Écologie

Macron ou l’écologie fabulée sur YouTube

Politiste

Monsieur Macron, souffrez que nous prenions le temps d’un tour d’horizon de quelques-unes des fables sur lesquelles vous déployez votre politique écologique. Vous aimez nous raconter ces histoires rassurantes, ces mensonges sur la consommation énergétique, sur votre stratégie forestière, sur les voitures électriques, sur l’agriculture et sur cette fameuse sobriété que vous vous êtes bien prévenu de définir et d’encadrer. Votre doctrine politique, le macronisme, est bel et bien organisée autour d’un mensonge d’État – qui ne manquera pas d’être jugé un jour.

« Quand tout le monde vous ment en permanence, le résultat n’est pas
que vous croyez ces mensonges mais que personne ne croit plus rien.
[…] Et un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut plus prendre de
décision. Il est privé non seulement de sa capacité d’agir mais aussi de
sa capacité de penser et de juger. Et d’un tel peuple vous pouvez faire
ce que vous voulez[1]. »
Hannah Arendt
Entretien avec Roger Errera, 1974

Monsieur Macron, la Première ministre vient de monter au front, accompagnée d’une dizaine de ministres, devant les membres du Conseil national de la transition écologique (CNTE) pour donner les grandes lignes de la planification écologique de votre quinquennat. Des objectifs ont été annoncés à peu près en conformité avec nos engagements européens de réduction de 50 % des émissions de CO2 d’ici 2030 (par rapport à 1990). Les mesures concrètes devraient arriver en juin, nous avez-vous informés. Rassurez-vous, je n’en veux nullement aux consultants de McKinsey planchant sur l’affaire – fort complexe je vous l’avoue – d’avoir quelques semaines de retard.

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Mais, deux étapes me semblent avoir été grillées. (1) La première est de nous départir d’un mensonge d’État que vous animez depuis votre arrivée à l’Élysée. Pour ce faire, la méthodo est assez simple : transmettre auprès de tous les citoyens les savoirs scientifiques faisant l’objet d’un consensus pluridisciplinaire et international sur les questions bioclimatiques – d’un point de vue électoral vous y avez tout intérêt car ils sont tellement massifs qu’on commence à les voir, même planqués sous le tapis. Comprendre le fonctionnement du système Terre a pour vertus de maîtriser les équations suivantes :

— Poursuivre nos modes de vie aujourd’hui (animés par un capitalisme rentier et spéculatif sur fond de néolibéralisation du monde et de la nature) = Pas de vie humaine en société dans pas bien longtemps.

— Contenir l’emballement bioclimatique = Assurer la pérennité de la vie humaine en société = Prendre des mesures politiques radicales et s’y ternir fermement.

— Accepter des mesures contraignant la liberté individuelle = Comprendre les enjeux (car les citoyens ne sont pas des imbéciles). Ici, je sais bien, les plus durs de la feuille et lents à la comprennette sont les plus nantis.

Fort d’une compréhension des enjeux nourris des savoirs scientifiques, (2) la seconde étape est d’organiser un débat démocratique mobilisant tous les citoyens (au premier rang desquels nos députés bien sûr) afin d’identifier les modalités socio-économiques permettant de contenir l’emballement bioclimatique pour transformer notre Constitution et notre arsenal législatif.

Je vous la fais courte – j’imagine que vous devez avoir quelques RDV avec des lobbyistes anti-climat à votre agenda –, personne d’un petit peu informé ne voit comment contenir l’emballement bioclimatique sans démanteler des pans entiers de notre économie[2]. C’est bien de cela dont nous avons besoin, de cette évidence qui vous apparaît inenvisageable tant le sevrage du biberonnage croissantiste des économistes est difficile : nous devons mettre un terme à des activités économiques en France et dans le monde. L’enjeu vital n’est pas uniquement de baisser nos émissions de CO2 mais de diminuer l’ensemble de notre empreinte écologique (emballement climatique, effondrement de la biodiversité, acidification des océans, perturbation des cycles du phosphore et de l’azote, altération du cycle de l’eau, changement d’utilisation des sols, pollution chimique, appauvrissement de l’ozone dans la stratosphère ou encore augmentation des aérosols dans l’atmosphère[3]).

Le problème c’est qu’en plus des écosystèmes, notre démocratie s’érode au moment où nous en avons le plus besoin. Les dénonciations d’un autoritarisme d’État se multiplient depuis quelques mois. L’une d’entre elles m’a marqué. Récemment, Pierre Rosanvallon a affirmé à votre égard que nous avions affaire à une « dérive autoritaire par cécité, par aveuglement sur ce qu’est véritablement l’adhésion démocratique. […] Quelqu’un qui a de l’autorité c’est celui dont la parole a suffisamment de vérité et de force pour ne pas être obligé d’envoyer sa police et de raconter des histoires[4]. »

Oui, vous n’avez pas votre pareille pour raconter des histoires ou argumenter à n’en plus finir. Lors de votre dernière allocution télévisée, vous avez mentionné que dès la rentrée de septembre 2023 « les parents verront le remplacement systématique des enseignants absents[5] » (9’53) ou encore que « notre système de santé sera aussi profondément rebâti » (10’07). En effet, « d’ici la fin de cette année, 600 000 patients atteints de maladies chroniques qui n’ont pas de médecins traitants en disposeront. Et d’ici la fin de l’année prochaine nous devrons avoir désengorgé tous nos services d’urgence. » (10’29). Ah, quand même. Le tout en supprimant les lits indiqués par Capgemini dans leurs slides à 10k € l’unité[6]… Mais ce n’est pas fini : « Et pour les dix millions d’entre vous qui vivez dans les quartiers les plus défavorisés, dans les zones rurales les plus en difficultés, dans nos territoires d’outre-mer, nous trouverons, là encore, des solutions concrètes pour améliorer la vie quotidienne. » (10’45). Comme on dit chez les jeunes, pardonnez-moi l’expression, vous avez craqué le slip – ou pété une durite.

À moins, comme l’a bien identifié Pierre Rosanvallon, que vous n’aimiez tout simplement raconter des histoires. C’est aussi mon cas. Mes préférées étaient celles des Barbapapa que je lisais à mes enfants (avant qu’ils n’aient 6 ans). Les promesses de refondation de l’hôpital public à coup de coupes budgétaires et suppressions de lits, rassurez-vous, n’engagent que les petits enfants de moins de 6 ans qui y croient. (D’ailleurs, merci, c’est bien gentil d’occuper les enfants des crèches car on manque justement d’assistantes maternelles en ce moment.)

Là où vos histoires me posent un grave problème, c’est lorsqu’elles portent sur le climat et les écosystèmes de la biosphère. Dans votre allocution présidentielle vous dites par exemple : « Notre nouvelle économie, plus verte, respectueuse de nos terres et de nos paysages n’est pas un rêve mais une réalité qui nous permet de créer des emplois et de tenir nos engagements pour le climat. » (7’25) ou encore « Je veux que chacun d’entre vous retrouve la certitude que nos enfants pourront bâtir une vie meilleure. Et ce sont nos services publics qui devront porter cette espérance de la petite enfance au grand âge. » (9’32) Votre flot de parole et d’argumentation pour convaincre du bien-fondé de votre action écologique est particulièrement désagréable parce qu’oppositionnel à ce que tous les chercheurs identifient. Vos histoires prennent une telle ampleur qu’elles sont de véritables analyseurs de la dérive autoritaire de votre exercice du pouvoir, fragilisant la nécessaire mobilisation citoyenne en matière écologique – comme si le recours au mensonge était devenu nécessaire à l’action de gouverner.

C’est peut-être au travers des vidéos de votre chaîne YouTube qu’on identifie avec le plus de netteté l’ampleur du mensonge bioclimatique qui structure votre politique économique néolibérale et permet de prendre avec beaucoup de précaution les récentes annonces de votre Première ministre. J’ai déjà eu l’occasion de m’entretenir avec vous de vos vidéos YouTube et de la façon dont elles sont un véritable analyseur du macronisme qui est tout à la fois un technosolutionnisme, un obscurantisme, un totalitarisme et un populisme[7].

Fort heureusement, vos vidéos sont loin d’être virales auprès des jeunes. Dans la dernière, un short posté il y a quelques jours qui plafonne à 7k vues, on peut entendre que le gouvernement va « Faire des structures dans lesquelles on va recréer de manière complètement autonome des climats pour faire pousser les plantes de manière efficace. » (0’31). C’est du lourd – mais j’ai l’impression qu’elle a été shadow ban par YouTube compte tenu de l’ampleur du canular qu’elle véhicule. Ne voulant pas courir le risque que mes enfants tombent dessus sans explication de texte, je poursuis ici le travail de mise en lumière de vos mensonges commencé il y a quelques mois pour AOC. Votre doctrine politique, le macronisme, est bel et bien organisée autour d’un mensonge d’État – qui ne manquera pas, je l’espère, d’être jugé un jour.

Le technosolutionnisme d’État est un mensonge d’État en matière bioclimatique

Comme vous le savez, je compte parmi les fidèles abonnés de votre chaîne YouTube. Cela me permet de constater combien vos vidéos souffrent d’un déficit de connaissances scientifiques du problème (qui n’est jamais positionné en référence aux articles scientifiques relatifs au climat ou à la biosphère) et d’une complète absence de vision politique ni même de simple politisation des enjeux bioclimatiques. Vous parlez comme un technocrate expert en communication. Cela me fait réagir car ce n’est pas ma sensibilité. Dans ma relation au monde j’ai besoin de la médiation des savoirs scientifiques (pour être en prise avec le réel) et d’une vision politique (pour que les décisions soient démocratiques et justes et non pas uniquement autoritaires sous le sceau de l’« efficacité »).

Mais il ne s’agit pas seulement d’un problème entre vous et moi. En n’hésitant pas à parler de « solutions très innovantes » (14’20), de « flotte de véhicules verts » (14’30) ou encore de « toutes ces technologies bonnes pour le climat » (4’48)[8] sans jamais poser le problème systémique et global, le technosolutionnisme d’État que vous incarnez est en définitive un profond mensonge d’État. Prenons le temps d’un tour d’horizon de quelques-unes des histoires sur lesquelles vous déployez votre politique écologique – mais peut-être préparez-vous actuellement, sous l’impulsion des romans de votre ministre de l’Économie, la publication d’un nouveau Barbapapa.

Lorsque l’on vous écoute, tout est sous contrôle en matière écologique : « on a bien identifié les pistes, on sait où mettre les financements. Maintenant, c’est de l’exécution[9]. » (6’58). Le seul levier pour une action écologique vertueuse est l’efficacité. De fait, c’est bien votre fonds de commerce rhétorique : « la chose la plus efficace c’est d’agir sur les véhicules particuliers, ce qu’on a commencé à faire » (2’30). Voilà donc la solution : « réussir à accompagner les Françaises et les Français pour changer de véhicule et aller vers des véhicules électriques, ce qu’on fait avec la prime à la conversion et le bonus écologique. » (2’54). En gros : la réponse à la problématique environnementale réside dans une accélération de la consommation, l’augmentation de la taille des véhicules (les véhicules que nous achetons aujourd’hui sont significativement plus gros et lourds que ceux achetés il y a vingt ans) et une transformation du mode de consommation énergétique.

Comme l’a bien montré Celia Izoard en analysant 85 études portant sur l’empreinte environnementale des voitures électriques versus les voitures thermiques, quelques points font consensus au sein du débat. La production d’un véhicule électrique nécessite plus d’énergie et émet deux fois plus de gaz à effet de serre (en raison de la fabrication de la batterie et son moteur)[10]. Ensuite, elle consomme nombre de métaux (lithium, aluminium, cuivre, cobalt) et fait tourner le secteur minier, un des plus pollueurs qui soit[11]. Enfin, persister dans le choix de la voiture individuelle et autonome comme principal moyen de mobilité, c’est entériner le choix de l’intelligence artificielle[12] qui ne cesse de dépolitiser l’organisation de la vie dans la cité. Ce serait juste une bonne blague si votre canular était sans conséquence. Mais en l’occurrence il ne cesse de nous précipiter toujours davantage vers des points de ruptures biogéophysiques venant compromettre la vie humaine en société.

Un autre mensonge porte sur votre stratégie forestière : « Replanter un milliard d’arbres. On le fera. » (5’11). Mais, une fois encore, vous avez oublié de mentionner quelques éléments scientifiques. Depuis qu’on est petits (en gros depuis qu’on a six ans et qu’on arrête d’écouter les Barbapapa), on apprend que, grâce à la photosynthèse, nos amies les plantes décarbonent l’atmosphère. Elles captent le CO2, gardent le C pour leur croissance et rejettent de l’O2. Nous, de notre côté, on fait l’inverse : on capte de l’O2 et on rejette du CO2. Belle complémentarité. On apprend aussi que la forêt amazonienne est le « poumon de la planète ». Bien que cela n’ait jamais été vrai (les océans sont les véritables puits de carbone), cela n’a jamais été aussi faux car ces dernières années les forêts tropicales du bassin amazonien émettent davantage de carbone qu’elles n’en captent.

J’ai déjà eu l’occasion de vous en informer, mais l’art de la pédagogie étant la répétition, reprenons. Quatre problèmes se renforcent mutuellement : lorsque les arbres manquent d’eau et ont trop chaud, leur respiration est moins ample et ils captent moins de carbone ; ensuite les transformations du climat génèrent nombre de décès sur pied ; de plus des incendies gigantesques renvoient dans l’atmosphère le carbone patiemment stocké durant des siècles ; enfin, la déforestation pour faire pousser des bœufs émetteurs de méthane aggrave encore le problème. Les articles sur l’affaire son innombrables[13]. Je n’ai rien contre le fait que vous plantiez des arbres (il paraît que ça fait du bien psychiquement), mais n’allez pas nous faire croire que cette stratégie de compensation carbone serait suffisante ou efficace.

Ensuite, votre discours est organisé autour d’un mensonge sur la consommation énergétique. Vous nous promettez « Plus de renouvelable » (7’07) et la pérennisation d’« un plan de sobriété » (7’09). Très bien. On a compris qu’il s’agissait d’un important élément de langage depuis septembre 2022. Mais, à ce jour, jamais vous n’avez défini et encadré cette sobriété[14]. Vous vous êtes contenté de l’illustrer (pull tricotté par mamie, installation d’un interrupteur pour éteindre les écrans publicitaires dans les gares et les aéroports vides la nuit…). Or, votre acception de la sobriété nécessite… de produire plus d’énergie ! En effet : « Et puis on va passer aussi des textes pour produire plus de nucléaire et peut être essayer de le produire plus vite parce que c’est clé pour notre stratégie. » (7’24). Que les entreprises qui polluent à tour de bras pour fabriquer des objets inutiles en plus d’être obsolètes en quelques mois se rassurent : il n’y aura pas de limitation de leur consommation énergétique, pas de quotas, pas de démantèlement de leur activité.

Un autre mensonge porte sur l’agriculture : « L’agriculture je vais être simple : on doit aller beaucoup plus loin, beaucoup plus fort pour réduire nos émissions et nos intrants. » (4’00) Vous parlez de la nécessité de favoriser l’installation des jeunes. Très bien. Mais vous oubliez de parler du modèle agricole actuel, productiviste, industriel, qui nécessite des investissements matériels considérables, contraint les exploitants à crouler sous les dettes, rend presque indispensable le recourt aux produits chimiques qui détruisent nos sols sans parvenir à contenir la baisse des rendements agricoles, surconsomme l’eau de notre territoire (qui se fait de plus en plus rare – ce n’est pas le fait d’une action divine mais c’est l’effet de notre modèle économique sur le système Terre et le territoire national). J’arrête là, mais on ne va pas se mentir, il n’existe pas une thématique écologique pour laquelle vous ne vous livriez pas à un exercice d’enfumage.

En même temps vous semblez avoir conscience de l’ampleur du chantier : « Il y a beaucoup, beaucoup de travail. » (8’47) Ouf. En effet, précisez-vous ensuite : « C’est clairement ce qui est apparu de ces trois heures de réunion. » (8’50).

Ah.

Trois heures.

C’est un bon début. Mais, si un de vos conseillers ne vous l’a pas dit, je vous en informe : pour imaginer des ruptures réalistes et justes, à la hauteur des enjeux bioclimatiques contemporains permettant de pérenniser la vie humaine en société sur le territoire national en prenant en compte les grands équilibres géopolitiques contemporains… trois heures ça va être un poil just. Il faudrait au moins prévoir de continuer la réunion sur l’heure du déj’ – parce que les trois volets du sixième rapport du GIEC font 10 500 pages in english.

Tout est à l’avenant. Votre rhétorique de l’efficacité s’accompagne d’une évaluation des résultats en prenant pour étalon votre com’ politique et non l’habitabilité humaine de la Terre. Franchement : c’est super d’avoir 20/20. Mais c’est un peu dommage si ça ne permet en aucune manière aux jeunes d’avoir un avenir.

Quelle est la finalité de votre politique ?

« Ce qui est le plus rentable à l’euro investi pour diminuer la tonne de CO2, beaucoup plus que les infrastructures, que tout ce qu’on peut faire par ailleurs, c’est réussir à électrifier notre parc de véhicules. Et ça toutes les études nous le montrent et l’ont confirmé. Et donc, la stratégie qu’on a poursuivie, c’est la bonne. » (2’38) Ah. Vous auriez le 06 des auteurs des études en question ? J’aimerais bien en parler avec eux. À moins qu’elles n’aient été réalisées par des bots du père Noël en Laponie ?

Monsieur le Président, permettez-moi de vous faire un petit cours particulier – je vous le fais gratis en mode « service de la Patrie ». Oui, électrifions ce que nous pouvons électrifier. En revanche ce que vous oubliez de signifier est qu’il est largement préférable, pour diminuer notre empreinte environnementale, de garder sa vieille clio diesel plutôt que de la mettre à la casse pour acheter un SUV électrique. Si l’électrification ne s’accompagne pas de changements radicaux dans notre politique industrielle et notre modèle économique, cela est vain.

RFI a réalisé une petite vidéo de mon compère Laurent Testot et moi-même vous dédicaçant un exemplaire de notre livre, Vortex. Faire face à l’Anthropocène (Payot, 2023). Bon, ça n’a pas fait un buzz de folie mais on a été touchés de recevoir une petite carte de remerciement signée de votre main. Je pense que vous n’avez pas eu suffisamment de temps pour le lire. Voici un petit coup de pouce : allez directement à la page 337. OK, on parle de l’importance de l’électrification, mais elle n’a de pertinence qu’au sein d’un encadrement drastique des firmes (pages 339-340) pour réorganiser toute la production.

Ainsi, concernant l’exemple des voitures, il est nécessaire qu’elles redeviennent beaucoup plus petites et légères, avec une durée de vie beaucoup plus longue (en obligeant par exemple les entreprises à louer et non vendre leurs véhicules pour qu’ils en construisent des plus solides et réparables…), au sein d’un parc automobiles beaucoup plus restreint où les transports en commun seraient nettement plus développés pour permettre une rupture avec la voiture individuelle, éprouvée comme une véritable extension de soi-même[15]

Bref ce sont nos villes qu’il faut transformer, mais plus fondamentalement encore c’est l’ensemble de notre modèle économique qu’il faut refonder pour préserver et approfondir la démocratie. Or, a contrario, vous faites le choix d’aller toujours plus en avant dans l’installation d’un capitalisme rentier et spéculatif néolibéral dont la composante autoritaire ne cesse d’apparaître au grand jour dans la mobilisation de la violence et des mensonges comme des moyens légitimes de l’action politique.

Vous ne manquez pas de toupet en affirmant sans ambages « Et ça, toutes les études nous le montrent et l’ont confirmé. Et donc, la stratégie qu’on a poursuivie, c’est la bonne. » Votre stratégie est la bonne pour quoi ? En vue de quelle fin ? OK, du point de vue économique, « de l’euro investi », l’électrification permet de diminuer un petit peu l’empreinte CO2.

1. Mais notre problématique empreinte environnementale ne se réduit pas au CO2 (pollution chimique, artificialisation des sols…).

2. Vous confondez les moyens avec la fin. La réduction des émissions de CO2 ou de CO2 équivalent est un moyen parmi d’autres au sein d’une politique dont la seule visée qui puisse être juste, est de préparer un futur viable et durable pour les générations à venir.

3. Or, le seul moyen qui vaille pour que l’avenir demeure hospitalier pour le vivant et la vie humaine en société est de contenir l’emballement bioclimatique. Une électrification qui ne s’accompagnerait pas d’une refonde radicale de notre modèle économique et de nos stratégies industrielles est absolument vaine.

Un des problèmes est que le paradigme de la transition qui organise votre politique écologique ne s’encastre pas dans le réel biogéophysique qui est organisé autour de logiques de ruptures. Votre stratégie, qui n’est pas scientifiquement fondée et ne s’accompagne pas d’un débat démocratique sur la transformation radicale de nos modes de vie, n’est donc PAS la bonne. Sorry mister President.

Mais quelle est donc, alors, la finalité de votre politique ? Sorry je n’ai pas réussi à faire original : c’est de contenter les marchés, tout simplement, au risque de l’érosion de notre démocratie. C’est ce que vous avez donné à voir ces derniers mois en mentionnant le « mauvais signal adressé aux marchés » qu’aurait représenté la non adoption de la réforme des retraites, donc la nécessité du recours au 49.3. Bien sûr, en mobilisant ce type de petite phrase votre rhétorique manipulatoire joue sur la peur. Mais elle me semble aussi être un analyseur ou révélateur de la perte de l’aiguillon (l’avenir des jeunes) qui donne son sens à la politique : travailler à un monde hospitalier pour les jeunes et les générations à venir.

La vérité politique du réel biogéophysique

La vérité politique du réel biogéophysique que vous cachez est la suivante : il est vital d’organiser un débat démocratique autour du démantèlement de pans entiers de notre économie.

Vous dites : « On doit doubler le taux d’effort [entre 2023 et 2030] par rapport à que ce qu’on a fait ces cinq dernières années » (2’10). Très bien. Mais qu’est-ce que cela signifie concrètement ? On arrête qui ? On arrête quoi ? Franchement : on n’y est pas. Tant du point de vue de l’analyse de situation, que des objectifs, que de la méthode.

Pour orienter votre politique écologique, votre Première ministre s’appuie sur la répartition des émissions de CO2, secteur par secteur d’ici 2030 : une baisse de 53 % dans le bâtiment, une de 42,5 % dans l’énergie et une de 37,5 % dans l’industrie. On ne peut pas aller bien loin avec ce type d’analyse de situation.

Que serait une politisation des questions environnementales à la hauteur des enjeux ? Eh bien c’est assez simple à imaginer : ne devrions-nous pas parler lors de débats citoyens et au Parlement des conditions d’autorisation d’utilisation des transports, des limites à la consommation individuelle, des conditions de création d’entreprises, de l’écart maximal entre les niveaux de revenus (plus les revenus d’un individu sont élevés, plus son empreinte environnementale est conséquente), etc. ? Pour que nous puissions ensuite décider de l’affectation de notre empreinte environnementale, c’est-à-dire choisir les activités que nous arrêtons, celles que nous réduisons, celles que nous continuons, celles que nous développons.

Les indicateurs que vous évoquez ne permettent que des choix d’optimisation de l’efficacité (en baissant leur empreinte carbone). Si nous voulons contenir l’emballement bioclimatique pour pérenniser la vie humaine en société en France et dans le monde, vous devez trouver le courage d’impulser des débats démocratiques pour diminuer radicalement et réorienter l’ensemble de notre empreinte environnementale.

Bon, la situation est grave. Mais surtout, notre modèle économique néolibéral et croissantiste est impuissant. Il ne peut pas faire émerger des actions à la hauteur des enjeux pour accompagner des ruptures réalistes et justes. S’il le pouvait, ça se saurait. Comme il n’est pas efficace, il faut qu’on se résolve à le licencier, tout simplement – je racle les fonds de tiroirs rhétoriques et langagiers dans l’espoir que vous me compreniez. Nous avons besoin de faire émerger autre chose. Et pour cela nous avons besoin de créativité de la part de nos gouvernants – ou, s’ils en sont dépourvus (on ne peut pas être bons partout), qu’ils se mettent au moins à l’écoute de ceux qui en ont. La France fourmille de puissance de créativité à Sainte-Soline, à la Ligue des Droits de l’Homme, ou encore aux Soulèvements de la Terre.

NDLR : Nathanaël Wallenhorst a récemment publié Qui sauvera la planète ? Les technocrates, les autocrates ou les démocrates aux éditions Actes Sud et, avec Laurent Testot, Vortex. Faire face à l’Anthropocène aux éditions Payot.


[1] « If everybody always lies to you, the consequence is not that you believe the lies, but rather that nobody believes anything any longer. […] And a people that no longer can believe anything cannot make up its mind. It is deprived not only of its capacity to act but also of its capacity to think and to judge. And with such a people you can then do what you please. » (Traduction de l’auteur.)

[2] Bonnet, E., Landivar, D., Monnin, A., Héritage et fermeture. Une écologie du démantèlement, Éditions divergences, 2021.

[3] Rockström, J. et al., « A Safe Operating Space for Humanity », Nature, 461, 2009, p. 472-475 ;
Steffen, W. et al., « Planetary Boundaries: Guiding Human Development on a Changing Planet », Science, 347, 2015, p. 736-747 ;
Persson, L. et. al., « Outside the Safe Operating Space of the Planetary Boundary for Novel Entities », Environmental Science and Technology, 2022 ;
Wang-Erlandsson, L. et al., « A planetary boundary for green water », Nature reviews Earth and Environment, 26 April, p. 1-13.

[4] Dans l’émission « Quotidien » du 17 avril 2023, animée par le journaliste Yann Barthès diffusée sur TMC.

[5] Le 17 avril 2023.

[6] Aron, M., Michel-Aguirre, C., Les infiltrés. Comment les cabinets de conseil ont pris le contrôle de l’État, Allary Editions, 2022.

[7] Wallenhorst, N., « Quand Macron joue avec la Terre », AOC, 6 janvier 2023 ;
Wallenhorst, N., « Macron, le youtubeur qui voulait sauver la planète », AOC, 30 janvier 2023.

[8] Dans votre vidéo YouTube du 17 janvier.

[9] Je m’appuie pour ce qui suit notamment sur votre vidéo du 28 janvier dernier sur la planification écologique.

[10] Iozard, C., « Non, la voiture électrique n’est pas écologique », Reporterre, 1er septembre 2020.

[11] Izoard, C., « La voiture électrique cause une énorme pollution minière », Reporterre, 2 septembre 2020.

[12] Izoard, C., « Derrière la voiture électrique, l’empire des Gafam », Reporterre, 3 septembre 2020.

[13] L. V. Gatti et al., « Drought sensitivity of Amazonian carbon balance revealed by atmospheric measurements », Nature, 506, 2014, p. 76-80 ;
R.J.W. Brienen et al., « Long-term decline of the Amazon carbon sink », Nature, 519, 2015, p. 344-348 ;
C.E. Doughty et al., « Drought impact on forest carbon dynamics and fluxes in Amazonia », Nature, 519, 2015, p. 78-82 ;
A. Esquivel-Muelbert et al., « Compositional response of Amazon forests to climate change », Global Change Biology, 25, 2019, p. 39-56 ;
A. Esquivel-Muelbert et al., « Tree mode of death and mortality risk factors across Amazon forests », Nature communications, 12, 2020, p. 1-20.

[14] Villalba, B. (2023), Politiques de sobriété, Le Pommier ;
Villalba, B. (2023), « L’écologie politique face à de nouveaux fronts », AOC, 14 avril 2023.

[15] C’est un élément que vous évoquez : « La deuxième chose ensuite c’est de financer des solutions pour se déplacer et des infrastructures nouvelles pour passer aux transports collectifs dès qu’on le peut. Ce sont nos fameux RER métropolitains. C’est tout ce qu’on peut faire pour régénérer certaines petites lignes ou trains de nuit. C’est ce qu’on peut faire pour améliorer les interconnexions et améliorer justement les infrastructures existantes de transports publics. » (3’23). Sur ce point vous avez raison. RAS. Je vous donne une image.

Nathanaël Wallenhorst

Politiste, Enseignant-chercheur à l'UCO

Rayonnages

Écologie

Notes

[1] « If everybody always lies to you, the consequence is not that you believe the lies, but rather that nobody believes anything any longer. […] And a people that no longer can believe anything cannot make up its mind. It is deprived not only of its capacity to act but also of its capacity to think and to judge. And with such a people you can then do what you please. » (Traduction de l’auteur.)

[2] Bonnet, E., Landivar, D., Monnin, A., Héritage et fermeture. Une écologie du démantèlement, Éditions divergences, 2021.

[3] Rockström, J. et al., « A Safe Operating Space for Humanity », Nature, 461, 2009, p. 472-475 ;
Steffen, W. et al., « Planetary Boundaries: Guiding Human Development on a Changing Planet », Science, 347, 2015, p. 736-747 ;
Persson, L. et. al., « Outside the Safe Operating Space of the Planetary Boundary for Novel Entities », Environmental Science and Technology, 2022 ;
Wang-Erlandsson, L. et al., « A planetary boundary for green water », Nature reviews Earth and Environment, 26 April, p. 1-13.

[4] Dans l’émission « Quotidien » du 17 avril 2023, animée par le journaliste Yann Barthès diffusée sur TMC.

[5] Le 17 avril 2023.

[6] Aron, M., Michel-Aguirre, C., Les infiltrés. Comment les cabinets de conseil ont pris le contrôle de l’État, Allary Editions, 2022.

[7] Wallenhorst, N., « Quand Macron joue avec la Terre », AOC, 6 janvier 2023 ;
Wallenhorst, N., « Macron, le youtubeur qui voulait sauver la planète », AOC, 30 janvier 2023.

[8] Dans votre vidéo YouTube du 17 janvier.

[9] Je m’appuie pour ce qui suit notamment sur votre vidéo du 28 janvier dernier sur la planification écologique.

[10] Iozard, C., « Non, la voiture électrique n’est pas écologique », Reporterre, 1er septembre 2020.

[11] Izoard, C., « La voiture électrique cause une énorme pollution minière », Reporterre, 2 septembre 2020.

[12] Izoard, C., « Derrière la voiture électrique, l’empire des Gafam », Reporterre, 3 septembre 2020.

[13] L. V. Gatti et al., « Drought sensitivity of Amazonian carbon balance revealed by atmospheric measurements », Nature, 506, 2014, p. 76-80 ;
R.J.W. Brienen et al., « Long-term decline of the Amazon carbon sink », Nature, 519, 2015, p. 344-348 ;
C.E. Doughty et al., « Drought impact on forest carbon dynamics and fluxes in Amazonia », Nature, 519, 2015, p. 78-82 ;
A. Esquivel-Muelbert et al., « Compositional response of Amazon forests to climate change », Global Change Biology, 25, 2019, p. 39-56 ;
A. Esquivel-Muelbert et al., « Tree mode of death and mortality risk factors across Amazon forests », Nature communications, 12, 2020, p. 1-20.

[14] Villalba, B. (2023), Politiques de sobriété, Le Pommier ;
Villalba, B. (2023), « L’écologie politique face à de nouveaux fronts », AOC, 14 avril 2023.

[15] C’est un élément que vous évoquez : « La deuxième chose ensuite c’est de financer des solutions pour se déplacer et des infrastructures nouvelles pour passer aux transports collectifs dès qu’on le peut. Ce sont nos fameux RER métropolitains. C’est tout ce qu’on peut faire pour régénérer certaines petites lignes ou trains de nuit. C’est ce qu’on peut faire pour améliorer les interconnexions et améliorer justement les infrastructures existantes de transports publics. » (3’23). Sur ce point vous avez raison. RAS. Je vous donne une image.