Santé

Le SARS-Cov2 n’est pas le VIH

Politiste

Dans un récent pamphlet, Barbara Stiegler et François Alla fondent leur critique de la réponse coercitive de l’État au Covid sur un lien indissoluble entre santé et liberté. Se référant aux stratégies de santé publique développées pour contrer le VIH, ils préconisent une politique axée sur les droits humains et la liberté. Mais le Covid n’est pas le VIH. S’il faut équilibrer, autant que possible, la balance des coûts (pour les droits) et des bénéfices (pour la santé), c’est bien parce que le respect des droits ne peut pas l’emporter a priori et quelles qu’en soient les conséquences pour la protection de la santé publique.

Santé et liberté sont-elles des valeurs en conflit dans les politiques de santé publique ? Le dilemme que crée leur concurrence est devenu banal dans les médias à la faveur de la pandémie de Covid, illustré par les mesures de confinement, de couvre-feu, ou encore d’obligation vaccinale des soignants. Et ce dilemme était en réalité largement balisé en amont de cela, par des siècles d’histoire de la santé publique. Grand classique des politiques de santé, on retrouve bien sûr ce conflit entre santé et liberté au cœur de la lutte contre les maladies infectieuses. L’exemple français le plus récent de controverses est à aller chercher avec le VIH, par exemple pour les stratégies de dépistage ou de déclaration obligatoire, mais c’est aussi le fil rouge historique des politiques de la vaccination, ou bien encore des stratégies de prévention des addictions, en particulier tabac et alcool, de la nutrition, de la sécurité routière, etc.

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En France, le traitement de ce dilemme fait le quotidien des acteurs de santé publique qui sont en charge des réglementations, de la prévention et de l’administration de la santé. Instruire une nouvelle mesure de prévention, du paquet neutre pour le tabac jusqu’à la réduction de la vitesse autorisée sur les routes par exemple, c’est immédiatement devoir produire des arguments de légitimité et d’utilité justifiant que la liberté des uns (les cigarettiers, les conducteurs, etc.) soit limitée pour protéger la santé de tous. Si la pratique de ces arbitrages est banale dans l’administration de la santé, leur approche théorique en revanche est plus rare dans notre pays, l’essentiel de l’expertise académique normative en la matière étant du côté des juristes spécialistes du droit de la santé publique, plutôt que de la discipline « santé publique » en tant que telle. Alors qu’aux États-Unis l’étude des critères de légitimité de l’action publique pour réguler les comportements de santé fait l’objet d’une discipline à part entière appelée Publ


[1] Voir par exemple Aquilino Morelle, La défaite de la santé publique, Paris, Flammarion, 1996.

[2] Jean-Luc Mélenchon, « Macron à la dérive autoritaire », novembre 2020.

[3] Jonathan Mann, « Le sida dans le monde : révolution, paradigme, et solidarité. VIe Conférence internationale sur le sida, San Francisco (1990) », Journal du sida, 1998, 107, p.16.

[4] Ronald Bayer, « Clinical progress and the future of HIV exceptionalism », Le sida en Europe, nouveaux enjeux pour les sciences sociales, 12-15 janvier 1998, Paris. En anglais : « It is a remarkable feature of the epidemic’s first years that in virtually every economically advanced democratic nation a determination was made to treat AIDS differently from other major infectious threats and sexually transmitted diseases. The decision entailed a commitment to rely on prevention measures that were non-coercive, that respected the privacy and social rights of those who were at risk. Mass education and voluntary testing and counseling were at the center of a public health strategy, which sought to avoid interventions that might “drive the epidemic underground”. (…) In 1991, I proposed the term “HIV exceptionalism” to distinguish the policies that have emerged in the face of AIDS epidemic from more conventional approaches to public health threats. »

[5] Michel Setbon, « La normalisation paradoxale du sida », Revue française de sociologie, 41(1), 2000, pp.61-78.

Kevin De Cock, « From exceptionalism to normalisation : A Reappraisal of attitudes and practice around HIV testing », British Medical Journal, 316,1998, pp.290-296.

[6] Ronald Bayer, « The practice of public health », in Albert R. Jonsen, Jeff Stryker, The social impact of AIDS in the United States, National Academies Press, 1993, p.26. En anglais : « The exceptionalist approach dominated in part because some important features of AIDS set it apart from most other infectious diseases. »

[7] En anglais : « It largely afflicts marginalized or threatened populations

Mélanie Heard

Politiste, Responsable du pôle santé de Terra Nova

Mots-clés

Covid-19

Notes

[1] Voir par exemple Aquilino Morelle, La défaite de la santé publique, Paris, Flammarion, 1996.

[2] Jean-Luc Mélenchon, « Macron à la dérive autoritaire », novembre 2020.

[3] Jonathan Mann, « Le sida dans le monde : révolution, paradigme, et solidarité. VIe Conférence internationale sur le sida, San Francisco (1990) », Journal du sida, 1998, 107, p.16.

[4] Ronald Bayer, « Clinical progress and the future of HIV exceptionalism », Le sida en Europe, nouveaux enjeux pour les sciences sociales, 12-15 janvier 1998, Paris. En anglais : « It is a remarkable feature of the epidemic’s first years that in virtually every economically advanced democratic nation a determination was made to treat AIDS differently from other major infectious threats and sexually transmitted diseases. The decision entailed a commitment to rely on prevention measures that were non-coercive, that respected the privacy and social rights of those who were at risk. Mass education and voluntary testing and counseling were at the center of a public health strategy, which sought to avoid interventions that might “drive the epidemic underground”. (…) In 1991, I proposed the term “HIV exceptionalism” to distinguish the policies that have emerged in the face of AIDS epidemic from more conventional approaches to public health threats. »

[5] Michel Setbon, « La normalisation paradoxale du sida », Revue française de sociologie, 41(1), 2000, pp.61-78.

Kevin De Cock, « From exceptionalism to normalisation : A Reappraisal of attitudes and practice around HIV testing », British Medical Journal, 316,1998, pp.290-296.

[6] Ronald Bayer, « The practice of public health », in Albert R. Jonsen, Jeff Stryker, The social impact of AIDS in the United States, National Academies Press, 1993, p.26. En anglais : « The exceptionalist approach dominated in part because some important features of AIDS set it apart from most other infectious diseases. »

[7] En anglais : « It largely afflicts marginalized or threatened populations