Politique

Extrême droite et inégalités sociales : leçons des législatives

Sociologue

Des analyses expéditives tendent à attribuer la montée de l’extrême droite, empreinte de virilisme, à la « France rurale et populaire ». Cet argumentaire se révèle une fiction qui sert principalement à voiler les courants traditionnels, machistes et conservateurs des grandes villes. On ne peut pas penser l’extrême droite uniquement en termes de classes sociales démunies et frustrées. Il faut aussi comprendre le goût de certaines et certains pour la violence, la destruction, la haine des autres. Le goût pour l’exclusion.

Les électeurs d’extrême droite, qu’ils soient riches ou pauvres, partagent un penchant vers les valeurs traditionnelles de la masculinité, un attachement à la nation et la volonté d’exclure ceux et celles perçu-es comme « étranger-es ». Patriotisme et virilisme vont de pair, et dépassent les frontières de classe. Ce constat met à mal des analyses expéditives qui ont attribué le vote d’extrême droite à la « France rurale et populaire » et la démonstration qui mobilise la perte de confiance dans les institutions des « pauvres », des « oubliés » de la globalisation, des populations qui auraient raté la modernité, seraient restées dans la tradition.

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Car le virilisme existe dans les classes supérieures. Il se voit dans les statistiques sur les violences faites aux femmes. Les grandes enquêtes nationales, ENVEFF et VIRAGE, s’accordent sur le fait qu’aucun groupe social ne possède le monopole de la violence faite aux femmes. Les auteurs de ces violences, comme les femmes victimes, proviennent autant des classes supérieures que des classes les plus démunies. #MeToo en fournit d’innombrables exemples.

Mais dire que le virilisme est un phénomène qui existe dans toutes les classes sociales ne signifie pas que les classes sociales n’existent plus. Au contraire, les débats autour du vote d’extrême droite montrent les stratégies d’attribution de la responsabilité des maux de la société aux personnes les plus démunies de ressources, contribuant ainsi à renforcer les clivages de classe. L’attribution d’une « mentalité arriérée », traditionnelle, irait de pair avec un machisme qui serait spécifiquement populaire, fondé sur la force physique. Cet argumentaire sert moins à décrire la réalité des masculinités populaires, qui sont tout aussi plurielles que les masculinités aristocrates ou bourgeoises, qu’à protéger les couches privilégiées de la population de tout soupçon de domination masculine.

Attribuer une masculinité (ou une féminité) spécifique à l’Autre est un procédé c


[1] Christelle Avril, Les aides à domicile. Un autre monde populaire, Paris, La dispute, 2014.

[2] On relira avec profit Jean Amery, Par-delà le crime et le châtiment – Essai pour surmonter l’insurmontable, Arles, Actes Sud, 1995 (éd. originale. 1966), ainsi qu’Elissa Mailänder, Female SS guards and Workaday Violence : the Majdanek Concentration Camp, 1942-1944, Lansing, Michigan State Press, 2015.

[3] Alf Lüdtke, « La domination comme pratique sociale », Traduction par Alexandra Oeser avec la collaboration de Fabien Jobard, Sociétés Contemporaines, n°99-100, p. 17-63.

Alexandra Oeser

Sociologue, Maîtresse de conférences à l'Université Paris-Nanterre

Notes

[1] Christelle Avril, Les aides à domicile. Un autre monde populaire, Paris, La dispute, 2014.

[2] On relira avec profit Jean Amery, Par-delà le crime et le châtiment – Essai pour surmonter l’insurmontable, Arles, Actes Sud, 1995 (éd. originale. 1966), ainsi qu’Elissa Mailänder, Female SS guards and Workaday Violence : the Majdanek Concentration Camp, 1942-1944, Lansing, Michigan State Press, 2015.

[3] Alf Lüdtke, « La domination comme pratique sociale », Traduction par Alexandra Oeser avec la collaboration de Fabien Jobard, Sociétés Contemporaines, n°99-100, p. 17-63.