Contre le pessimisme ambiant, réarticuler émancipation et protection
La peur du lendemain est telle que la seule perspective crédible semble être du côté de la protection. C’est sur elle qu’insiste la technocratie modernisatrice qui gouverne, appelant par ailleurs les électeurs à la responsabilité dans leurs comportements quotidiens. Quant à l’extrême droite, elle continue à se faire entendre pour réclamer le repli sur une société fermée, fantasmant l’apaisement des inquiétudes populaires par le rassemblement autour d’une identité immuable.

Face à ces paternalismes qui proposent de garantir la sécurité mais au prix de la restriction plus ou moins autoritaire des libertés, les approches critiques paraissent tétanisées, se contentant de disserter sur les politiques sociales ou d’annoncer la catastrophe écologique.
Pourtant, malgré le désenchantement qui imprègne ces analyses, les initiatives se multiplient. De l’Afrique à l’Asie en passant par l’Amérique et l’Europe, les citoyens qui s’y engagent ne se cantonnent pas à une démarche de protection, ils affirment également leur volonté d’émancipation. Cette notion que certains intellectuels jugent dépassée est revendiquée avec force par d’innombrables acteurs.
La dissonance entre le pessimisme qui imprègne la plupart des avis autorisés et la dynamique des expériences démocratiques, écologiques et solidaires sur tous les continents amène à se questionner sur la trajectoire de la théorie critique. Au départ, avec Karl Marx, celle-ci était intiment liée à l’émancipation pratique mais cette intrication s’est perdue au fil du temps. Il importe donc de comprendre comment la dissociation s’est opérée afin d’envisager s’il est possible de renouer avec l’approche initiale tout en la réactualisant.
Comment l’émancipation est devenue évanescente
Dans le sillage marxiste, les grands noms de l’école de Francfort (Theodor Adorno, Marx Horkheimer) repèrent en arrière-plan du capitalisme les dégâts engendrés par la rationalité instrumentale adoptée par une civilisation qui entend dominer la nat