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Réinterroger le soleil – Frantz Fanon et la question écologique

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Malgré les menaces de prescription qui pèsent sur les plaintes déposées par sept associations de Guadeloupe et de Martinique pour empoisonnement au chlordécone, la mobilisation continue. Comme il y a une semaine, lors de la marche mondiale contre Monsanto, marquée par les revendications d’une écologie décoloniale. Des combats qu’on trouvait déjà dans Les Damnés de la Terre de Frantz Fanon, interdit à sa sortie en France en 1961, ce livre à la mémoire des vaincus et des disparus, des humains et des espèces éteintes, mérite d’être (re)lu aujourd’hui.

La dangerosité du chlordécone, ce pesticide organochloré et cancérogène, était connue. Il avait été interdit aux États-Unis dès 1977. Mais il a été autorisé de façon dérogatoire dans les Antilles jusqu’en 1993, provoquant de terribles conséquences sanitaires, écologiques et économiques. Le gouvernement a récemment annoncé un plan « Chlordécone IV » pour la période 2021-2027.

Une commission d’enquête de l’Assemblée nationale a rappelé que l’État est bien le premier responsable de l’emploi de ce produit qui a ravagé à la fois les sols, les eaux et les êtres humains et non-humains. Ses effets persistent encore aujourd’hui, et pour longtemps. Plus encore, son usage, inscrit dans les structures sociales héritées du colonialisme [1], montre comment violences coloniales et écologiques sont indissociables.

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Elles ne sont pourtant pas toujours reliées. « En laissant de côté la question coloniale, les écologistes négligent le fait que les colonisations historiques tout autant que le racisme structurel contemporain sont au centre des manières destructrices d’habiter la Terre. En laissant de côté la question environnementale et animale, les mouvements antiracistes et postcoloniaux passent à côté des formes de violence qui exacerbent les dominations des personnes en esclavage, des colonisés et des femmes racisées [2] » écrit Malcom Ferdinand. Sans souscrire à une telle généralisation au sujet des actions militantes, cette analyse reste forte. Non seulement les inégalités s’aggravent mutuellement mais une même logique en est à l’origine : certaines vies et certains sols ont été détruits ensemble parce que jugés moins valables que d’autres et utiles à l’enrichissement d’une minorité.

Frantz Fanon, psychiatre et militant né justement aux Antilles françaises, penseur de la domination coloniale, décrivait déjà une Europe qui « s’est enflée de façon démesurée de l’or et des matières premières des pays coloniaux [3] » jusqu’à devenir « littéralement la création du tiers monde 


[1] Sur cette question, voir par exemple l’excellente émission LSD, La Série Documentaire, sur France Culture, « Les Antilles françaises enchainées à l’esclavage », documentaire de Stéphane Bonnefoi réalisé par Diphy Mariani, et notamment le quatrième épisode, « Chlordécone, un polluant néocolonial », diffusé le 9 mai 2019.

[2] Malcom Ferdinand, Une écologie décoloniale. Penser l’écologie depuis le monde caribéen, Éditions du Seuil, 2019

[3] Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, La Découverte, 2004, p. 99. L’édition originale a été publiée en 1961 aux éditions François Maspero. Les Damnés de la terre est une œuvre dense et ce n’est pas un simple article qui prétendra couvrir toute l’actualisation potentielle de ses problématiques. J’ouvre ici des pistes de réflexions subjectives, qui se basent notamment sur le premier chapitre, intitulé « De la violence », pistes qui sont surtout une invitation à lire ou relire Fanon.

[4] Dans l’émission « Grandes traversées » consacrée à Frantz Fanon. Anaïs Kien, « Grandes traversées : Frantz Fanon, l’indocile », France Culture, août 2020. Alice Cherki, qui a bien connu Fanon dans ses fonctions à l’hôpital psychiatrique de Blida, a formulé une invitation similaire dans le passionnant portrait qu’elle lui consacre, rappelant qu’ « une œuvre appartient à ceux qui la lisent, et chaque lecteur, de génération en génération, est libre de commenter et d’interpréter celle de Fanon comme il l’entend ». Alice Cherki, Frantz Fanon, Portrait, Éditions du Seuil, 2000.

[5] Andreas Malm, Comment saboter un pipeline, La Fabrique Éditions, 2020

[6] Françoise Vergès, Un féminisme décolonial, La Fabrique éditions, 2019, p.96

Antoine Hardy

Politiste

Notes

[1] Sur cette question, voir par exemple l’excellente émission LSD, La Série Documentaire, sur France Culture, « Les Antilles françaises enchainées à l’esclavage », documentaire de Stéphane Bonnefoi réalisé par Diphy Mariani, et notamment le quatrième épisode, « Chlordécone, un polluant néocolonial », diffusé le 9 mai 2019.

[2] Malcom Ferdinand, Une écologie décoloniale. Penser l’écologie depuis le monde caribéen, Éditions du Seuil, 2019

[3] Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, La Découverte, 2004, p. 99. L’édition originale a été publiée en 1961 aux éditions François Maspero. Les Damnés de la terre est une œuvre dense et ce n’est pas un simple article qui prétendra couvrir toute l’actualisation potentielle de ses problématiques. J’ouvre ici des pistes de réflexions subjectives, qui se basent notamment sur le premier chapitre, intitulé « De la violence », pistes qui sont surtout une invitation à lire ou relire Fanon.

[4] Dans l’émission « Grandes traversées » consacrée à Frantz Fanon. Anaïs Kien, « Grandes traversées : Frantz Fanon, l’indocile », France Culture, août 2020. Alice Cherki, qui a bien connu Fanon dans ses fonctions à l’hôpital psychiatrique de Blida, a formulé une invitation similaire dans le passionnant portrait qu’elle lui consacre, rappelant qu’ « une œuvre appartient à ceux qui la lisent, et chaque lecteur, de génération en génération, est libre de commenter et d’interpréter celle de Fanon comme il l’entend ». Alice Cherki, Frantz Fanon, Portrait, Éditions du Seuil, 2000.

[5] Andreas Malm, Comment saboter un pipeline, La Fabrique Éditions, 2020

[6] Françoise Vergès, Un féminisme décolonial, La Fabrique éditions, 2019, p.96