Écologie

Écologie scientifique et écologie utopique

Architecte

Les vieux clivages du XIXe siècle ont la vie dure. Marx et Engels prônaient un socialisme scientifique et dialectique, contre le socialisme utopique d’un Proudhon ou d’un Fourier. Aujourd’hui, l’écologie scientifique entend « transformer le monde », tandis qu’une écologique utopique et antimatérialiste croit au pouvoir des « nouveaux récits », aux changements de la superstructure au mépris des avancées de la science. Entre ces deux approches, il est grand temps de choisir : le climat, lui, n’attend pas.

Les désaccords chez les écologistes entourant la bande dessinée Le Monde sans fin de Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain, ou sur l’intérêt de relancer le nucléaire ou non, révèlent plus généralement une fracture dans la conception de l’écologie au XXIe siècle absolument comparable à celle qui exista lors de la conception du socialisme au XIXe siècle[1]. D’un côté, sa conception scientifique, matérialiste, dialectique, pratique, portée par Marx et Engels, qui s’appuie sur les sciences naturelles et la médecine. De l’autre côté, sa conception utopique, idéologique, idéaliste, métaphysique, portée par Proudhon et Dühring, qui s’appuie sur les sciences politiques ou la religion[2]. On aurait aimé être, aujourd’hui, au-delà de l’opposition entre matérialisme et idéalisme, en-deçà du clivage entre nature et culture ; malheureusement il faut constater que les désaccords sont toujours absolument irréconciliables.

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Comme le socialisme scientifique, l’écologie scientifique comprend que l’histoire humaine, ses superstructures politiques, morales et esthétiques, toujours changeantes, dialectiques, sont déterminée par les variations de l’infrastructure matérielle, du climat, des microbes, des ressources énergétiques et alimentaires, que ces variations soient causées par les humains, par une météorite ou la mutation d’un virus.

Ainsi les architectes, qui ont trouvé tellement beau le béton armé pendant près d’un siècle, le trouvent maintenant tellement laid parce qu’il émet 8 % du CO2 mondial responsable du réchauffement climatique. Ainsi le politique, qui laissait construire tout au long du XXe siècle des immeubles entièrement vitrés de simple vitrage, traversés en hiver par le froid comme des « passoires thermiques[3] », réglemente aujourd’hui l’obligation d’isoler thermiquement les bâtiments et de passer à du double vitrage pour réduire le chauffage et l’air conditionné responsables de 28 % des émissions mondiales de CO2. Ainsi les écologistes scientifiques, qui lu


[1] Voir le livre de Friedrich Engels de 1882, Socialisme utopique et socialisme scientifique (Éditions Science Marxiste, Montreuil-sous-Bois, 2019), ainsi que le livre de 1966 Socialisme idéologique et socialisme scientifique de Louis Althusser (PUF, Paris, 2022).

[2] « Or, le premier jugement de la raison, le préambule de toute constitution politique, cherchant une sanction et un principe, est nécessairement celui-ci : Il est un Dieu ; ce qui veut dire : la société est gouvernée avec conseil, préméditation, intelligence. Ce jugement, qui exclut le hasard, est donc ce qui fonde la possibilité d’une science sociale, et toute étude historique et positive des faits sociaux, entreprise dans un but d’amélioration et de progrès, doit supposer avec le peuple l’existence de Dieu, sauf à rendre compte plus tard de ce jugement. », Pierre-Joseph Proudhon, Système des contradictions économiques ou Philosophie de la misère (1846).

[3] Le manque d’isolation thermique des bâtiments au XXe siècle obligeait en hiver à brûler pour se chauffer d’autant plus de fioul ou de gaz pour compenser les pertes de chaleur à travers ces murs mal isolé ou le simple vitrage des fenêtres.

[4] Même si l’opacité du CO2 dans les infrarouges avait été démontré en 1859 par John Tyndall et qu’en 1895 Svante Arrhenius avait émis l’hypothèse que la variation de CO2 dans l’atmosphère au cours des âges préhistoriques avait fait varier la température de terre, il faudra attendre la création du GIEC en 1990 pour identifier un réchauffement climatique consécutif aux CO2 émis par l’emploi des énergies fossiles à partir de la fin du XVIIIe siècle. Contrairement à une idée reçue, le rapport Meadows de 1972, Les limites de la croissance, n’établit aucun lien entre émission de CO2 et réchauffement climatique, reliant ce dernier, s’il advint, seulement à un accroissement usage d’énergie calorifique par les humains, indépendamment de la source d’énergie.

[5] Dans plusieurs interviews récentes, le militant et pionnier

Philippe Rahm

Architecte, MAÎTRE DE CONFÉRENCES À L’ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE D’ARCHITECTURE DE VERSAILLES, PROFESSEUR ASSOCIE A LA HAUTE ÉCOLE D’ART ET DE DESIGN DE GENEVE (HEAD – GENEVE, HES-SO)

Rayonnages

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Notes

[1] Voir le livre de Friedrich Engels de 1882, Socialisme utopique et socialisme scientifique (Éditions Science Marxiste, Montreuil-sous-Bois, 2019), ainsi que le livre de 1966 Socialisme idéologique et socialisme scientifique de Louis Althusser (PUF, Paris, 2022).

[2] « Or, le premier jugement de la raison, le préambule de toute constitution politique, cherchant une sanction et un principe, est nécessairement celui-ci : Il est un Dieu ; ce qui veut dire : la société est gouvernée avec conseil, préméditation, intelligence. Ce jugement, qui exclut le hasard, est donc ce qui fonde la possibilité d’une science sociale, et toute étude historique et positive des faits sociaux, entreprise dans un but d’amélioration et de progrès, doit supposer avec le peuple l’existence de Dieu, sauf à rendre compte plus tard de ce jugement. », Pierre-Joseph Proudhon, Système des contradictions économiques ou Philosophie de la misère (1846).

[3] Le manque d’isolation thermique des bâtiments au XXe siècle obligeait en hiver à brûler pour se chauffer d’autant plus de fioul ou de gaz pour compenser les pertes de chaleur à travers ces murs mal isolé ou le simple vitrage des fenêtres.

[4] Même si l’opacité du CO2 dans les infrarouges avait été démontré en 1859 par John Tyndall et qu’en 1895 Svante Arrhenius avait émis l’hypothèse que la variation de CO2 dans l’atmosphère au cours des âges préhistoriques avait fait varier la température de terre, il faudra attendre la création du GIEC en 1990 pour identifier un réchauffement climatique consécutif aux CO2 émis par l’emploi des énergies fossiles à partir de la fin du XVIIIe siècle. Contrairement à une idée reçue, le rapport Meadows de 1972, Les limites de la croissance, n’établit aucun lien entre émission de CO2 et réchauffement climatique, reliant ce dernier, s’il advint, seulement à un accroissement usage d’énergie calorifique par les humains, indépendamment de la source d’énergie.

[5] Dans plusieurs interviews récentes, le militant et pionnier