Sous ses airs humoristiques, celle-ci posait un dilemme, qui ne cesse de me titiller depuis.

Car oui, il allait bien falloir que j’en décide : dans ce prochain roman que j’essayais de concevoir, mes personnages porteraient-ils un masque ? Pas un masque de carnaval ou un masque métaphorique mais un masque « anti-projections ».
De prime abord, connaissant la pénibilité d’un tel port, les cas de conscience – cette infime et insupportable démangeaison sous le nez, puis-je la gratter sans être sûre d’avoir les mains propres ? – et le ridicule inconfort – masque de traviole, trop vite enfilé, remontant trop haut sur les yeux, moitié aveuglée, surtout avec cette buée sur les lunettes – qu’il peut provoquer, il est clair que je préférerais éviter à mes compagnons de page pareil traitement. D’autant que si je les masque, je me condamne à devoir exposer les petits désagréments que leur imposeront nécessairement ces bandes de papier ou de tissus placardées sur leurs visages. De ceci, à vrai dire, je n’ai aucune envie.
De surcroît, ces petits désagréments ont un intérêt et une portée romanesques fort limités ! M’attacher à décrire ces opérations de mise et de retrait, ces aléas d’utilisation – masque perdu, masque oublié, masque tro