International

Impossible russophilie

Écrivain

Au-delà des agissements déplorables de son État, souvent selon un traitement privilégié, la Russie bénéficie en France et dans le monde d’un rayonnement intellectuel et artistique certain. On rêve beaucoup russe, voire même en russe. À partir de sa propre expérience, l’écrivain Arthur Larrue constate le malaise qui s’est pourtant immiscé partout, et jusque dans la poésie.

Quoique j’écrive en français, mon imaginaire de romancier est russe. Lorsque je rêve à mes livres, je les projette dans une zone mentale qui porte le nom de Russie, laquelle Russie affûte mes phrases, noircit mon humour, pousse mes personnages vers la folie, c’est-à-dire jusqu’au bout d’eux-mêmes, et très souvent jusqu’à leur propre destruction.

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Il y a eu le groupe bien réel d’artistes dissidents au régime poutinien Voïna (« Guerre » en russe), qui a depuis connu, selon ses membres, l’assassinat ou l’exil. Il y a eu l’authentique champion du monde d’échecs et collaborateur nazi Alexandre Alekhine. Il y a eu Nikolaï N. Orlov qui, dans un coin d’ombre, noyé dans des vapeurs d’alcool et de cigarettes, au fond d’un bar-laverie de la rue Kazanskaya, à Saint-Pétersbourg, parmi une foule inspirée et crasseuse, préservait le peu d’innocence qu’il restait à son pays criminel – lorsque je commençais l’écriture d’Orlov la nuit, un missile Buk abattait l’avion de la Malaysia Airlines qui voguait d’Amsterdam vers Kuala-Lumpur et le crash faisait une irruption brutale dans la trame du roman. Déjà, il y avait eu la traduction du Nez de Gogol – écrivain ukrainien de langue russe – une traduction que j’avais envisagée comme l’ascension d’un sommet inégalé, un moment-clef dans l’apprentissage de mon métier d’écrivain.

Je ne pourrai énumérer ici toute « ma matière russe ».

Il me suffira d’affirmer que je ne suis tout à fait moi que là-bas, en Russie.

Aussi, sans avoir la moindre origine russe, je suis peut-être le Français le plus russe de France. D’où cela vient-il ? Je ne saurais trop l’expliquer. À ma connaissance, cela a toujours été. Si je devais donner une traduction à la fois personnelle et abstraite du mot « Russie », je parlerais d’un lointain proche, c’est-à-dire assez éloigné pour me permettre de m’évader mais néanmoins assez proche pour m’empêcher de me perdre.

À travers mes yeux d’enfant, je revois des cosaques apparaître dans des grandes plaines enneigées, sur


Arthur Larrue

Écrivain