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Le PSG, le coaching et le développement personnel

Journaliste

Adoré pour ses stars ou détesté pour ce qu’il représente, une sorte de caricature du football contemporain, toujours attendu au tournant, souvent moqué à la sortie, le Paris Saint-Germain court encore après la reconnaissance onze ans après son rachat par le fonds souverain Qatar Sports Investments. Pour muscler son estime de soi par les temps qui courent, rien de tel que le coaching. Voilà donc le nouveau mot d’ordre dans les rangs parisiens, où l’on semble avoir découvert la Lune. Ne reste plus qu’à la décrocher.

«Le PSG n’est pas un club. » La scène se passe à Porto au début du mois d’août. Un peu à l’écart de l’Estadio do Dragão, où, dans deux heures, va débuter la saison de Liga portugaise, la tasca O Braseiro das Antas est une institution. Depuis soixante-dix ans, on y mange pour une somme dérisoire les meilleurs bifanas (petits sandwiches de pain moelleux au porc mariné) de la ville avant d’aller communier entre Portistas toutes générations et catégories sociales confondues. Ici, comme partout au Portugal, le ballon est religion.

Et peu importe si l’historique stade des Antas a disparu sous les immeubles haut de gamme chapeautés de penthouses en même temps que les enseignes de la malbouffe ont envahi les parages, l’esprit demeure. Des forces de l’ordre discrètes et bienveillantes, des stadiers au diapason : on est loin de l’atmosphère étouffante d’un soir de mai au Stade de France. C’est d’ailleurs ici que s’était disputée dans l’allégresse post-covid la finale de la Ligue des champions 2021 et pourtant, ce soir-là, il n’y avait que des Anglais en tribunes.

Mais revenons au comptoir de notre tasca, où l’exotisme vient de prendre les couleurs du Paris Saint-Germain par l’entremise de touristes en goguette dans le coin, maillots floqués Mbappé et Neymar sur les épaules. « Le PSG n’est pas un club. » L’apostrophe a fusé, le verdict est tombé et il est sans appel. L’avis du Portista fait autorité : son club à lui fêtera bientôt ses 130 ans d’existence, il compte 140 000 socios, qui tous les quatre ans élisent démocratiquement son président, et arbore deux Ligues des champions dans sa vitrine.

Les coachs font recette dans cette société néolibérale qui n’a pas son pareil pour se défausser de ses responsabilités et déplacer le curseur sur l’individu infantilisé.

L’accueil est plus railleur que bagarreur, néanmoins l’argumentation a de l’épaisseur : « Le PSG est un produit marketing et un instrument de soft power. » Le Qatar circus rentrait justement d’une tournée au Japon où il était allé élargir sa zone d’influence, avec sur le chemin du retour une escale à Tel-Aviv pour y disputer le Trophée des champions transformé en opération tête de gondole par la Ligue de football professionnel (LFP).

Rien à faire, l’image filtrée n’imprime pas : dix ans d’investissements babyloniens n’ont pas réussi à faire du PSG un champion d’Europe, pas même un grand d’Europe, tout juste un nouveau riche, à l’instar d’un Manchester City, les deux ayant pu mesurer la saison dernière la distance qui les sépare d’une institution telle que le Real Madrid. À l’intérieur même de l’Hexagone, le PSG sonne faux. On se précipite au stade pour voir ses stars, néanmoins il ne fait guère l’unanimité au-delà de la Francilienne, la fameuse remontada barcelonaise restant pour bon nombre de passionnés de football un souvenir jubilatoire.

Les quinquagénaires attendent encore le match qui leur fera oublier les épopées européennes des Verts. Les quadras l’homme providentiel qui fera aussi bien que Bernard Tapie avec l’OM. Et les trentenaires de revivre les soirées de Gerland enflammées par Juninho. Les moins de vingt ans ne peuvent sans doute imaginer qu’en ces temps-là, les joutes continentales étaient télédiffusées en clair, ce qui crée forcément des liens avec une population qui est souvent le reflet de ce qu’elle regarde.

Rappelons au passage que c’est au moment même où les Qataris débarquaient à Paris avec l’ambition de gagner la Ligue des champions qu’ils en privatisaient curieusement les images en en confisquant les droits pour leur réseau beIN Sports.

Pour autant, point de remise en question organisationnelle, face à cette récurrente défaillance il s’agit avant tout de sauver les apparences. Entreprise vivant avec son temps, le PSG a donc en toute logique décidé de s’en remettre au coaching, un terme – on l’oublie trop souvent – introduit en France par un certain Aimé Jacquet. Les coachs font recette dans cette société néolibérale qui n’a pas son pareil pour se défausser de ses responsabilités et déplacer le curseur sur l’individu infantilisé. Si tu n’as pas atteint la réussite c’est que tu n’as pas assez « musclé ton jeu ». Simple mode dans les années 90, le coaching est devenu un véritable phénomène culturel, pour ne pas dire une addiction.

Comme naguère Moulinex libérait la femme, le coaching nous libèrerait de tout au nom du bien-être et de la performance. Car il y a aujourd’hui des coachs pour tout : pour retrouver la forme, pour évoluer dans sa carrière, pour ranger le bazar dans sa maison, pour reprendre en main ses gamins, pour gérer ses problèmes de couple, pour relancer sa libido, pour trouver l’amour, pour arrêter de fumer, et même, c’est nouveau, pour affronter son cancer. Plus aucun pan de notre vie n’échappe au raz-de-marée.

Il y a aussi, bien sûr, des coachs pour gagner la Ligue des champions. Citons les deux derniers à y être parvenus : l’Italien Carlo Ancelotti et l’Allemand Thomas Tuchel, l’un et l’autre passés par Paris, nous direz-vous, mais qu’on n’avait alors pas vraiment laissé coacher. Tout cela est très subtil. Semblant à force de désillusions dépassés dans leur capacité à se comprendre eux-mêmes, les investisseurs du désert ont ainsi paradoxalement jeté leur dévolu sur un entraîneur qui n’a jamais remporté la Ligue des champions et qui présente même un très maigre bilan de cinq défaites et un match nul dans la compétition, nous avons nommé le Français Christophe Galtier.

L’élu n’en est pas moins un excellent coach aux états de service incontestables, de Saint-Étienne à Nice en passant par Lille. Au-delà d’un indéniable sens politique, l’homme a la réputation d’instaurer partout où il passe un climat de discipline et de rigueur, une gageure à Paris mais c’est précisément cette feuille de route que lui a fixée le président Nasser Al-Khelaïfi en jurant sur la tête de Neymar que le temps du bling-bling était révolu.

Galtier est censé être le deus ex machina qui détient cette science de la stratégie comportementale et de la gestion des ressources psychiques pour espérer enfin un retour sur investissement.

Car le PSG est cette fois déterminé à en finir avec ses tourments intimes. La cognition du tragique ne figure plus au programme. La défaite ne semble même plus être une option bien qu’elle balise autant que la victoire la condition sportive. Pour réussir son développement personnel, le PSG mise sur l’illusion qu’un autre sait de lui ce que lui-même ignore et qui serait crucial pour se réaliser en tant que club et se donner une bonne fois pour toutes les moyens de ses colossales ambitions.

L’autre en question aurait pu tout aussi bien être un psychothérapeute, un carabin, un prêtre, un gourou ou un charlatan, mais c’est à Galtier qu’a échu la catharsis. Désormais coach le mieux payé de France, à hauteur de dix millions d’euros annuels, Galtier est censé être le deus ex machina qui détient ce savoir venu d’ailleurs, cette science de la stratégie comportementale et de la gestion des ressources psychiques pour espérer enfin un retour sur investissement.

Ce « héros français », comme le qualifiait le magazine So Foot après le titre de champion de France raflé avec Lille aux dépens du… PSG, a indiscutablement le profil : une force tranquille avec ses certitudes, un charisme l’autorisant à s’adresser à n’importe qui et surtout cette faculté à fédérer qui fait la différence au plus haut niveau. Au cours de sa carrière, l’entraîneur a souvent fait appel à des principes simples, presque basiques : « mettre les joueurs à leur poste en leur demandant de faire ce qu’ils savent faire ». Cela a fonctionné partout où il a œuvré et il n’est pas interdit de penser que si cela fonctionnait aussi à Paris, le PSG, au vu de son effectif princier, ne serait sans doute plus très loin d’atteindre le Graal.

Mais, on l’a vu, Galtier n’est pas non plus le premier bon casting du PSG. Non, le vrai sujet est ailleurs : dans l’optimisation d’un titanesque potentiel de séduction au service des objectifs sportifs, qui, si l’on s’en réfère à la terminologie dominante, commencerait par un renforcement de l’estime de soi. Le PSG doit-il s’aimer plus pour gagner plus ? Et Christophe Galtier est-il un bon « coach de l’amour » ? Depuis son arrivée dans la capitale, l’ancien rugueux défenseur de l’OM multiplie les appels au dialogue, au sens du sacrifice, au vivre ensemble.

Un langage managérial qui semble avoir déjà porté ses fruits, le début de saison des Parisiens s’apparentant à une tournée des Harlem Globetrotters. Il y eut bien une scène de ménage entre Mbappé et Neymar, débutée autour d’un point de pénalty et poursuivie sur les réseaux sociaux, mais Galtier jure qu’il n’y aucun malaise dans ce bal des egos qui ferait partie de l’inévitable feuilleton parallèle et dont il se fait fort de s’accommoder. Prière de croire le coach sur parole, c’est pour l’heure de cette confiance aveugle qu’il tire sa légitimité, dans l’espoir de l’asseoir, dans un avenir proche, au panthéon du jeu.

Mais la piste aux étoiles est-elle prête à suivre sans retenue les plans d’un coach qui tout en ne cherchant jamais la reconnaissance a toujours cristallisé sur sa personne la réussite sur le terrain de ses employeurs ? Pour que la magie de ce début de saison perdure, « il faudra accepter de laisser sa place pour qu’un partenaire puisse exister », prévient d’ores et déjà Christophe Galtier, à qui n’a pas échappé la faiblesse de l’esprit collectif de la décennie écoulée. Bref, si le PSG veut devenir un club c’est maintenant ou jamais.


Nicolas Guillon

Journaliste

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