Politique

L’éolien en campagne électorale

Femme politique

Les éoliennes clivent de plus en plus le débat politique. L’un des arguments massue des anti-éoliens, dont le nombre a explosé pendant les élections régionales, est de dénoncer le caractère anti-écologique d’une énergie déployée pour des raisons écologiques. Un argumentaire paradoxal qui fait mouche, qu’il faut prendre au sérieux pour mieux y répondre.

« Raconte-moi une histoire. Crée une icône célèbre de l’énergie éolienne. Ce modèle reflète l’élégance et le mouvement gracieux d’une éolienne traditionnelle.
La structure mesure environ 1 mètre de haut, s’élevant au-dessus d’une colline boisée et d’une maison accueillante avec un patio meublé, une boîte aux lettres, des fleurs et une clôture blanche. Tourne la nacelle dans la direction de ton choix et active le moteur inclus pour faire tourner les pales réglables de l’éolienne. Tu peux aussi allumer la lumière du porche de la maison. Et quand il est temps de faire la révision, amène les techniciens dans leur camionnette, avec des portes qui s’ouvrent et un compartiment à outils rétractable. Développe ton imagination avec cet hommage Lego rendu aux innovateurs du passé et aux designers de demain ! Inclut trois figurines : une femme et deux techniciens (sic). »

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En novembre 2018, juste à temps pour les fêtes de Noël, la firme danoise commercialisait ce modèle d’éolienne de 826 pièces, en partenariat avec une autre entreprise danoise, Vestas, l’un des leaders mondiaux de leur construction. Dans son argumentaire, Lego mettait l’accent sur la beauté de ce grand oiseau artificiel, le confort procuré par l’électricité et le savoir-faire technique qu’il représente. Qui n’aurait rêvé d’habiter la petite maison blanche avec des fleurs ? Ultime raffinement, les briques de construction étaient en plastique issues de la canne à sucre.

Moins de trois ans plus tard, les éoliennes se sont muées en intruses, voire en monstres. « Barbara Pompili ne sera plus qu’un mauvais souvenir dans 40 ans lorsqu’il faudra recycler les pales des éoliennes : du béton dans les sols ruraux, dégâts sur la biodiversité, destruction du patrimoine naturel, elle tombe sous le coup de la loi écocide qu’elle a fait voter », twittait ce 28 mai 2021 le médiatique Stéphane Bern, alors que la ministre de l’Écologie venait d’assumer de doubler le nombre d’éoliennes d’ici 2028 lors d’une conférence de presse.

Comme l’exprime la déclaration du président de la Fondation pour l’histoire et le patrimoine – avec toutes les limites d’une attaque personnelle d’une grande virulence –, l’un des arguments massue des anti-éoliens, dont le nombre a explosé pendant les élections régionales, est de dénoncer le caractère anti-écologique d’une énergie déployée pour des raisons éco-logiques. Un argumentaire paradoxal qui fait mouche.

Et pourtant, la montée en puissance de l’énergie éolienne était encore vue récemment de manière nettement majoritaire par les Français comme un élément d’une stratégie énergétique réfléchie et positive. Une étude réalisée en 2018 par l’institut Harris Interactive pour France Énergie Éolienne, association qui représente ce secteur, indiquait que les qualificatifs les plus utilisés pour l’évoquer étaient « sa propreté (87 %), son caractère inépuisable (84 %), sa modernité (77 %), les sources de revenus pour les territoires (76 %) et l’alternative que représente l’éolien au nucléaire et aux énergies fossiles (75 %) ».

En revanche, l’insertion paysagère restait compliquée, y compris pour les personnes favorables : seulement 44 % des personnes interrogées estimaient que les éoliennes avaient un impact minime sur le paysage. Selon une enquête fin de 2020 du même institut, 76 % des Français gardent cependant une « bonne image de l’énergie éolienne », soit 3 points de plus qu’en 2018.

L’un des piliers de l’objectif de neutralité carbone en 2050, défini à l’échelle européenne, est le développement des énergies renouvelables, et particulièrement de l’électricité photovoltaïque et par le vent (terrestre et en mer) pour sortir d’une grande dépendance aux énergies fossiles et de leur substituer de l’électricité « propre ». Il s’agit aussi de modifier en profondeur la relation des sociétés à l’énergie – baisse de la consommation et de la production, culture de la sobriété.

En France, la consommation d’énergie devrait ainsi être divisée par deux d’ici 2050, avec une montée en puissance de l’électricité par rapport aux autres sources. Élément de complexité supplémentaire pour notre pays, l’objectif de neutralité carbone se double d’une réduction progressive de la part de l’électricité d’origine nucléaire au profit des énergies renouvelables. Si cette diminution n’est pas justifiée par la décarbonation – l’électricité nucléaire étant décarbonée –, les arguments en faveur de cette réduction du nucléaire sont nombreux. Il s’agit de diversifier les modes de production électriques, de prendre la mesure de certaines caractéristiques même du nucléaire – gestion des déchets, risques – et, à la faveur du déploiement des renouvelables, de rapprocher progressivement les systèmes de production électriques des différents pays européens.

Cette diminution de la part du nucléaire inscrite dans la loi pour la transition énergétique et la croissance verte du 17 août 2015, initialement prévue pour 2025, avait été repoussée à 2035 durant l’automne 2017, par la voix de l’ancien ministre de la Transition écologique et solidaire Nicolas Hulot.

Si les arguments échangés aujourd’hui entre le gouvernement et ses détracteurs sur l’éolien se concentrent d’abord sur les enjeux écologiques, la diminution progressive de la place du nucléaire dans la production d’électricité que représente le déploiement des renouvelables ne doit jamais être oubliée. C’est un enjeu puissant sur le plan symbolique et industriel.

Dans les années 1970, la filière nucléaire française a été construite pour surmonter la crise énergétique liées aux chocs pétroliers et échapper ainsi à une trop grande dépendance aux énergies fossiles. Le déploiement de l’éolien en parallèle d’une diminution de la part du nucléaire remet aussi en cause un certain modèle français. À l’inverse, les retards dans ce déploiement conduiront inévitablement à programmer la construction de nouvelles centrales nucléaires dans un parc français vieillissant. Un choix stratégique qui pourrait être fait après les élections présidentielles.

Car les choses restent ouvertes. Tout en s’étant fixé un objectif de diminution de la part du nucléaire sur son territoire, la France continue de promouvoir cette technique à l’international – en Inde, au Royaume-Uni, en Pologne – et de parier sur son avenir. Démontrer les limites de l’éolien bénéficie incontestablement au nucléaire. On peut s’en réjouir, le déplorer, mais certainement pas l’ignorer. Et reconnaître qu’installer l’éolien sur notre territoire est aussi plus compliqué qu’ailleurs, comme en Allemagne ou au Danemark, pour des raisons historiques, économiques et politiques.

Dans les régions où l’éolien est très présent, des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour réclamer un partage du fardeau.

Faut-il pour autant écarter les critiques vis-à-vis de l’éolien au motif d’obscurantisme, ou à raison de l’égoïsme de quelques propriétaires de résidences secondaires fortunés ? Ce serait trop simple.  Les mobilisations récentes ont relativisé cette image d’Épinal. Entre ceux qui sont inquiets de la perte de valeur de leur bien ou qui craignent pour leur santé, les pêcheurs et certains agriculteurs, les amoureux des oiseaux, des îles et des paysages marins, la sociologie des anti-éoliens est assez inédite. Si le déploiement des éoliennes correspond bien à une stratégie réfléchie, pourquoi alors donne-t-il de plus en plus le sentiment de tomber du ciel sur les territoires ? Est-ce une question de procédures ? De démocratie ? De contradiction entre la promesse écologique et la réalité vécue ?

La méfiance à l’égard de l’éolien ne date pas d’hier. Il faut en moyenne en France près de dix ans pour faire déboucher un projet, tandis qu’il en faut cinq ailleurs en Europe, en Allemagne ou au Danemark par exemple. Il existait une hostilité à bas bruit. Les recours – essentiellement au motif de l’absence d’association des citoyens – se sont multipliés contre les zones de développement de l’éolien (ZDE) qui organisaient l’aménagement du territoire jusqu’en 2013, au point que la loi Brottes finisse par organiser leur suppression ; leur remise en cause systématique avait fini par fragiliser les projets éoliens eux-mêmes.

Avoir supprimé les ZDE n’a pas pour autant stoppé la contestation. Ce sont à la fois les insuffisances de la concertation avec les habitants, les nuisances, l’atteinte aux paysages, les interrogations sur la santé qui ont motivé ces actions, sans oublier ceux des concurrents écartés. En réponse à la multiplication des recours juridiques, les procédures applicables ont été modifiées, en supprimant un degré de juridiction pour réduire les délais : pour l’éolien terrestre ce sont les cours administratives d’appel qui sont compétentes en premier et dernier ressort depuis 2018, pour l’éolien en mer le Conseil d’État depuis 2021. Au risque que les opposants crient au déni de justice.

Terrains militaires, zones couvertes par des radars, proximité avec des bâtiments classés, respect de sites naturels classés, couloirs de migrations des oiseaux… 47 % du territoire français est interdit à l’implantation d’éoliennes. Et un nouveau régime concernant les radars militaires vient de faire passer la zone d’interdiction de 30 à 70 km. Pas étonnant que les débats autour de l’aménagement soient devenus incessants. Dans les régions où l’éolien est très présent, comme les Hauts-de-France et le Grand Est, des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour réclamer un partage du fardeau.

L’anarchie, le désordre, la multiplication des mâts, la concentration géographique des projets sont pointés tour à tour. Cette situation traduit de vrais manques lorsqu’il s’agit de s’interroger en amont sur les possibilités d’implantation sur telle ou telle portion de territoire. Où est passée la fameuse culture de l’aménagement du territoire qu’incarnait la DATAR [1] ? Ne serait-ce pas le moment de lui redonner vie ?

Que l’éolien soit une énergie décentralisée n’aurait pas dû dispenser d’une méthode partagée plus claire pour son déploiement. Ni la loi de 2015 sur la transition énergétique qui fixait des objectifs ambitieux aux renouvelables, ni la programmation pluriannuelle de l’énergie n’ont été adossées à un schéma territorial préalable partagé ou à un processus de travail conjoint entre les acteurs du territoire concernés. Ce ne sont pas les documents qui ont manqué – schémas régionaux, schémas de cohérence territoriale… – mais, trop souvent, une véritable logique de coopération et de dialogue entre les représentants de l’État et les élus, les acteurs publics et privés et les citoyens.

Aujourd’hui, on observe un peu partout une montée des tensions entre les élus et les préfets qui prennent la décision d’autoriser l’éolien; elle tient aussi à la pression de certains habitants par ailleurs électeurs. L’éolien ou plutôt l’anti-éolien est bien devenu un sujet de campagne électorale, comme en a témoigné la croisade de Xavier Bertrand, président des Hauts-de-France.

En votant en juin 2021 un droit de veto des maires sur l’implantation d’éoliennes sur leurs communes, le Sénat a mis un coup de projecteur sur cette situation. Le 28 mai, Barbara Pompili donnait quant à elle instruction aux préfets de réaliser une cartographie des sites susceptibles de permettre les installations. En choisissant de relancer l’éolien en mer, autour de projets qui existent depuis plusieurs années – Saint-Nazaire, Fécamp, Courseulles, Dunkerque, Noirmoutier, le parc flottant du Golfe du Lion en Méditerranée ou encore ces derniers mois au large du Cotentin –, le gouvernement veut aussi contourner ces obstacles à terre. Las, même en mer rien n’est simple, et les mobilisations de pêcheurs prennent de l’ampleur.

Face à cette dynamique industrielle et économique, des malentendus s’accumulent avec une partie de la population inquiète de ses coûts sociaux.

L’aménagement du territoire n’explique pas tout. Les interrogations autour de l’éolien tirent aussi leur légitimité des tensions entre les manières de voir la transition écologique, autour de la place à donner à la préservation de la nature, à la sobriété, à la modification des fonctionnements économiques.

L’éolien est incontestablement plus high-tech que low-tech. Ces machines ont une réalité, un fonctionnement, nécessitent des infrastructures pour distribuer et stocker l’énergie. Envisager l’éolien, c’est aussi envisager un rapport au monde qui donne une place importante à la technique. Que la transition écologique puisse avoir besoin d’un déploiement massif de ces machines impressionnantes est quelque part contre-intuitif, dans une société qui s’est progressivement désindustrialisée.

Les réticences dites « paysagères » reflètent aussi ce sentiment. « Nous, on considère que ce sont des projets obsolètes. Ils ont été imaginés il y a quinze ans, or, en quinze ans, il y a eu des évolutions par rapport aux économies d’énergie… Avec tout cet argent public jeté à la mer, on pourrait par exemple isoler toutes les maisons de France », déclarait récemment Sylvain Gallais, patron pêcheur vendéen manifestant contre l’éolien en mer.

Rien de plus évident pour les acteurs économiques et les gouvernements que de verdir et d’inventer de nouvelles techniques, de susciter des capitaines d’industrie, de modifier des stratégies d’entreprises pour assurer la transition énergétique. La construction de l’usine Gamesa Siemens de fabrication d’éoliennes au Havre est venue compenser la fermeture de l’ancienne centrale thermique au charbon au printemps 2021. Croissance de certaines activités au détriment d’autres, investissements d’avenir, recherche de nouveaux procédés, innovation. L’éolien, industrie mondialisée, s’inscrit dans une logique concurrentielle, usines en Chine, en Allemagne ou au Portugal, constructeurs en Allemagne, au Danemark, sites de production partout dans le monde et énergie revendue sur un marché à travers l’Europe.

Face à cette dynamique industrielle et économique, des malentendus s’accumulent avec une partie de la population inquiète de ses coûts sociaux, méfiante vis-à-vis d’une innovation dont elle soupçonne que les ressorts réels lui échappent, et qui pourtant envahit physiquement son espace. Le principe même d’une industrie verte est questionné. Les débats autour du recyclage des pales ou de la localisation des usines et des emplois reflètent cette suspicion. Pour être crédible, l’éolien devrait être 100 % français, totalement recyclable, et non capitaliste. Un service public de l’électricité relocalisé mais visible a minima. Une sorte d’équation impossible.

Peut-on sortir de l’impasse? Est-on au bord de l’apparition de zadistes anti-éoliens ? Les mobilisations contre l’éolien font paradoxalement écho à celles qui existaient dans les années 1970 au moment de la construction des centrales nucléaires. Le risque existe que s’organise une fronde qui ferait de ce sujet un nouvel exemple des conflits entre le haut et le bas, les métropoles et la ruralité, la préservation de la nature et la transformation du modèle économique et social.

Au sortir du Grenelle de l’environnement, il y a plus de 10 ans, après des débats déjà vifs sur la place à donner à cette énergie du vent, certaines voix s’étaient exprimées pour mettre en garde sur une vision trop technique, et la nécessité d’associer les citoyens aux choix. Finalement, la décennie a été marquée par l’indécision et les tâtonnements sur cet enjeu de la participation citoyenne, et celle-ci est en passe d’être récupérée par le mouvement anti-éolien.

Certes, la Commission nationale du débat public (CNDP), qui possède une expérience nourrie des débats sur ce sujet, a développé une vraie doctrine; les enseignements du récent débat sur l’éolien en mer en Normandie (2019) sont ainsi intéressants, les participants ayant notamment travaillé sur des schémas géographiques d’implantation du futur parc. Et des initiatives d’éolien citoyen existent, par exemple autour d’Enercoop qui promeut des parcs propriété des collectivités locales et de collectifs d’habitants.

Il reste que ces orientations ne peuvent à elles seules rétablir la confiance. Ces expériences locales, concernant des parcs de taille limitée, pourraient même conduire à opposer un « bon éolien » à un éolien à contester, celui des projets d’envergure et des appels d’offres. L’éolien local contre l’éolien global. Or, le calendrier de déploiement prévu par la programmation pluriannuelle de l’énergie donne aux appels d’offre et aux champs importants une priorité centrale.

Aujourd’hui les procédures de débat démocratique sur l’énergie manquent clairement à l’échelon national. Si un débat avec les citoyens organisé par la CNDP existe bien concernant la programmation pluriannuelle de l’énergie, Chantal Jouanno, sa présidente, soulignait de manière critique en 2020 dans son compte-rendu que « nos concitoyens considèrent que la participation est un leurre pour cautionner des décisions déjà prises ».

Et surtout les citoyens mériteraient de pouvoir s’appuyer sur les instances parlementaires. En 2015 le vote de la loi sur la transition énergétique avait été un moment solennel et symbolique. Mais cela ne s’est pas ensuite traduit par une modification des rapports de force institutionnels. La politique énergétique reste d’abord l’apanage du gouvernement, et le Parlement reste largement absent des choix effectués, sans doute par héritage de la tradition de secret issue du nucléaire.

Les débats actuels sur l’éolien ont au moins le mérite de montrer que la situation actuelle est à la fois insatisfaisante et source de confusion. Indéniablement, le Parlement devrait jouer sur ces sujets un rôle plus important comme ce qui se passe par exemple à l’échelle européenne. Sinon, les enjeux énergétiques de demain resteront traités sans vision d’ensemble, de manière souvent anecdotique, et peuvent devenir un nouveau foyer de crispation entre les citoyens et leurs représentants.

 


[1] La délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (DATAR) est une administration française ayant existé entre 1963 et 2014. Elle a alors fusionné avec la Comité interministériel des villes (CIV) et de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (Acsé).

Lucile Schmid

Femme politique, Vice-présidente de la Fabrique écologique

Notes

[1] La délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (DATAR) est une administration française ayant existé entre 1963 et 2014. Elle a alors fusionné avec la Comité interministériel des villes (CIV) et de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (Acsé).