International

Après le Gabon, à qui le tour ? Au Cameroun, vraiment ?

Politiste

Huit coups d’Etat en Afrique ces trois dernières années. Il n’en fallait pas plus pour que des observateurs se risquent à des analyses en termes de contagion ou d’épidémie… Les réalités sociales et politiques sont pourtant autrement complexes. Prenons l’exemple du Cameroun, annoncé par certains comme le prochain sur la liste.

Le continent africain est la scène de nombreux coups d’État depuis 2020. On parle de huit coups d’État militaires en l’espace de trois années seulement !

publicité

De nombreux observateurs se sont empressés de crier à la régression de la démocratie sur le continent, d’autres, sous un ton plus culturaliste, se sont demandé si ce n’était pas plutôt la preuve de l’inadéquation entre la démocratie « occidentale » et les valeurs africaines[1], d’autres encore s’émeuvent de la perte de l’influence géostratégique de la France, accusant la Russie ou la Chine d’être à la manœuvre de ces coups d’État. Pour la plupart, on assisterait à une « épidémie » des coups d’État qui pourrait progressivement gagner une grande partie des États africains, comme une métastase qui se développerait au rythme d’un effet domino imparable. Ce qui fait dire à plusieurs observateurs et chroniqueurs que l’on est inévitablement rentré dans « l’ère » d’un « printemps africain à coups de putschs en Afrique » ! C’est ce que je qualifie de théorie de la « contagion ».

Cependant tous ces points de vue ont pour principale limite d’entretenir l’illusion de la « soudaineté » et, par-là même, un brin d’historicisme et de glissement « naturel » et « systématique » des coups d’État : non seulement ils les analysent essentiellement sous les traits de « l’inattendu », de la « nouveauté » et de « l’extraordinaire », mais ils prédisent aussi que les coups d’État seraient le « nouveau » mode de dévolution du pouvoir en Afrique dans les années à venir, en lieu et place des « candidatures uniques » des années 1960-1970 et du multipartisme des années 1990.

Et pourtant, de nombreuses études ont montré que les coups d’État militaires ont toujours existé en Afrique depuis les années d’indépendance[2]. De même, l’hypothèse de la contagion, que sous-tendent ces points de vue, met complètement de côté le fait central selon lequel ces coups d’États ne se ressemblent pas et ne répondent pas des mêmes ressorts sociopolitiques


[1] C’est un vieux débat sur l’authenticité politique africaine et sur la démocratie comme un « luxe » pour l’Afrique.

[2] G. Balandier, « Les coups d’Etat militaires s’expliquent par le désir des jeunes de changer la situation », Le Monde diplomatique, avril 1966 ; « Les « Coups d’État » en Afrique de 1960 à 2021. Typologie, causes, conséquences et pistes de sortie durable », Agora Afrique – Revue congolaise de sciences politiques, n°1, 2023 ; É. M. Ngango Youmbi et B. Cissé, « Chronique de trente-deux ans de coups d’État en Afrique (1990-2022) », Revue française de droit constitutionnel, vol. 1, n°133, 2023, p. e25 – e52.

[3] J-F. Bayart, « Afrique : les coups d’État se suivent et ne se ressemblent pas (complètement) », Alternatives économiques, 5 septembre 2023, [consulté le 08/09/2023.]

[4] Expression de l’écrivain camerounais Mongo Beti décrivant la société camerounaise au début des années 2000, extraite de P. Bissek, Mongo Beti à Yaoundé. 1991-2000, Rouen, Editions des peoples noirs, 2005, p. 395-398.

[5] C’est précisément ce que j’analyse dans ma thèse de doctorat. Voir, P. D. Belinga Ondoua « Gouverner le mécontentement au Cameroun. Politiques des logements et construction de l’hégémonie à Yaoundé, 2000-2020 », thèse de science politique, Université de Genève, 2023.

[6] M-E. Pommerolle, « La démobilisation collective au Cameroun : entre régime postautoritaire et militantisme extraverti », Critique internationale, vol. 3, n°40, 2008, p. 73-94.

[7] A. Augé et C. D. Tamegui, « Le Génie militaire au Cameroun. Une force duale pour l’aménagement du territoire et le développement », Revue internationale des études du développement, vol. 1, n°245, 2021, p. 201-223.

[8] J.P. Biyiti bi Essam, Cameroun : complots et bruits de bottes, Paris, L’Harmattan, 1985.

[9] Voir, sur cette question, J-F. Bayart, L’Etat au Cameroun, Paris, FNSP, 1979, p. 154-155.

[10] « Toutes les armées, tous les secteurs militaires, sont surveillés, mis en concurrence et se contrôlent les uns le

Patrick Dieudonné Belinga Ondoua

Politiste, Doctorant en sciences politiques à l’Université de Genève au sein du Global Studies Institute.

Notes

[1] C’est un vieux débat sur l’authenticité politique africaine et sur la démocratie comme un « luxe » pour l’Afrique.

[2] G. Balandier, « Les coups d’Etat militaires s’expliquent par le désir des jeunes de changer la situation », Le Monde diplomatique, avril 1966 ; « Les « Coups d’État » en Afrique de 1960 à 2021. Typologie, causes, conséquences et pistes de sortie durable », Agora Afrique – Revue congolaise de sciences politiques, n°1, 2023 ; É. M. Ngango Youmbi et B. Cissé, « Chronique de trente-deux ans de coups d’État en Afrique (1990-2022) », Revue française de droit constitutionnel, vol. 1, n°133, 2023, p. e25 – e52.

[3] J-F. Bayart, « Afrique : les coups d’État se suivent et ne se ressemblent pas (complètement) », Alternatives économiques, 5 septembre 2023, [consulté le 08/09/2023.]

[4] Expression de l’écrivain camerounais Mongo Beti décrivant la société camerounaise au début des années 2000, extraite de P. Bissek, Mongo Beti à Yaoundé. 1991-2000, Rouen, Editions des peoples noirs, 2005, p. 395-398.

[5] C’est précisément ce que j’analyse dans ma thèse de doctorat. Voir, P. D. Belinga Ondoua « Gouverner le mécontentement au Cameroun. Politiques des logements et construction de l’hégémonie à Yaoundé, 2000-2020 », thèse de science politique, Université de Genève, 2023.

[6] M-E. Pommerolle, « La démobilisation collective au Cameroun : entre régime postautoritaire et militantisme extraverti », Critique internationale, vol. 3, n°40, 2008, p. 73-94.

[7] A. Augé et C. D. Tamegui, « Le Génie militaire au Cameroun. Une force duale pour l’aménagement du territoire et le développement », Revue internationale des études du développement, vol. 1, n°245, 2021, p. 201-223.

[8] J.P. Biyiti bi Essam, Cameroun : complots et bruits de bottes, Paris, L’Harmattan, 1985.

[9] Voir, sur cette question, J-F. Bayart, L’Etat au Cameroun, Paris, FNSP, 1979, p. 154-155.

[10] « Toutes les armées, tous les secteurs militaires, sont surveillés, mis en concurrence et se contrôlent les uns le