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Perfectly beautiful day

Professeur de littérature et d'histoire des médias

« Jeudi passé, la Cour suprême des États-Unis a bien autorisé le port d’armes dans tous les espaces publics du pays, ce n’était pas un rêve. De plus, pour fêter ça, elle a abrogé le droit à l’avortement moins de 24 heures plus tard. C’était la totale, le plus beau jour de sa vie depuis la bataille de Fredericksburg. » Sur le mode de la fiction, satirique mais peut-être pas tant, Vincent Kaufmann propose de revisiter ces deux journées à travers les yeux de Jeff Allister, chef d’entreprise et baptiste du Sud à Amarillo, Texas. Deux journées d’euphorie.

Pendant des générations, la famille de Jeff Allister a vécu à Chatanooga, dans le sud du Tennessee. On y était cheminot de père en fils, car la ville a longtemps été un nœud ferroviaire important. De père en fils aussi, on avait tendance à s’y appeler Jeff, comme l’éphémère Président de la Confédération, et on y ressassait la Nakba locale : Ulysses Grant faisant sauter le verrou confédéré et ouvrant la voie d’Atlanta à ces porcs de Yankees. Pour se consoler de la catastrophe, on remontait parfois plus loin, jusqu’en 1838. On se remémorait avec une joie mauvaise la Piste des Larmes, qui partait de Chatanooga. Le gouvernement américain avait forcé les Cherokees à dégager vers l’ouest, mais de père en fils les Allister étaient d’avis que ce n’était pas de leur faute si beaucoup de ces sauvages n’étaient jamais arrivés nulle part. Quant aux avis qui se transmettaient de mère en fille, on ne les connaissait pas trop et franchement tout le monde s’en tapait.

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C’est en 1989 que le père de Jeff est parti tenter sa chance à Amarillo, Texas. Pantex était devenu le seul site de traitement des déchets nucléaires de l’armée américaine, on y embauchait du monde. Jeff était âgé de huit ans lorsque les Allister se sont installés dans la petite ville, idéalement située sur la célèbre Highway 66, à égale distance d’Oklahoma City et de Tucumcari, Nouveau Mexique. Son père a très vite pris la mesure du caractère stratégique de l’emplacement d’Amarillo. Dès qu’il en a eu l’occasion, il a laissé tomber les déchets nucléaires et racheté un garage à un type en train de mourir à cinquante-cinq ans d’obésité ou d’une cirrhose, on ne savait pas trop, mais tout le monde s’en tapait.

Le garage a été transformé en un atelier spécialisé dans la réparation express des énormes camions qui roulaient entre Chicago et Santa Monica, ouvert 24/7. C’était une affaire qui marchait très bien. Après deux ans seulement, il fallut agrandir, engager plus de mécaniciens, il y avait même des spics et un noir. Le garage ressemblait maintenant à un énorme entrepôt occupé en permanence par une dizaine de camions qui en ressortaient en pleine forme. Le père de Jeff avait eu la bonne idée d’ajouter un restaurant sur le même site, également ouvert 24/7. À n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, on pouvait y avaler des hamburgers géants ou des côtes de bœuf d’un kilo. Les tables étaient en bois naturel et recouvertes de nappes rouges. Les serveuses étaient blondes et portaient toutes un tablier du même rouge et une chemise à carreaux roses. Certaines dormaient debout en servant les clients ou en passant un coup de balai. D’autres étaient sans doute plus fûtées, on ne savait pas trop. Les lois texanes sur ce genre de choses étant à peu près les mêmes que celles du Qatar, tout cela restait extrêmement discret, le restaurant était juste une bonne idée.

Jeff a fini par reprendre les prospères affaires de son père et certaines de ses habitudes au restaurant. Avec son épouse, Kelly, blonde et adorable, ils ont eu deux fils et une fille et ils ont acheté une maison dans un quartier résidentiel situé à la périphérie d’Amarillo, réputé pour la blondeur de ses habitants. Ses enfants ayant grandi, Kelly s’est engagée avec une foi inébranlable dans l’Église locale la plus importante d’Amarillo, rattachée à la Convention baptiste du Sud. Celle-ci a été fondée en 1845 par des baptistes favorables à l’esclavage et en désaccord avec l’abolitionnisme des baptistes du Nord. Les accusations portées contre la Convention en 2019, qui concernaient plus de 700 cas d’abus sexuels commis par des prêtres et des responsables de l’Église, les ont fait blanchir de rage, elle et son époux, ce qui n’était pas facile car ils étaient déjà très blancs. Comment pouvait-on salir les hommes de Dieu en propageant d’ignobles fake news et en racontant de telles turpitudes ? C’était certainement encore un coup des porcs de New York qui tiennent les médias, les mêmes qui accusaient sans relâche le bon Président Trump d’avoir organisé une insurrection, ou pire, d’avoir couché avec une actrice porno. Et même si quelque chose s’était passé, c’était dégoûtant de faire tout un plat de ces faiblesses humaines qui ont toujours existé. Il aurait suffi de fermer un œil, surtout que, si ça se trouve, tout cela concernait principalement des baptistes noirs. Jeff et Kelly ont toujours pensé que leur ouvrir la Convention avait été une erreur.

Nous sommes le lundi 27 juin 2022, au petit matin. Normalement, c’est le moment le plus déprimant de la semaine, car le plus éloigné du prochain weekend. Mais en se réveillant, Jeff constate que l’euphorie dans laquelle il baigne depuis trois jours ne le lâche plus. Il se sent toujours aussi bien qu’un journaliste de BFM qui vient d’assister à la victoire du PSG en finale de la Champions League. Jeudi passé, la Cour suprême des États-Unis a bien autorisé le port d’armes dans tous les espaces publics du pays, ce n’était pas un rêve. De plus, pour fêter ça, elle a abrogé le droit à l’avortement moins de 24 heures plus tard. C’était la totale, le plus beau jour de sa vie depuis la bataille de Fredericksburg. Le Président Trump a dit avec sa modestie habituelle que c’était Dieu qui avait voulu qu’il en fût ainsi, mais peut-être parlait-il de lui. Toujours est-il que Jeff rend grâce au Seigneur, mais dans ses prières il n’oublie pas Donald, qui a quand même donné un petit coup de pouce.

D’un pas léger et en sifflotant (peut-être le dixie, inconsciemment), il descend de l’étage pour prendre le petit-déjeuner avec son épouse et ses enfants. Mark, l’aîné, a déjà terminé le sien, car le matin chez les Allister, chacun mange quand et ce qu’il veut. Il paraît que c’est bon pour la self-confidence, malheureusement un peu moins pour la confiance dans les autres et pour la prévention de l’obésité, mais ça, tout le monde s’en tape. Il a reçu un Chevrolet Tahoe pour ses seize ans, dont les douze cylindres consomment environ 38 litres aux 100 kilomètres, un peu plus avec l’indispensable climatisation. C’est le véhicule idéal pour se rendre à sa high school privée, d’obédience méthodiste. Quand il aura dix-huit ans, il aura le droit d’y aller avec, sur le siège arrière de son Tahoe, le AR-15 qu’il a reçu pour ses quatorze ans et dont il n’est pour l’instant autorisé à se servir qu’au club de tir des jeunes (blonds) d’Amarillo. Adapté pour l’usage civil du fameux M-16 qui a beaucoup servi au Vietnam, le AR-15 est l’arme américaine la plus populaire pour réaliser des carnages susceptibles de marquer les esprits pendant quelques jours, notamment dans les écoles.

Profitant de ses bonnes dispositions apparentes, Ron le cadet demande pour la énième fois à son père quand il recevra lui aussi un fusil semi-automatique et la permission de faire partie du club de tir. Jeff lui répond que rien ne sera possible avant qu’il ait douze ans révolus, mais qu’il n’y a pas lieu de se plaindre, puisque l’âge-limite a justement été abaissé à douze ans – son frère avait dû attendre ses quatorze ans révolus. Et dans l’état d’euphorie où il se trouve, il promet à Ron un JR-15 pour ses douze ans. « JR », c’est pour « Junior Rifle ». C’est un modèle réduit du AR-15, plus léger et plus court, très apprécié des enfants, des jeunes filles et surtout de leurs parents soucieux d’initier leur progéniture aux joies du tir sans les décourager avec des engins trop lourds, disponible en rose, en vert fluo, etc. Il mesure seulement 80 cm de long et pèse moins d’un kilo. Livré avec des chargeurs de 5 ou 10 cartouches de calibre 22 long rifle, il est commercialisé depuis la mi-janvier pour 389 dollars. Ron saute et couine de joie. Sa mère est également aux anges. Son regard attendri va de son cadet, qui est un si gentil garçon, à son époux, qui est un homme tellement bon.

Puis son regard se pose sur sa fille, Jennifer, qui va sur ses quinze ans. Du coup les anges s’évaporent, le visage de Kelly s’assombrit, car Jennifer semble moyennement concernée par l’allégresse générale. Il y a quelques mois elle a causé beaucoup de chagrin à ses parents en refusant absolument de devenir membre du club de tir. Ceux-ci n’ont pas eu le cœur de la forcer, mais depuis ce moment ils se font du souci pour elle. Et l’avant-veille, Jennifer était boudeuse, alors que la famille fêtait dignement les décisions de la Cour suprême. Aurait-elle des projets avec ce garçon, comment s’appelle-t-il ? Ted ? Ned ? Fred ? Bon, au moins ils sont tous plutôt blonds, là-bas, mais Kelly se promet de prendre des mesures pour que Jennifer soit chaperonnée de près lors des prochaines soirées dansantes que les junior high schools de la région organisent entre elles pour leurs têtes (blondes) préférées. Car ce serait tout à fait contraire aux principes des Allister et accessoirement à la volonté de Dieu de l’emmener dans une clinique chez les dégénérés de la côte est.

Jeff s’installe à son tour dans son véhicule, un Hummer H3 d’un certain âge, qu’il bichonne avec affection, car c’est un modèle devenu introuvable. Il ne met plus trop les mains dans le cambouis dans son garage, mais il tient à montrer aux camionneurs qu’il est proche d’eux en partageant quelques bières avec eux dans son restaurant. Il jette un coup d’œil sur la banquette arrière pour vérifier que son AR-15 est à portée de main. On ne sait jamais, l’autre jour, des ados noirs l’ont regardé de façon bizarre à la station d’essence. L’opinion de Jeff était qu’ils n’avaient rien à faire là, ni ailleurs. En tout cas il n’hésitera pas à se retrouver immédiatement en situation de légitime défense.

Le Texas est un pays au moins aussi miséricordieux que le Qatar, on n’est quand même pas en Afghanistan, chez nous.

Pour entretenir l’euphorie, Jeff écoute KAVW 90.7, affiliée à AFR (American Family Radio, qui diffuse des programmes chrétiens dans plus de trente États). Et effectivement, les animateurs de KAVW nagent eux aussi en pleine félicité. Le prêtre invité – il y en a toujours au moins un – remercie, dans l’ordre, Dieu, Donald et la Cour suprême qui ont permis d’en finir avec les tueuses. On va leur apprendre la vie et surtout à la respecter dès sa conception, vocifère-t-il dans le studio comme s’il était en train de prêcher en chaire. Ses litanies sont interrompues par les considérations plus légales et politiques d’un certain Dan, qui semble occuper des fonctions importantes à la tête du Sénat du Texas. Il jubile en expliquant que la heartbeat bill, qui interdit aux femmes d’avorter après six semaines de grossesse, ne sera bientôt plus nécessaire. Elle sera remplacée par une interdiction pure et simple, valable de la première à la dernière minute. Par contre on conservera les encouragements à la délation par les patriotes chrétiens des tueuses et de ceux et celles qui leur fournissent de l’aide, car c’est très efficace, et bon marché au regard des forces de répression qu’il faudrait mobiliser si l’État était seul à veiller au respect de la vie. De toute façon les gens adorent ça, fouiner dans la vie des autres, prendre leur revanche sur ces salopes qui n’avaient qu’à y réfléchir à deux fois avant de s’envoyer en l’air. Est-ce que je m’envoie en l’air, moi ?

On gardera aussi toutes les petites dispositions annexes, ma foi bien utiles pour leur empoisonner la vie jusqu’à ce qu’elles comprennent que, non, elles n’ont vraiment plus le choix. La mifépristone est déjà interdite au Texas, merci Dieu tout-puissant, et il est également défendu de la commander sur Internet et de la recevoir par la poste. Cette interdiction est irréaliste ? Pas de souci, si on poursuit tous les employés des services postaux publics et privés pour complicité dans des crimes d’avortement, les petits paquets suspects seront ouverts avec beaucoup de zèle. Dans l’entourage du gouverneur Abbott, on réfléchit aussi à tous les moyens de pister sur Internet et sur leurs smartphones les salopes noires, hispaniques ou même blanches, surtout celles qui ont des tatouages et des piercings, qui chercheraient encore à sortir de la nasse. La loi dirait que toutes les démarches qu’elles entreprendraient pour interrompre éventuellement leur grossesse ou même les tentatives de simplement s’informer, de savoir par exemple combien de temps dure une grossesse, pourraient constituer des preuves de leur intention de tuer des êtres innocents dont le Tout-Puissant, dans son infinie bonté, a bien voulu les gratifier. C’est à Lui de les mettre au courant de leur état quand il le juge nécessaire, il dispose d’annonciateurs spécialisés dans ce domaine, elles n’ont aucune raison de surfer où que ce soit pour se renseigner sur quoi que ce soit de cet ordre. Et a fortiori on les pistera si elles tentent d’échapper à la loi dans une clinique de dégénérés de la côte est ou ouest. Les fœtus conçus au Texas appartiennent à l’État du Texas, ou plus exactement à Dieu, représenté sur terre par celui-là, point barre.

On ne sait pas si c’est pour rire ou parce qu’il est emporté par l’euphorie ambiante, mais un animateur de KAVW demande à Dan ce qu’il pense de la motion de Bryan Slaton, représentant républicain du 2e district du Texas, qui a proposé récemment de soumettre les tueuses à la peine de mort. Là, l’euphorie retombe d’un cran, ça rit jaune à la radio. On bredouille un peu, puis Dan, héroïque, se jette à l’eau, décidé à incarner la voix de la raison. Non, c’est quand même exagéré, professe-t-il. Le Texas est un pays au moins aussi miséricordieux que le Qatar, on n’est quand même pas en Afghanistan, chez nous. Tous approuvent, soulagés. Pendant un bref instant ils n’étaient plus tout à fait surs de ne pas être des immondes salauds, mais Dan les a rassurés. Ils savent y faire, ces politiciens. Pour dissiper les relents de malaise qui traînent encore, l’animateur maladroit relance, comme une blague dont tout le monde connaît la chute, l’éternelle question de la compatibilité entre la position pro-life et la peine de mort, cette gâterie à laquelle tous les invités tiennent autant qu’à leurs AR-15. Cet argument est ridicule, lance un animateur qui connaît ses classiques. Il n’y a pas de commune mesure entre la vie innocente qui vient d’être conçue et celle de tueurs en général noirs ou hispaniques qui n’en seraient pas là s’ils consacraient leurs dimanches à prier. Cette fois, les derniers miasmes de culpabilité sont balayés, de toute façon tout le monde était d’accord d’avance. C’est le moment que choisissent les animateurs de KAVW pour lancer une page de pub et annoncer une chanson de Lifebreakthrough.

On se croyait en pleine déferlante MeToo, la vie devenait de plus en plus chiante, et en un weekend, par la grâce de Dieu et de la Cour suprême, tout a changé.

Après la pause musicale, les invités de KAVW se concentrent avec ferveur sur le « même en cas d’inceste et de viol » qui fait tout le charme de la loi texane. Évidemment, se dit Jeff, car sinon elles vont toutes raconter qu’elles ont été violées, ce serait trop facile. Déjà qu’elles le font tout le temps, dès qu’on les brusque un peu, si peu. Et les violeurs pourront même revendiquer leur paternité. C’est un vrai progrès, qui leur donne les mêmes droits qu’à des chefs de famille vaguement indélicats, genre mormons. Que des bonnes nouvelles pour les pères, humiliés depuis des décennies par ces effrontées qui ambitionnent de faire des enfants toutes seules et décider toutes seules aussi de s’en débarrasser. Jeff n’écoute plus vraiment les sommités intellectuelles de KAVW, mais tout cela le fait rêver et du coup il fait rugir de plaisir les chevaux de son Hummer et s’autorise un somptueux excès de vitesse sur la route déserte, ça fait du bien. Et si les good old days étaient de retour ? On se croyait en pleine déferlante MeToo, la vie devenait de plus en plus chiante, et en un weekend, par la grâce de Dieu et de la Cour suprême, tout a changé. Les violeurs sont désormais autorisés à se reproduire, surtout lorsqu’ils exercent leurs talents de séducteurs avec un flingue à la main, comme les Russes en Ukraine, comme les Afghans en Afghanistan. Les porcs démocrates qui tiennent Washington se trompent décidément d’ennemi.

Avec un entrain vraiment inhabituel pour un lundi matin, Jeff a expédié les affaires courantes du garage, fait le tour des camions en réparation comme un médecin ferait le tour de ses patients, bu quelques bières avec des clients qui attendaient, en s’efforçant de ne pas trop rayonner. Avec ces camionneurs de l’Illinois ou de Californie, il vaut mieux éviter les sujets qui fâchent. Pour son déjeuner, il a avalé un hamburger géant puis il s’est consacré à une longue sieste relaxante dans une des chambres aménagées au fond du restaurant, c’est le meilleur moment de la journée.

Il a rendez-vous à 16h au club de tir des jeunes (blonds) d’Amarillo. Il y occupe les fonctions de vice-président du comité, chargé des aspects techniques des activités. Tous les membres du comité sont là et tous jubilent, ils sont remontés à bloc par les décisions de la Cour suprême. Le président, un ancien propriétaire du célèbre Big Texan Steak Ranch d’Amarillo, où le steak de deux kilos est offert si on parvient à l’avaler en une heure, garniture comprise, explique qu’il faut profiter de l’aubaine pour aller de l’avant, que ce magnifique jour sera suivi de beaucoup d’autres très beaux jours. Dans l’entourage du Gouverneur Abbott, on préparerait déjà des lois qui entreront en vigueur dès que la Cour suprême aura annulé le droit au mariage pour tous et redonné aux États le droit de décider s’ils veulent criminaliser ou non les comportements des LGBT. Nul doute que le Texas sera en première ligne pour leur pourrir la vie. Tous ces mariages grotesques seront annulés et la simple présence de dégénérés dans l’espace public constituera une felony passible d’une peine de prison – il faut ce qu’il faut pour protéger la jeunesse contre les tentations du diable. Ils n’auront d’autre choix que de rester chez eux, de disparaître.

Un pote de Bryan Slaton a d’ailleurs suggéré qu’on aille encore plus loin, que la présence des LGBT dans l’espace public soit considérée comme un acte d’agression des honnêtes citoyens. Ceux-ci ont le droit de se promener tranquillement dans les rues du Texas sans être confrontés à de mauvaises pensées qui ne sont pas les leurs. Et comme chacun sait, les actes d’agression justifient la légitime défense. C’est là que le club a un rôle important à jouer, en préparant les jeunes à ne pas se tromper de cible lorsqu’ils seront obligés de passer à l’acte pour se défendre contre les mauvaises pensées. Le président propose que le club donne des cours permettant aux jeunes de reconnaître à coup sûr des gays, des lesbiennes, des trans, etc., car n’est-ce pas, il y a toujours quelque chose qui trahit ceux-ci dans leur façon de marcher ou de vous regarder en souriant sardoniquement. Les tirer comme des lapins, d’accord, mais à condition que ce soient vraiment des lapins, gare aux bavures. Il y aura aussi un cours avancé pour identifier les bisexuel(le)s, ce sont les plus difficiles à repérer, les plus tordus. D’autre part on mettra progressivement les jeunes tireurs dans l’ambiance en leur proposant des cibles motivantes. Une étude a en effet montré que les cibles motivantes augmentaient l’efficacité et l’acuité des tireurs. Ainsi nous remplacerons nos belles cibles jaunes, rouges, bleues et noires par des cibles aux couleurs arc en ciel, et les habituelles silhouettes humaines par des portraits d’Ellen De Generes ou de Pete Buttigieg. Ça va les motiver, nos jeunes.

Il est temps de rentrer. On dîne très tôt chez les Allister, et tout le monde attend Jeff pour la prière. Sur KAVW, John Denver chante Country Roads :

Country roads, take me home
To the place I belong,
West Virginia, mountain mama,
Take me home, country roads

(à suivre)


Vincent Kaufmann

Professeur de littérature et d'histoire des médias, MCM-Institute de l’Université de St. Gall, Suisse