Numérique

Le blanchiment des images

Artiste et chercheur, Artiste et chercheuse

Par leur diffusion et leur utilisation massive, les banques d’images appartiennent manifestement à la catégorie des « technologies hégémoniques » : d’où l’intérêt de prêter un peu plus attention aux imaginaires qu’elles véhiculent. Une réflexion des artistes Stéphane Degoutin et Gwenola Wagon au moment où s’ouvre leur exposition « Le culte du Nuage » dans le cadre de la Biennale Internationale du Design de Saint-Étienne.

Monoculture de l’image

Les photographies de banques d’images ou images de stock[1] tapissent tout notre univers visuel. Elles recouvrent les murs des villes, des transports, des écrans, des médias. Elles nourrissent les films les plus divers, les documentaires à la télévision, les publicités, les magazines, les rapports annuels d’entreprises, les articles « pièges à clics », les packagings alimentaires, les emballages de produits high-tech, les emails, les mèmes, les cartes de vœux personnalisées, les bâches de chantiers, les flancs des voitures de location…

Au début du XXIe siècle, les images de stock sont soudain devenues ubiquitaires. Avec la diffusion en ligne et l’apparition de portails low cost – ou « microstocks » – tels que Shutterstock, iStockPhoto, Dreamstime, Fotolia ou Bigstockphoto[2] –, les catalogues grossissent dans des proportions inédites[3]. Les photographies, dessins, modélisations 3D et vidéos[4] sont produits à la chaîne et vendus à prix cassés (à partir de 25 cents). Leur utilisation massive les rend omniprésentes dans nos vies.

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En 2021, le leader du marché, Shutterstock, propose plus d’un milliard de médias, dont 315 millions de photographies, un très grand nombre de vidéos, d’illustrations et de pistes sonores. Ces chiffres impressionnants sont atteints grâce au même système de plateforme qui est à l’origine du succès d’Uber, Airbnb ou Deliveroo et qui généralise le travail à la tâche – ou « tâcheronnisation ».

L’artiste Aniara Rodado désigne par l’expression « technologies hégémoniques[5] » des systèmes – qui ne sont pas nécessairement digitaux, ni machiniques – qui s’imposent à tous et partout, au détriment d’autres formes de médiation. Par leur diffusion et leur utilisation massive, les banques d’images appartiennent manifestement à cette catégorie : il est donc nécessaire d’observer plus en détail le monde qu’elles dépeignent.

Les images de stock semblent couvrir tous les champs du possible. Elles peuvent illustrer des situatio


[1] L’expression étasunienne « images de stock » est à la fois plus précise et plus parlante. Dans cet article, il s’agit en réalité d’analyser ce que l’on nomme les « microstocks » (cf. plus bas).

[2] Toutes créées dans les années 2000, elles prennent la suite des conglomérats de type Corbis (créée en 1989) ou Getty (créée en 1995), plus chères et plus spécialisées dans les photos d’actualité et les images historiques.

[3] Le recours massif aux images de stock coïncide également avec la complexification du droit à l’image et l’hétérogénéité des licences suivant les pays, qui rendent difficile la tâche des éditeurs et utilisateurs. L’achat d’images de stock permet de se prémunir de tout risque.

[4] Ici, nous nous intéresserons plus spécifiquement aux photographies.

[5] Dans sa thèse de doctorat actuellement en cours d’écriture.

[6] Ces exemples sont tirés de la compilation : « 50 Weirdest Stock Photos You Won’t Be Able to Unsee »

[7] Voir aussi le Tumblr « women laughing alone with salad »

[8] Sheila Callaghan, Women Laughing Alone with Salad.

[9] Megan Garber, « The Tao of Shutterstock: What Makes a Stock Photo a Stock Photo? And how do photographers know that I’ll need a picture of the sun streaming through clouds? », The Atlantic, 18 mai 2012.

[10] Le mot est utilisé ici dans son sens anglais, pour désigner une figure récurrente, qu’il s’agisse d’un procédé narratif, d’une image ou d’un motif cinématographique.

[11] AMÉLIPOULANISER v. tr. dérivé de Le fabuleux destin d’Amélie Poulain. Montrer la vie comme s’il s’agissait d’une carte postale. Syn.: auto-exotiser.

[12] Mona Chollet, Beauté fatale. Les nouveaux visages d’une aliénation féminine, La Découverte, 2012, p.34.

[13] Vinciane Despret, Penser comme un rat, Quae, 2016.

[14] George Orwell, 1984, Secker and Warburg, 1949.

Stéphane Degoutin

Artiste et chercheur, Enseignant à l'École des Arts Décoratifs de Paris (ENSAD)

Gwenola Wagon

Artiste et chercheuse, Maître de conférences en Arts plastiques à l'Université Paris 8

Notes

[1] L’expression étasunienne « images de stock » est à la fois plus précise et plus parlante. Dans cet article, il s’agit en réalité d’analyser ce que l’on nomme les « microstocks » (cf. plus bas).

[2] Toutes créées dans les années 2000, elles prennent la suite des conglomérats de type Corbis (créée en 1989) ou Getty (créée en 1995), plus chères et plus spécialisées dans les photos d’actualité et les images historiques.

[3] Le recours massif aux images de stock coïncide également avec la complexification du droit à l’image et l’hétérogénéité des licences suivant les pays, qui rendent difficile la tâche des éditeurs et utilisateurs. L’achat d’images de stock permet de se prémunir de tout risque.

[4] Ici, nous nous intéresserons plus spécifiquement aux photographies.

[5] Dans sa thèse de doctorat actuellement en cours d’écriture.

[6] Ces exemples sont tirés de la compilation : « 50 Weirdest Stock Photos You Won’t Be Able to Unsee »

[7] Voir aussi le Tumblr « women laughing alone with salad »

[8] Sheila Callaghan, Women Laughing Alone with Salad.

[9] Megan Garber, « The Tao of Shutterstock: What Makes a Stock Photo a Stock Photo? And how do photographers know that I’ll need a picture of the sun streaming through clouds? », The Atlantic, 18 mai 2012.

[10] Le mot est utilisé ici dans son sens anglais, pour désigner une figure récurrente, qu’il s’agisse d’un procédé narratif, d’une image ou d’un motif cinématographique.

[11] AMÉLIPOULANISER v. tr. dérivé de Le fabuleux destin d’Amélie Poulain. Montrer la vie comme s’il s’agissait d’une carte postale. Syn.: auto-exotiser.

[12] Mona Chollet, Beauté fatale. Les nouveaux visages d’une aliénation féminine, La Découverte, 2012, p.34.

[13] Vinciane Despret, Penser comme un rat, Quae, 2016.

[14] George Orwell, 1984, Secker and Warburg, 1949.