Société

La « doctrine Lallement » ou la conception illibérale de l’espace public

Philosophe

Vivement critiqué pour sa gestion de la finale de la Ligue des champions samedi soir au Stade de France, le Préfet de police de Paris Didier Lallement réserve une place particulière aux Brigades de répression de l’action violente motorisées (BRAV-M) dans sa doctrine de maintien de l’ordre. Souvent comparées aux anciens « voltigeurs », responsables de la mort de Malik Oussekine, les BRAV-M sont effectivement animées par une logique semblable, que l’on retrouve dans leurs interventions comme dans la symbolique qui les accompagne, en cohérence avec l’imaginaire liberticide qui se lit dans les prises de parole du Préfet Lallement.

Didier Lallement est vivement critiqué depuis samedi soir et la gestion de la finale de la Ligue des champions à Paris. Les interventions policières ont laissé sous le choc les supporters anglais et espagnols, qui ne connaissaient pas – à la différence des manifestants parisiens – la façon dont le préfet de police entend traiter l’espace public.

Objet de polémiques et d’appels à la démission récurrent, Didier Lallement est notamment connu pour avoir créé, dès son arrivée à Paris en mars 2019, les BRAV (Brigades de répression de l’action violente), dont les BRAV-M (les BRAV motorisées), qui se sont illustrées samedi soir : ces policiers vêtus de noirs arrivent dans les manifestations par groupes sur de puissantes motos.

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L’Observatoire parisien des libertés publiques (OPLP) a observé les pratiques de maintien de l’ordre sur plus de soixante manifestations depuis mai 2019. Il en ressort le fait que la BRAV-M est détestée des manifestants, qu’elle envenime les situations en usant de la violence de manière insensée, et qu’elle cristallise à elle seule la plupart des caractéristiques qui font de la « doctrine Lallement » l’expression d’une conception illibérale de l’espace public[1].

La BRAV-M est pourtant emblématique de l’action du préfet, qui semble en être fier au point d’arborer l’écusson de cette unité sur son blouson lors de sorties publiques. Elle est pourtant très décriée depuis sa création, notamment à cause de sa ressemblance avec les voltigeurs, responsables de la mort de Malik Oussekine, en 1986. Que signifie alors sa présence, depuis plus de trois ans, dans les manifestations ? Pourquoi Didier Lallement, malgré les polémiques à répétition, est-il maintenu en poste par le pouvoir exécutif ?

Les équipements, attitudes et positionnements donnent aux unités de BRAV-M un « style » qui les distingue au premier coup d’œil d’autres forces de l’ordre (FDO)[2] que l’on a l’habitude de voir sur la voie publique. Les BRAV-M sont souvent dénoncées comme une ren


[1] L’OPLP publiera prochainement un rapport sur la BRAV-M.

[2] Unités de la Police nationale ou de la Gendarmerie nationale, que nous désignerons par les expressions génériques de « police » ou « forces de l’ordre (FDO) ».

[3] Les agents sont principalement issus des Compagnies d’intervention (CI) de la Préfecture de police de Paris, et des Brigades anti-criminalité. Depuis octobre 2020, il existe au moins une BRAV-M permanente : la 24e CI.

[4] Lucas Lévy-Lajeunesse, « De l’encerclement des manifestations », AOC, 21 février 2022.

[5] Lire, à ce propos, Maintien de l’ordre, de David Dufresne, pp.206-212 : « Une panoplie qui, en soit, est une arme. Son usage suit une graduation très précise. Les forces de l’ordre enfilent telle ou telle tenue, en fonction de l’image qu’elles veulent produire. »

[6] Voir par exemple les vidéos, prises par un ancien membre de l’OPLP et par Rémy Buisine, où l’on voit des unités de BRAV-M se faire réprimander par d’autres policiers ou gendarmes, exaspérés de les voir envenimer une situation. Lire aussi Pascale Pascariello, « Les pratiques “illégales” du préfet Lallement », Mediapart, 7 mars 2020.

[7] Ceci est noté par les observateur·ices sur le terrain. Mais il suffit d’entrer « BRAV-M » dans le moteur de recherche Google images pour constater que le port de la cagoule est, sinon systématique, du moins très habituel au sein de cette unité. Le compte Instagram bravm_dopcsupport donne les mêmes indications.

[8] Cette interdiction a même été rappelée par le Ministère de l’Intérieur en décembre 2021, dans le Schéma national du maintien de l’ordre (2.7.2) : « Il est en outre rappelé que le port de la cagoule pour les personnels de ces unités intervenant en maintien de l’ordre est proscrit. »

[9] « Policiers encagoulés : “Il y a un risque de déshumanisation” », Le Parisien, 3 avril 2017.

[10] Voir, par exemple, les rapports d’observations de l’OPLP sur la journée du 16 novembre 2019, ou sur celle du 16 octobre 2021.

[11] Nicolas Chapuis et Ar

Lucas Lévy-Lajeunesse

Philosophe, professeur de philosophie en Seine-Saint-Denis, membre de l’Observatoire parisien des libertés publiques

Notes

[1] L’OPLP publiera prochainement un rapport sur la BRAV-M.

[2] Unités de la Police nationale ou de la Gendarmerie nationale, que nous désignerons par les expressions génériques de « police » ou « forces de l’ordre (FDO) ».

[3] Les agents sont principalement issus des Compagnies d’intervention (CI) de la Préfecture de police de Paris, et des Brigades anti-criminalité. Depuis octobre 2020, il existe au moins une BRAV-M permanente : la 24e CI.

[4] Lucas Lévy-Lajeunesse, « De l’encerclement des manifestations », AOC, 21 février 2022.

[5] Lire, à ce propos, Maintien de l’ordre, de David Dufresne, pp.206-212 : « Une panoplie qui, en soit, est une arme. Son usage suit une graduation très précise. Les forces de l’ordre enfilent telle ou telle tenue, en fonction de l’image qu’elles veulent produire. »

[6] Voir par exemple les vidéos, prises par un ancien membre de l’OPLP et par Rémy Buisine, où l’on voit des unités de BRAV-M se faire réprimander par d’autres policiers ou gendarmes, exaspérés de les voir envenimer une situation. Lire aussi Pascale Pascariello, « Les pratiques “illégales” du préfet Lallement », Mediapart, 7 mars 2020.

[7] Ceci est noté par les observateur·ices sur le terrain. Mais il suffit d’entrer « BRAV-M » dans le moteur de recherche Google images pour constater que le port de la cagoule est, sinon systématique, du moins très habituel au sein de cette unité. Le compte Instagram bravm_dopcsupport donne les mêmes indications.

[8] Cette interdiction a même été rappelée par le Ministère de l’Intérieur en décembre 2021, dans le Schéma national du maintien de l’ordre (2.7.2) : « Il est en outre rappelé que le port de la cagoule pour les personnels de ces unités intervenant en maintien de l’ordre est proscrit. »

[9] « Policiers encagoulés : “Il y a un risque de déshumanisation” », Le Parisien, 3 avril 2017.

[10] Voir, par exemple, les rapports d’observations de l’OPLP sur la journée du 16 novembre 2019, ou sur celle du 16 octobre 2021.

[11] Nicolas Chapuis et Ar