Société

Mourir sans partir : en France, ni euthanasie ni suicide assisté

Sociologue

Ce mois d’avril 2021, la France a de nouveau raté le coche pour faire évoluer la loi sur la fin de vie. Tandis que son examen à l’Assemblée Nationale était rendu impossible par le dépôt de milliers d’amendements par quelques élus de droite, l’Espagne légalisait l’euthanasie. L’immense majorité de Français qui y est favorable en est réduit à se rendre à l’étranger pour les plus chanceux, accompagnés de leurs proches, et sinon à mourir dans la douleur, trop lentement, face à des soignants impuissants.

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Cela fait vingt ans que la France vote des lois sur la fin de vie qui n’améliorent pas la mort des Français. Pourquoi ? Ces derniers sont très largement favorables à l’euthanasie et au suicide assisté (en 2021, à respectivement 93 % et 89 %) et depuis longtemps, mais la législation s’est historiquement organisée sur l’interdit de tuer.

Quoi voter ?

Des désespérés ont beau réclamer l’aide médicale active qui les aidera à partir, rien n’y fait. Ils peuvent écrire des livres qui témoignent de leur calvaire pour s’éteindre selon leur volonté, comme l’a fait l’écrivaine Anne Bert [1], ils demeurent sans possibilités ni aucune perspective autre que celle de se rendre à l’étranger.

Ailleurs, des lois répondent aux attentes de leurs concitoyens avec des médecins qui n’abandonnent jamais leurs patients à la main des collègues étrangers. Outre la Belgique qui sature de sollicitations de patients français et la Suisse qui déborde de demandes, la légalisation du soutien pour mourir dans la dignité s’annonce désormais en Espagne où la loi a été votée en mars 2021 et au Portugal où elle s’apprête à l’être, et aussi en Allemagne qui révise sa législation. Pour l’instant, c’est de la Pologne dont la législation française est désormais la plus proche.

Partir rejoindre une autre législation que celle en vigueur chez soi n’est pourtant ni commode, ni donné à tout le monde. Tout repose sur les capacités d’accueil des pays environnants et de ses propres moyens financiers. Tant et si bien que l’absence de loi pour l’euthanasie et le suicide assisté en France incite la plupart des candidats à anticiper largement le moment de leur trépas. Leur crainte est de n’être plus en état de voyager, parce que déjà ruinés par la maladie et ses handicaps.

Mourir dans la dignité en France restaure l’ordre des privilèges que des révolutionnaires avaient aboli en 1793. Alors que passer une frontière de son vivant pour trépasser légalement ailleurs taraude bien des malheureux qui sont déjà parve


[1] Anne Bert, Le tout dernier été, éditions Fayard, 2017.

[2] L’affaire du docteur Méheut-Ferron éclate brusquement en Normandie le 8 janvier 2020. Il lui est reproché d’avoir utilisé du Midazolam en faible quantité, mais plusieurs fois, pour aider des patients en phase terminale d’un cancer d’éviter une longue agonie.

[3] Vincent Humbert, Je vous demande le droit de mourir, éditions J’ai lu, 2004.

[4] Marie Humbert annonce son intention d’aider son fils à mourir le 21 septembre 2003 dans l’émission « Sept à huit », passant à l’acte le 24 septembre. Elle sera mise en examen, ainsi que le docteur Chaussoy, le 27 septembre 2003 ; elle est relaxée contre son gré le 27 février 2006. Elle souhaitait un procès pour démontrer que la première loi Léonetti ne répondait aux attentes de son fils. Peu de temps avant son décès, le 5 août 2018, elle écrivait aux députés Jean Léonetti et Alain Claeys que tel était toujours le cas.

Philippe Bataille

Sociologue, Directeur d'études à l'EHESS, membre du Centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin

Mots-clés

Euthanasie

Notes

[1] Anne Bert, Le tout dernier été, éditions Fayard, 2017.

[2] L’affaire du docteur Méheut-Ferron éclate brusquement en Normandie le 8 janvier 2020. Il lui est reproché d’avoir utilisé du Midazolam en faible quantité, mais plusieurs fois, pour aider des patients en phase terminale d’un cancer d’éviter une longue agonie.

[3] Vincent Humbert, Je vous demande le droit de mourir, éditions J’ai lu, 2004.

[4] Marie Humbert annonce son intention d’aider son fils à mourir le 21 septembre 2003 dans l’émission « Sept à huit », passant à l’acte le 24 septembre. Elle sera mise en examen, ainsi que le docteur Chaussoy, le 27 septembre 2003 ; elle est relaxée contre son gré le 27 février 2006. Elle souhaitait un procès pour démontrer que la première loi Léonetti ne répondait aux attentes de son fils. Peu de temps avant son décès, le 5 août 2018, elle écrivait aux députés Jean Léonetti et Alain Claeys que tel était toujours le cas.