Politique

Par-delà la manifestation, la danse comme tramage

Architecte

Que se passe-t-il précisément lorsque, lors des mobilisations, les manifestant·es se mettent à danser ? Le mouvement laisse de nombreuses traces, qu’il paraît urgent de savoir reconnaître à l’heure où le gouvernement fait tout son possible pour « aller de l’avant » et reléguer au passé non seulement les manifestations contre la réforme des retraites mais également, et c’est là un aspect crucial, l’intensité vécue des manifestations et les manières dont cette intensité affecte, marque, et ré-oriente les corps.

Les comptes-rendus des manifestations françaises actuelles ne sont majoritairement dans les médias suisses, pays où je vis actuellement, que des analyses peu engageantes d’un voisin préoccupé par la crise en cours derrière sa frontière. Mais ce matin, un article m’interpelle, et je déroge à mon refus habituel de lire la presse suisse sur ce sujet. Son titre ? « La danse, la musique et la fête, nouveaux outils de contestation en France[1] ? »

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L’article s’intéresse aux chorégraphies de Mathilde Caillard, militante, membre du mouvement écologiste Alternatiba et assistante parlementaire LFI. Dans une vidéo[2], tournée dans le cadre du mouvement de contestation contre la réforme des retraites, Mathilde danse sur de la musique techno au son du slogan : « Pas de retraités, sur une planète brûlée… Retraite, climat, même combat ! »

La techno-gréviste connaît le succès sur les réseaux sociaux, et le lot d’avis divergents qui viennent avec. L’article révèle ainsi que si certain·es internautes apprécient l’énergie, d’autres déplorent un manque de sérieux, allant même jusqu’à évoquer une décrédibilisation de la lutte. L’article partage, très brièvement les revendications de la première concernée sur le corps comme outil de lutte, nomme d’autres chants et chorégraphies scandés durant ces manifestations, et rapporte les propos d’un historien qui souligne comment les chants et l’esprit festif animaient déjà la période révolutionnaire. Mais, si « la chanson est alors un mode d’expression pris très au sérieux », pour la danse, « le parallèle historique est plus difficile à établir ». En effet, la danse « laisse moins de traces dans les archives ». Et l’historien nous dit qu’« on la connaît par des estampes, qui montrent des hommes et des femmes qui dansent, par exemple, autour de l’arbre de la liberté, [et qu’elle] accompagne aussi les chansons[3] ».

Il se trouve que je réalise en ce moment une thèse en architecture portant sur les savoirs architecturaux des corps comme sav


[1] Consulté le 30 mars 2023.

[2] « Retraites : Mathilde, aka « MC danse pour le climat », est militante écologiste et « techno-gréviste » », consulté le 30 mars 2023.

[3] Ces propos rapportés dans l’article sont ceux de l’historien français Hervé Leuwers, spécialiste d’histoire de la Révolution française

[4] Je passe ici sans transition du terme de danse à celui de performance. Cela me permet d’établir un spectre dans lequel la danse est envisagée comme performance au sein d’un spectre de performances comprenant également les performances dans le quotidien. Dans le champ critique et théorique anglo-saxon, dance studies et performance studies sont aujourd’hui extrêmement proches l’une de l’autre.

[5] Voir notamment l’ouvrage faisant référence sur ce point : Peggy Phelan, Unmarked: The Politics of Performance, Routledge, 1993.

[6] Pour une analyse critique dense des divers moyens dont « la performance subsiste », voir Rebecca Schneider, « Performance Remains », Performance Research, 6, no 2, janvier 2001, p. 100‑108. Au sujet des relations entre archives-documents et archives incarnées, voir Diana Taylor, The Archive and the Repertoire: Performing Cultural Memory in the Americas, Duke University Press, 2003. Au sujet de la façon dont les performer·euses s’emparent de la question de la duration dans la performance notamment par le reenactment, voir André Lepecki, « The Body as Archive: Will to Re-Enact and the Afterlives of Dances », Dance Research Journal, 42, no 2 ; 2010, p. 28‑48. Un récent article de Clélia Barbut dans AOC expose également ces différents enjeux et aspects : Clélia Barbut, « Performance : la fièvre des archives », AOC, janvier 2023.

[7] Conférence « Chorégraphie de la puissance » d’Elsa Dorlin donnée au CND dans le cadre du séminaire Elsa Dorlin « Travailler la violence », du 3 au 4 décembre 2021.

[8] Elsa Dorlin, Se défendre : une philosophie de la violence, Zones, 2017, p. 32.

[9] Conférence « Chorégraphie de la puissance » d’Elsa Dorlin, citée p

Aurélie Dupuis

Architecte, Doctorante en architecture et sciences de la ville à l'École polytechnique fédérale de Lausanne

Notes

[1] Consulté le 30 mars 2023.

[2] « Retraites : Mathilde, aka « MC danse pour le climat », est militante écologiste et « techno-gréviste » », consulté le 30 mars 2023.

[3] Ces propos rapportés dans l’article sont ceux de l’historien français Hervé Leuwers, spécialiste d’histoire de la Révolution française

[4] Je passe ici sans transition du terme de danse à celui de performance. Cela me permet d’établir un spectre dans lequel la danse est envisagée comme performance au sein d’un spectre de performances comprenant également les performances dans le quotidien. Dans le champ critique et théorique anglo-saxon, dance studies et performance studies sont aujourd’hui extrêmement proches l’une de l’autre.

[5] Voir notamment l’ouvrage faisant référence sur ce point : Peggy Phelan, Unmarked: The Politics of Performance, Routledge, 1993.

[6] Pour une analyse critique dense des divers moyens dont « la performance subsiste », voir Rebecca Schneider, « Performance Remains », Performance Research, 6, no 2, janvier 2001, p. 100‑108. Au sujet des relations entre archives-documents et archives incarnées, voir Diana Taylor, The Archive and the Repertoire: Performing Cultural Memory in the Americas, Duke University Press, 2003. Au sujet de la façon dont les performer·euses s’emparent de la question de la duration dans la performance notamment par le reenactment, voir André Lepecki, « The Body as Archive: Will to Re-Enact and the Afterlives of Dances », Dance Research Journal, 42, no 2 ; 2010, p. 28‑48. Un récent article de Clélia Barbut dans AOC expose également ces différents enjeux et aspects : Clélia Barbut, « Performance : la fièvre des archives », AOC, janvier 2023.

[7] Conférence « Chorégraphie de la puissance » d’Elsa Dorlin donnée au CND dans le cadre du séminaire Elsa Dorlin « Travailler la violence », du 3 au 4 décembre 2021.

[8] Elsa Dorlin, Se défendre : une philosophie de la violence, Zones, 2017, p. 32.

[9] Conférence « Chorégraphie de la puissance » d’Elsa Dorlin, citée p