Savoirs

Ouvrir l’éventail, ou de la lisibilité

Philosophe, historien de l'art

Après Enzo Traverso, c’est à Georges Didi-Huberman de répondre à l’article en deux volets de l’historien de la photographie Guillaume Blanc-Marianne, publié en mai, qui revenait sur le passionnant débat qui oppose dans nos colonnes l’historien de l’art et le philosophe au sujet d’une photographie de Gilles Caron prise en août 1969 en Irlande du Nord et présentée dans l’exposition « Soulèvements » de Georges Didi-Huberman.

Cher Guillaume Blanc-Marianne,

Votre enquête minutieuse et contextualisée sur la photographie de Gilles Caron – image de laquelle « tout est parti », dites-vous justement, dans ce débat sur la politique des images – nous est infiniment précieuse. C’est l’intervention nécessaire que ce débat attendait. Lorsque celui-ci a débuté, en mai 2022, je me disais bien que la première chose à faire, de ma part ou de celle d’Enzo Traverso, eût été de remonter aux sources, c’est-à-dire de travailler dans l’archive photographique de Gilles Caron et de vérifier ce qui se passait, d’une image à l’autre, sur ses planches-contact. C’est l’argument que j’opposai d’ailleurs, prêt à m’atteler à cette tâche, aux demandes un peu précipitées de publications en ouvrage de ce débat : tant qu’on n’en savait pas plus sur la « teneur chosale » – en attendant la « teneur de vérité », pour autant qu’elle soit accessible – de cette photographie, les arguments en jeu, ou en lice, risquaient fort, assurément, de tourner en rond.

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Comme en diagonale de nos échanges de lettres, vous avez pris la décision, le temps et l’énergie d’effectuer ce travail jusqu’à des résultats désormais indubitables. Et je vous en remercie vivement, heureux que ce soit quelqu’un d’extérieur au débat lui-même – mais, à présent, vous en faites partie, et au titre d’intervenant majeur –, spécialiste de Caron et de la photographie de presse, à obtenir et formuler de tels résultats. Il est établi désormais, grâce à vous, que les deux « lanceurs de pierre » photographiés par Gilles Caron à Derry le 13 août 1969 ne sont pas des unionistes protestants mais bien des militants catholiques et que, comme j’en avais aussi fait l’hypothèse – une hypothèse seulement, présentée comme telle mais fondée sur l’information selon laquelle des cordons de policiers protégeaient, ce jour-là, les cortèges unionistes –, le groupe de personnes visibles à l’arrière-plan de l’image étaient des forces de l’ordre et non des pompiers comme Enzo T


[1] M. Poivert, Gilles Caron. Le conflit intérieur, op. cit., p. 225-227 et 264-290.

[2] J. Rancière, « La phrase, l’image, l’histoire » (2002), Le Destin des images, Paris, La Fabrique Éditions, 2003, p. 41-78.

[3] Cf. G. Didi-Huberman, Le Témoin jusqu’au bout. Une lecture de Victor Klemperer, Paris, Les Éditions de Minuit, 2022.

[4] Id., « Pour une anthropologie des singularités formelles », art. cit., p. 145-163.

[5] W. Benjamin, Origine du drame baroque allemand (1928), trad. S. Muller et A. Hirt, Paris, Flammarion, 1985, p. 45.

[6] Cf. S. Kracauer, Théorie du film. La rédemption de la réalité matérielle (1960), trad. D. Blanchard et C. Orsoni, Flammarion, 2010.

[7] F. Rosenzweig, L’Étoile de la Rédemption (1921), trad. A. Derczanski et J.-L. Schlegel, Paris, Le Seuil, 1982 (éd. revue, 2003).

[8] G. Didi-Huberman, Images malgré tout, op. cit., p. 205-226.

[9] A. Warburg, « L’art du portrait et la bourgeoisie florentine. Domenico Ghirlandaio à Santa Trinita. Les portraits de Laurent de Médicis et de son entourage » (1902), trad. S. Muller, Essais florentins, Paris, Klincksieck, 1990, p. 106.

[10] Id., « Art italien et astrologie internationale au Palazzo Schifanoia à Ferrare » (1912), trad. S. Muller, ibid., p. 215.

[11] W. Benjamin, « L’auteur comme producteur » (1934), trad. P. Ivernel, Essais sur Brecht, Paris, La Fabrique Éditions, 2003, p. 134.

[12] Cf. G. Didi-Huberman, Atlas ¿Cómo llevar el mundo a cuestas?, trad. M. D. Aguilera, Madrid, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, 2010 (Atlas. How to Carry the World on One’s Back ?, trad. S. B. Lillis, ibid.). Le texte du catalogue a été repris en français dans Atlas ou le gai savoir inquiet. L’œil de l’histoire, 3, Paris, Les Éditions de Minuit, 2011.

[13] A. Warburg, « La divination païenne et antique dans les écrits et les images à l’époque de Luther » (1920), trad. S. Muller, Essais florentins, op. cit., p. 245-294.

[14] Id., Gesammelte Schriften, II.1. Der Bilderatlas Mnemosyne, éd., M. Warnke et C. Br

Georges Didi-Huberman

Philosophe, historien de l'art, Directeur d'études de l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS)

Notes

[1] M. Poivert, Gilles Caron. Le conflit intérieur, op. cit., p. 225-227 et 264-290.

[2] J. Rancière, « La phrase, l’image, l’histoire » (2002), Le Destin des images, Paris, La Fabrique Éditions, 2003, p. 41-78.

[3] Cf. G. Didi-Huberman, Le Témoin jusqu’au bout. Une lecture de Victor Klemperer, Paris, Les Éditions de Minuit, 2022.

[4] Id., « Pour une anthropologie des singularités formelles », art. cit., p. 145-163.

[5] W. Benjamin, Origine du drame baroque allemand (1928), trad. S. Muller et A. Hirt, Paris, Flammarion, 1985, p. 45.

[6] Cf. S. Kracauer, Théorie du film. La rédemption de la réalité matérielle (1960), trad. D. Blanchard et C. Orsoni, Flammarion, 2010.

[7] F. Rosenzweig, L’Étoile de la Rédemption (1921), trad. A. Derczanski et J.-L. Schlegel, Paris, Le Seuil, 1982 (éd. revue, 2003).

[8] G. Didi-Huberman, Images malgré tout, op. cit., p. 205-226.

[9] A. Warburg, « L’art du portrait et la bourgeoisie florentine. Domenico Ghirlandaio à Santa Trinita. Les portraits de Laurent de Médicis et de son entourage » (1902), trad. S. Muller, Essais florentins, Paris, Klincksieck, 1990, p. 106.

[10] Id., « Art italien et astrologie internationale au Palazzo Schifanoia à Ferrare » (1912), trad. S. Muller, ibid., p. 215.

[11] W. Benjamin, « L’auteur comme producteur » (1934), trad. P. Ivernel, Essais sur Brecht, Paris, La Fabrique Éditions, 2003, p. 134.

[12] Cf. G. Didi-Huberman, Atlas ¿Cómo llevar el mundo a cuestas?, trad. M. D. Aguilera, Madrid, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, 2010 (Atlas. How to Carry the World on One’s Back ?, trad. S. B. Lillis, ibid.). Le texte du catalogue a été repris en français dans Atlas ou le gai savoir inquiet. L’œil de l’histoire, 3, Paris, Les Éditions de Minuit, 2011.

[13] A. Warburg, « La divination païenne et antique dans les écrits et les images à l’époque de Luther » (1920), trad. S. Muller, Essais florentins, op. cit., p. 245-294.

[14] Id., Gesammelte Schriften, II.1. Der Bilderatlas Mnemosyne, éd., M. Warnke et C. Br