La pensée à l’ère de sa reproductibilité technique
Si l’intelligence artificielle est revenue à la mode depuis quelques années déjà, elle semblait rester cantonnée à des tâches précises et à des champs d’application limités.

Sur la chaîne de production de l’intelligence, la machine était capable d’occuper un ou deux postes, mais la maîtrise du processus global lui restait inaccessible. Et cela était rassurant : il semblait loin le temps où les robots viendraient défier leurs concepteurs, et réaliser l’angoissante dystopie à l’origine de tant d’œuvres de science-fiction.
Qu’un algorithme puisse identifier le trajet le plus court entre travail et domicile est stupéfiant, pratique aussi, mais n’entame pas pour autant notre orgueil d’espèce intelligente, tant la performance semble limitée par rapport à l’étendue des capacités de notre cerveau. Cependant, l’intelligence artificielle semble s’être récemment émancipée de cette taylorisation avec l’arrivée des premiers outils dits de « large language model », capables de produire une proposition en réponse à toutes les questions que l’on pourrait lui poser. L’engouement pour cette intelligence artificielle multitâche accessible à tous depuis la fin de l’année 2022 marque sans surprise une rupture dans la perception de l’intelligence artificielle, comme en témoigne l’impressionnante quantité de commentaires, technophiles ou technophobes, qui ont émergé à ce sujet depuis.
Le monde académique semble particulièrement concerné par cette nouvelle technologie. Et tout d’abord dans l’une de ses pratiques rituelles : l’évaluation. Cette dernière a une fonction symbolique majeure, elle permet d’attester que les titulaires d’un diplôme maîtrisent un socle de connaissances et de compétences communes, et garantit ainsi la valeur et la réputation du certificat délivré, et par ricochet de la formation dispensée. La médiatisation des succès de ChatGPT à des examens aussi sélectifs que ceux qui sanctionnent les études de droit ou de médecine tient probablement autant de la fascina