Politique

Les faux semblants du débat sur la loi de programmation des finances publiques

Haut fonctionnaire

Si Bruno Le Maire dit la vérité aujourd’hui en affirmant que la France doit présenter une trajectoire de finances publiques conforme aux attentes de la Commission européenne et du Conseil des ministres européens des finances pour bénéficier des « aides » de l’Union, il a menti en 2020 en ne le disant pas.

Élisabeth Borne a inauguré la nouvelle session parlementaire en recourant à l’article 49.3 de la Constitution qui lui permet de faire adopter sans vote par l’Assemblée nationale un texte de loi, en l’occurrence le projet de loi de programmation des finances publiques qui fixe la trajectoire budgétaire de la France de 2024 à 2027. Les députés n’ont pas pu amender le texte, ils n’ont pu que soumettre au vote une motion de censure pour renverser le gouvernement. Or, comme il n’y a pas de majorité à l’Assemblée nationale pour adopter le texte proposé par le gouvernement, les uns trouvant la trajectoire proposée trop restrictive, les autres pas assez, il ne s’est pas trouvé ce vendredi de majorité pour renverser le gouvernement.

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Le projet de loi de programmation des finances publiques préparé par le gouvernement présente une trajectoire de réduction du déficit public de 4,8 % du PIB en 2022 à 2,7 % du PIB en 2027 (en dessous des sacro-saints 3 % fixés pour les pays de la zone euro). La dette publique passerait de 112,5 % du PIB en juin 2023 à 108,1 % du PIB d’ici la fin du quinquennat (les règles européennes prévoient que les déficits publics ne doivent pas dépasser 60 % du PIB).

Comme ce texte ne fait pas partie des textes financiers pour lesquels le gouvernement est autorisé à recourir sans limites à ce fameux article 49.3 de la Constitution, le gouvernement convoque l’Assemblée nationale en session extraordinaire pour se laisser la possibilité d’utiliser une fois encore cette procédure de passage en force d’un texte de loi au cours de la session ordinaire de l’Assemblée. Tous les moyens sont bons, tous les artifices de procédure sont utilisés par l’exécutif pour imposer ses vues.

Bien entendu, les partis d’opposition rassemblés au sein de la NUPES ont déposé une motion de censure dont ils savaient qu’elle a peu de chance d’aboutir.

Ce nouvel épisode témoigne de la fragilité politique du gouvernement, de l’isolement de l’exécutif et de son incapacité à tenir le cap d’une politique dont plus personne d’ailleurs ne comprend la cohérence.

Mais il est intéressant d’analyser un peu plus en détail les déclarations des uns et des autres sur cette loi de programmation des finances publiques et le recours à la procédure de l’article 49.3 de la Constitution.

Du côté de l’exécutif on mesure bien à quel point l’utilisation répétée de ce moyen de museler le Parlement constitue un aveu de faiblesse qui finit par être gênant (Elisabeth Borne a déjà utilisé l’article 49.3 de la Constitution à onze reprises depuis sa nomination à Matignon il y a un peu plus d’un an). Et nous savons d’ores et déjà que le gouvernement devra y recourir à nouveau pour faire adopter le projet de loi de finances pour 2024, le projet de loi de financement de la sécurité sociale et d’autres textes financiers. L’exécutif ne peut donc pas exclure qu’à un moment ou un autre l’exaspération des députés conduise à l’adoption d’une motion de censure qui renverserait le gouvernement.

Pour justifier ce passage en force du projet de programmation des finances publiques l’exécutif met en avant les exigences de l’Union européenne. Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, affirme que le versement de deux aides provenant de l’Union européenne – 10 milliards d’euros en 2023 et 8 milliards d’euros en 2024 – est conditionné à l’adoption de la LPFP. « Sans loi de programmation des finances publiques, il n’y aura pas de décaissements. Que chacun prenne ses responsabilités pour conforter notre crédibilité », a-t-il déclaré dans l’Hémicycle. Elisabeth Borne de son côté indiquait qu’elle ne pouvait prendre aucun risque de modifications ou de rejet de ce texte, pour justifier le recours à cette procédure d’exception.

L’opposition de gauche, quant à elle, fait mine de découvrir que l’adoption d’une programmation pluriannuelle des finances publiques conforme à la doxa budgétaire de l’Union européenne, celle du retour à l’équilibre des finances publiques et de la réduction de la part des dépenses publiques dans le PIB, est une condition du versement des contributions européennes au plan de relance économique national.

Éric Coquerel, le président de la commission des finances de l’Assemblée, a déclaré ; « Tenter de convaincre cette Assemblée par l’argument de l’injonction européenne n’est pas raisonnable. D’après l’étude de mon administration, rien ne permet d’affirmer que l’absence d’adoption serait un motif seul du blocage des versements ». Tandis que la vice-présidente socialiste de l’Assemblée nationale, Valérie Rabault, a accusé le gouvernement « d’avoir proposé en catimini à Bruxelles que l’un des critères [de ces versements] soit l’adoption et l’entrée en vigueur d’une loi de programmation. Comme si c’était une formalité ».

Cela démontre que nos députés n’ont pas suivi avec beaucoup d’attention les débats qui ont eu lieu à Bruxelles, en juillet 2020, au moment de l’adoption du fameux plan de relance européen de 750 milliards d’euros, dont la moitié en prêts de l’Union aux États membres et l’autre moitié en subventions.

Le conseil européen du 17 juillet 2020 a autorisé la commission à emprunter au maximum 750 milliards d’euros sur les marchés financiers pour financer des dépenses exceptionnelles résultant de la pandémie et relancer l’économie.

Les fonds empruntés pouvaient être prêtés aux États membres de l’Union européenne, pour 360 milliards d’euros, ou transférés sous forme de subventions pour financer des dépenses à hauteur de 390 milliards d’euros, pour des dépenses engagées en trois ans : 2021, 2022 et 2023.

Mais il était clair dans le compromis adopté en juillet 2020 par le Conseil européen que les aides accordées dans le cadre de ce plan de relance n’étaient pas inconditionnelles. Pour en bénéficier, les États devaient présenter des « plans nationaux de réforme et d’investissement » pour les années 2021–2023, soumis à l’évaluation de la Commission européenne avant d’être soumis au Conseil européen statuant à la majorité qualifiée.

Pour ce qui est de l’absence de contribution des Français au financement du plan de relance européen le gouvernement a clairement menti.

Pas de chèque en blanc donc ! Les concours financiers ne seront accordés que si les programmes de dépenses présentés sont conformes aux orientations de politique économique formulées à l’occasion de l’examen annuel de la situation budgétaire des membres de l’Union par les instances européennes, notamment en matière de « réformes structurelles ».

La conditionnalité des versements aux États membres était donc clairement établie. Mais Emmanuel Macron et son gouvernement ont jugé prudent de rester discrets sur cette question et de mettre l’accent, en 2020, sur la grande victoire qu’ils venaient de remporter à Bruxelles. Ils vantaient à l’époque un plan qui constituait à la fois un pas en avant dans la construction d’une Europe fédérale, qui correspond à leurs vœux, et une aide financière qui allait permettre de relancer l’économie française sans que les Français ne paient un sou pour cela.

Chacun jugera du renforcement de l’Union européenne obtenu grâce à ce plan.

Mais, pour ce qui est de l’absence de contribution des Français au financement du plan de relance européen, le gouvernement a clairement menti.

Le plafond des ressources propres de l’UE a été porté de 1,20 % du revenu national brut des États membres à 1,40 % pour permettre le financement de la croissance du budget européen, soit une augmentation de la contribution française annuelle de l’ordre de 4 à 5 milliards d’euros. De plus, le financement du plan de relance a été assuré par un relèvement temporaire de 6 points de pourcentage du plafond de ressources propres affectées au financement des dépenses de l’Union, au-delà de 1,40 %. Les contributions appelées pour financer le budget européen sont donc passées de 1,20 % du revenu national brut des États en 2020 à 1,46 %, à partir de 2021.

Cette hausse pouvait être annulée si de nouvelles ressources propres de l’Union européenne étaient trouvées. Le compromis était ainsi rédigé : « Au cours des prochaines années, l’Union s’efforcera de réformer le système des ressources propres et d’introduire de nouvelles ressources propres. Une nouvelle ressource propre fondée sur les déchets plastiques non recyclés sera établie et appliquée à partir du 1er janvier 2021. Au cours du premier semestre de 2021, à titre de base pour des ressources propres supplémentaires, la commission présentera des propositions relatives à un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières et à une redevance numérique, en vue de leur introduction au plus tard le 1er janvier 2023. Dans le même esprit, la commission présentera une proposition relative au système révisé d’échange de quotas d’émissions, éventuellement étendu à l’aviation et au transport maritime. Enfin, l’union s’efforcera au cours du prochain cadre financier pluriannuel, de mettre en place d’autres ressources propres qui pourraient inclure une taxe sur les transactions financières. Le produit des nouvelles ressources propres introduites après 2021 sera utilisé pour le remboursement anticipé des emprunts contractés dans le cadre de « Next Generation EU » »

La seule ressource nouvelle mise en place fut la taxe sur les plastiques non recyclés, dont le produit est dérisoire.

Un compromis a été difficilement élaboré pour mettre en place une taxe carbone aux frontières qui n’entrera véritablement en vigueur que dans quelques années et dont le produit sera très faible en même temps que l’administration en sera très compliquée.

Dans l’immédiat, les « aides européennes » dont parle le ministre de l’Économie et des Finances sont donc en réalité financées par une augmentation des prélèvements de l’Union européenne sur les budgets des États membres, dont la France, elles sont donc payées par les impôts et la dette des Français contrairement à ce qu’avaient affirmé en 2020 Emmanuel Macron et Bruno Le Maire.

Tout cela pour quel bénéfice pour l’économie française, en comparaison d’un plan de relance qui aurait été financé par la France en recourant à son propre budget ?

La France était le deuxième contributeur au budget européen, derrière l’Allemagne avec 21 milliards d’euros de contribution en 2019, soit 14 % des recettes de l’UE, et 14,5 milliards d’euros de « retour » sur le budget européen, dont 9,2 milliards au titre de la politique agricole commune. Sa « contribution nette » au budget européen en 2019 fut donc de 6,5 milliards d’euros.

Il serait intéressant pour éclairer le débat sur la programmation pluriannuelle des finances publiques de savoir comment le solde des relations financières entre la France et l’Union européenne a évolué depuis l’adoption du plan de 2020. En effet, si la France finit par bénéficier des subventions prévues dans le cadre du plan de relance, soit 13 milliards d’euros par an pour les exercices 2021 à 2023, dans le même temps sa contribution au budget de l’Union européenne a augmenté, et cette augmentation sera pérenne faute de nouvelles ressources propres de l’UE. Par ailleurs un certain nombre de flux financiers en provenance de l’Union européenne dont bénéficiait la France, au titre de la politique agricole commune et des fonds structurels, ont diminué depuis 2020.

Tout se passe donc comme si la France demandait l’autorisation à l’Union européenne de dépenser son propre argent et ne pouvait le faire sans se soumettre à un certain nombre d’exigences fixées par l’Union européenne.

Sur un point Bruno Le Maire ne ment pas, il faudra bien présenter une trajectoire de finances publiques conforme aux attentes de la Commission européenne et du Conseil des ministres européens des finances pour bénéficier des « aides » que la France a elle-même financée par sa contribution au budget européen. Mais s’il dit la vérité aujourd’hui, il a menti en 2020 en ne le disant pas. Il faut dire que les médias n’ont pas fait preuve d’une grande curiosité à l’époque et se sont contentés de reprendre les éléments de langage du gouvernement sur le grand pas en avant réalisé par l’Europe grâce à la France et l’importance de ce plan européen dans la reprise économique espérée.

On aurait aimé que l’opposition à Emmanuel Macron et Élisabeth Borne pose ces questions à l’occasion du débat qui ouvert par la motion de censure plutôt que de feindre d’ignorer le cadre européen dans lequel s’inscrit le projet de loi contesté.

Mais peut-être la NUPES ne souhaite-t-elle pas poser ces questions faute d’avoir une position commune sur les réponses qu’il conviendrait d’y apporter, ou peut-être parce qu’elle ne dispose tout simplement pas de ces réponses.

Alors qu’il n’est question que de l’existence d’une liste commune des formations de la NUPES pour les élections européennes prochaines ou de la concurrence entre les partis qui la constituent, les citoyens seraient intéressés par leurs positions respectives sur le degré d’autonomie budgétaire dont les États membres doivent disposer au sein de l’Union européenne, afin de pouvoir juger de la crédibilité d’une éventuelle liste commune.

Aux mensonges du gouvernement répondent l’ignorance et la mauvaise foi de son opposition. Les citoyens ne seront donc guère éclairés par ce débat et assisteront une fois encore à une mauvaise comédie à l’Assemblée nationale.


Jean-François Collin

Haut fonctionnaire

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