Société

Les deux crises ou de la migration au temps du Covid

Critique

Sans doute est-il difficile pour l’opinion publique de penser deux crises en même temps. Entre crise migratoire et crise sanitaire, la seconde aura chassé la première, qui pourtant la précédait. C’est qu’elles se ressemblent énormément : reliant espace et temps, expériences collective et individuelle, elles appellent toutes deux à prendre la responsabilité de sauver non pas l’humanité entière de demain, mais une partie de l’humanité qui demande à l’être aujourd’hui.

Camus en eut l’intuition : « Ainsi la première chose que la peste apporta à nos concitoyens fut l’exil [1] ». Mais si La Peste a rapidement gagné la première place dans la playlist littéraire de la pandémie, la métaphore de Camus, filée tout au long du livre, n’a guère été retenue. Le drame migratoire a été oublié ou, du moins, a-t-il glissé hors des radars médiatiques sauf en cas d’événements spectaculaires, tels que l’entrée de 8 000 à 9 000 migrants dans l’enclave espagnole de Ceuta la semaine du 17 mai dernier.

Sans doute est-il difficile pour l’opinion publique de penser deux crises en même temps, migratoire et sanitaire – en retenant la seule validité au niveau perceptif de la notion de crise, à l’endroit des phénomènes visés.

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La notion de crise est totalitaire car, une fois une crise identifiée, elle tend à occuper tout l’espace réflexif. L’écologie politique a eu du mal à s’imposer car le discours visant à montrer que la crise environnementale est liée à une crise sociale qui est liée à une crise économique qui est liée à une crise politique est peu audible. Parlez-nous de l’Amazonie, de la banquise et des baleines, cela suffira pour l’instant. Plus tard, nous réfléchirons sur le chômage. Ou sur la migration.

Justement, l’exemple est pertinent : entre climat et migration, le lien est évident et il n’y a pas lieu de dissocier les deux crises, puisque les estimations prévoient entre 150 et 200 millions de migrants climatiques pour 2050, alors que le statut juridique correspondant, réfugié climatique, n’existe pas dans le droit européen. Ils/elles devront partir parce que les conditions environnementales (désertification, montée des eaux, catastrophe nucléaire ou écologique…) ne leur permettront plus de vivre normalement dans le lieu où ils demeuraient. Or, si nous – un « nous » planétaire – sommes responsables du changement climatique, nous sommes aussi responsables de ses conséquences et, par exemple, de l’accueil du migrant environnemental. De COP


[1] Albert Camus, La Peste, 1e édition 1947, Folio, 2014.

[2] Barbara Stiegler, De la démocratie en Pandémie, Gallimard, 2021.

[3] Andrée Chedid, Le sixième jour, 1e édition 1960, Librio, 2016.

Alexis Nouss

Critique, Professeur en littérature générale et comparée

Mots-clés

ClimatCovid-19

Notes

[1] Albert Camus, La Peste, 1e édition 1947, Folio, 2014.

[2] Barbara Stiegler, De la démocratie en Pandémie, Gallimard, 2021.

[3] Andrée Chedid, Le sixième jour, 1e édition 1960, Librio, 2016.