Russie : la contre-révolution militaire
À la fin des années 1980, dans un livre devenu rapidement à la fois référence obligée et objet de nombreuses critiques, l’historien Geoffrey Parker, spécialiste des Provinces-Unies protestantes, a donné la formulation la plus systématique à l’idée d’une révolution militaire moderne. Engagée dès la fin du XVIe siècle autour de Maurice de Nassau (1567-1625), puis de Gustave II Adolphe de Suède lors de la guerre de Trente Ans, elle aurait fait accomplir un bond en avant technique et tactique aux puissances d’Europe occidentale, leur assurant une supériorité militaire durable sur le reste du monde.

À la suite de travaux antérieurs et notamment d’une conférence prononcée par Michael Roberts en 1955, Parker décrivait en détail les éléments constitutifs de cette révolution dans « l’art de se détruire » pour parler comme Voltaire. S’il évoquait l’augmentation des effectifs de ces armées modernes, sans commune mesure désormais avec ce qu’avaient été ceux des armées féodales, il relevait surtout l’importance décisive de changements très précis dans l’armement, la discipline, la formation des soldats et des officiers, les fortifications, portés par la création d’académies militaires et la multiplication de traités illustrés et de manuels d’instruction.
L’usage croissant des armes à feu, les progrès de l’artillerie, le recul de la cavalerie lourde imposèrent ainsi une nouvelle manière de concevoir les fortifications, avec la ligne brisée et les défenses enterrées pour contrer les effets des tirs de canon, l’adoption d’une discipline de tir stricte dans laquelle les soldats étaient disposés sur des lignes très minces de trois rangs (ceux qui tirent, ceux qui s’apprêtent à tirer, ceux qui rechargent) afin de maximiser la puissance de la ligne de feu, la mise au point d’exercices capables de familiariser les soldats avec ces gestes compliqués qu’il fallait pouvoir exécuter rapidement et de façon coordonnée, ou encore le développement du nombre d’officiers.
On sait aujour