Société

Dissolutions administratives : le contrôle à géométrie variable du Conseil d’État

Juriste

Nombre d’acteurs inquiets du tournant répressif en matière de dissolution d’associations ont pu être confortés par la toute récente décision du Conseil d’État de suspendre le décret prononçant la dissolution du Groupement Antifasciste de Lyon et Environs (GALE). Mais la validation par le Conseil d’État de la dissolution du Collectif Contre l’Islamophobie en France (CCIF), il y a seulement huit mois, laisse entrevoir des limites différentielles placées sur la liberté d’expression comme sur la raison d’être de telle ou telle association.

Avec la suspension du décret prononçant la dissolution du Groupement Antifasciste de Lyon et Environs (GALE), c’est donc sur un cinglant désaveu infligé par le Conseil d’État que M. Gérald Darmanin a quitté le 16 mai 2022 le ministère de l’Intérieur. À son bilan, il faudrait inscrire un renforcement inédit des forces organisationnelles et humaines du bureau en charge des dissolutions administratives, qui est notamment à l’origine du décret du 30 mars 2022 par lequel le président de la République avait prononcé la dissolution du GALE[1] pour trois motifs : provocation à des agissements violents contre les personnes et les biens, défaut de prévention et de sanction de divers agissements condamnables de ses membres, et provocation à la haine et à la violence.

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Le décret listait ainsi des actions violentes auxquelles le GALE aurait appelé ou pris part, dénonçait le discours violent et haineux déployé par l’association, notamment contre les forces de l’ordre, et présentait son usage des réseaux sociaux comme légitimant, de manière générale, ces discours violents. Or, sur ces trois points, le Conseil d’État juge excessif le raisonnement du ministère. Les « actions violentes » mentionnées par le décret de dissolution sont analysées par le juge soit comme ne concernant que trop indirectement l’association qui n’y aurait pas appelé directement, soit comme ne pouvant être assimilés « par leur nature, leur contexte et leur caractère isolé » à des agissements violents de nature à permettre l’actionnement des dispositions législatives autorisant la dissolution. Quant au fait de déployer un « discours très critique à l’égard de l’institution policière » ou dénonçant des « violences d’État », il ne saurait à lui seul caractériser la provocation à des agissements violents. Le juge souligne enfin que le fait que certains membres du GALE aient pris part à une manifestation au cours de laquelle des propos anti-police auraient été tenus ne saurait suffire à imputer leur respon


[1] Décret du 30 mars 2022, JO du 31 mars 2022.

[2] Conseil d’État, 16 mai 2022, décision n°462954.

[3] Art. L. 212-1 Code de la sécurité intérieure, dans sa version antérieure à la loi du 24 août 2021.

[4] À propos, notamment, de la dissolution en 1937 de l’Etoile Nord-Africaine : Romain Rambaud, « La loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées : l’arme de dissolution massive », Revue des droits et libertés fondamentales, 2015, chron. n°20.

[5] Un bilan croisé est accessible ici.

[6] Conseil d’État, 24 septembre 2021, n°449215.

[7] Conseil d’État, 24 septembre 2021, n°449215.

[8] Communiqué interassociatif signé par le Gisti, la Ligue des droits de l’Homme, Attac et al., « La dissolution du CCIF validée par le Conseil d’État : les associations en danger ! », 8 octobre 2021.

[9] Observatoire des libertés associatives, Enquête sur la répression des associations dans le cadre de la lutte contre l’islamisme, 2022.

[10] Conseil d’État, 26 avril 2022, n°462685.

[11] Conseil d’État, 29 avril 2022, n°462736 et n°462982.

Stéphanie Hennette Vauchez

Juriste, professeure de droit public à l’Université Paris Nanterre, Directrice du CREDOF (Centre de recherches et d’étude sur les droits fondamentaux)

Notes

[1] Décret du 30 mars 2022, JO du 31 mars 2022.

[2] Conseil d’État, 16 mai 2022, décision n°462954.

[3] Art. L. 212-1 Code de la sécurité intérieure, dans sa version antérieure à la loi du 24 août 2021.

[4] À propos, notamment, de la dissolution en 1937 de l’Etoile Nord-Africaine : Romain Rambaud, « La loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées : l’arme de dissolution massive », Revue des droits et libertés fondamentales, 2015, chron. n°20.

[5] Un bilan croisé est accessible ici.

[6] Conseil d’État, 24 septembre 2021, n°449215.

[7] Conseil d’État, 24 septembre 2021, n°449215.

[8] Communiqué interassociatif signé par le Gisti, la Ligue des droits de l’Homme, Attac et al., « La dissolution du CCIF validée par le Conseil d’État : les associations en danger ! », 8 octobre 2021.

[9] Observatoire des libertés associatives, Enquête sur la répression des associations dans le cadre de la lutte contre l’islamisme, 2022.

[10] Conseil d’État, 26 avril 2022, n°462685.

[11] Conseil d’État, 29 avril 2022, n°462736 et n°462982.