Société

La blonde, la brute et le backlash : sur le procès Depp/Heard

Sociologue du théâtre

À l’issue du procès en diffamation intenté par Johnny Depp, Amber Heard a été condamnée à lui verser plus de 10 millions de dollars de dommages-intérêts. Le verdict judiciaire aura ainsi redoublé la déferlante de haine sociale et professionnelle que Heard n’a pas fini d’écoper. Ce procès, sa médiatisation, son verdict nous regardent parce qu’ils nous disent où nous en sommes, en tant qu’opinion collective, des stéréotypes sexistes, en 2022.

Il m’a suivie jusqu’à ma piaule
Et j’ai crié vas-y mon loup !
Fais-moi mal, Johnny, Johnny, Johnny,
Envole-moi au ciel Zoum !
Fais-moi mal, Johnny, Johnny, Johnny,
Moi j’aime l’amour qui fait boum !
Boris Vian, 1955

Vous vous souvenez, dans le final de la saison 5 de Game of Thrones, la « marche de la honte » ? Cersei Lannister, la reine qu’on adorait détester, était tondue puis forcée à traverser la ville de Port Réal nue, sous les hurlements et les jets de pierre d’un peuple haineux et vengeur. Ironie du sort, ce châtiment lui était infligé par la secte religieuse fanatique qu’elle avait elle-même mise au pouvoir pour contrer l’influence d’une rivale.

Le but affiché de la sanction ? Lui faire expier ses (nombreux) péchés. Bien fait pour elle, c’était mérité. Pourtant, on ne pouvait qu’éprouver un malaise en regardant cette scène, autant du fait de la peine choisie que d’un doute quant à la teneur exacte de ce dont on la jugeait coupable. Parce qu’on sentait bien que la justice n’était qu’un prétexte, qu’il s’agissait surtout pour les spectateurs, qu’ils soient dans l’écran ou devant, d’assouvir une pulsion bien moins avouable.

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Marche de la honte destinée à faire intérioriser la loi morale à un sujet dépravé récalcitrant ou marche de l’humiliation par laquelle une multitude envieuse se cache derrière le moralisme et l’anonymat pour rabaisser celle qu’ils désirent autant qu’ils la jalousent ? Nombreux sont les parallèles entre cette scène fictive et celle, réelle mais largement mise en scène, du procès Depp/Heard. Entre les deux femmes et ce dont on les accuse, mais aussi dans le jeu d’ombres et de lumière qui leur donne le premier rôle mais aussi le mauvais.

Les actes des hommes et la réalité des faits, eux, sont relégués au second plan, de même que la nature trouble de ce que ressentent ceux et celles à qui on montre la scène et qui, loin de détourner la tête, la regardent jusqu’au fond. Peu importe tout ça, seul compte ce fait-ci : on sait bien qu’elles


[1] Carole Boinet, « Game of Thrones :  une scène de viol déclenche la polémique », Les Inrocks, 22 avril 2014.

[2] Sara Bobolts, « Me Too Founder Tarana Burke Reacts To Depp-Heard Trial Verdict », Huffington Post, 2 juin 2022.

[3] Susan Faludi, Backlash. The undeclared war against American women,  New York, Crown, 1991.

[4] David R. Spiegel, « I Testified in the Heard vs. Depp Trial. The Backlash Has Been Horrific », Newsweek, 6 mars 2022.

[5] Kate Manne, Down Girl : the logic of misogny, Oxford University Press, 2018.

[6] Bérénice Hamidi et Gaëlle Marti, entretien avec Sarah Al Matary, « Recadrer les scènes de viol », La Vie des idées, 25 février 2022.

Bérénice Hamidi

Sociologue du théâtre, professeure en études théâtrales à l'Université Lyon 2 et membre de l'Institut Universitaire de France

Notes

[1] Carole Boinet, « Game of Thrones :  une scène de viol déclenche la polémique », Les Inrocks, 22 avril 2014.

[2] Sara Bobolts, « Me Too Founder Tarana Burke Reacts To Depp-Heard Trial Verdict », Huffington Post, 2 juin 2022.

[3] Susan Faludi, Backlash. The undeclared war against American women,  New York, Crown, 1991.

[4] David R. Spiegel, « I Testified in the Heard vs. Depp Trial. The Backlash Has Been Horrific », Newsweek, 6 mars 2022.

[5] Kate Manne, Down Girl : the logic of misogny, Oxford University Press, 2018.

[6] Bérénice Hamidi et Gaëlle Marti, entretien avec Sarah Al Matary, « Recadrer les scènes de viol », La Vie des idées, 25 février 2022.