Politique

Face à l’union des droites : plaidoyer pour une gauche résolument minoritaire

Philosophe

Alors que l’union des droites émerge comme une perspective incontournable en France et dans toute l’Europe, la gauche se trouve confrontée à un défi majeur. Dans ce contexte de recomposition politique, où les lignes traditionnelles s’estompent, il est crucial pour elle de reconnaître sa position minoritaire et de l’assumer résolument.

La tripartition du champ politique français a vécu. Née de l’essor du Front National dans les années 1980, elle semblait durablement installée lorsque Emmanuel Macron a débuté son premier mandat, même si le candidat de La République en Marche prétendait lui substituer une opposition d’un nouveau type, entre « progressistes » et « populistes ».

publicité

La rhétorique du « en même temps », qui avait animé la première campagne du chef de l’État, visait en effet à remiser la polarité de la droite et de la gauche – mais aussi leur détermination partagée à traiter l’extrême droite en tiers exclu – au profit de l’opposition entre un juste milieu capable d’attirer les gens raisonnables d’où qu’ils viennent et deux extrêmes également portés à la démagogie irresponsable.

Cependant, une fois au pouvoir, l’ancien protégé de François Hollande a rapidement renoncé, sinon à invoquer l’alternative entre progressisme et populisme, du moins à escompter qu’elle oriente le choix des Français. Conscient que la politique qu’il entendait mener ne lui accordait plus aucune marge de progression sur sa gauche, il s’est adonné à une forme de sarkozysme 2.0 jamais démenti par la suite – comme l’atteste aujourd’hui la composition et les priorités du gouvernement de Gabriel Attal – et destiné à capter le reliquat du vote Les Républicains (LR).

Revu à la baisse, l’objectif poursuivi ne consistait plus à forger une majorité absolue d’amis du progrès. Emmanuel Macron se proposait seulement de rassembler un nombre suffisant de voix de droite pour figurer au second tour de la présidentielle suivante et, une fois qualifié, de mobiliser le principe du moindre mal pour convaincre les électeurs de gauche de lui accorder leurs suffrages. Sans doute lui importait-il encore de traiter sa rivale de 2017 comme la principale représentante de l’alternative populiste à son progressisme, et non comme la cheffe d’un parti d’extrême-droite distinct d’un centre droit libéral et d’une gauche éco-socialiste. Pour aut


[1] Que Fabrice Leggeri figure en troisième position sur la liste du RN pour les prochaines élections européennes constitue à cet égard un puissant symbole. Contraint à la démission suite à un rapport faisant état de refoulements illégaux et du harcèlement de son propre personnel, l’ancien directeur de Frontex compte désormais sur la voie électorale poursuivre son combat contre la submersion migratoire. Voir notamment Youmni Kezzouf et Camille Polloni, « L’ancien patron de Frontex rejoint le Rassemblement national pour les Européennes », Mediapart, 18 février 2024.

[2] Julia Cagé et Thomas Piketty, Une histoire du conflit politique. Élections et inégalités sociales en France, 1789-2022, Éditions du Seuil, 2023.

[3] Cinq ans plus tôt, Bruno Amable et Stefano Palombarini formulait un diagnostic similaire dans L’illusion du bloc bourgeois. Alliances sociales et avenir du modèle français, Raisons d’Agir, 2018.

[4] Plus circonspects que leurs collègues économistes sur l’essor d’une « gauche de rupture », Amable et Palombarini n’insistent pas moins sur les intérêts contradictoires qui empêchent le « bloc bourgeois » et le « pôle souverainiste » de fusionner sans pertes dans un « bloc de droite 2.0 ». Voir leur livre d’entretiens, Où va le bloc bourgeois ?, La Dispute, 2022.

[5] L’antinomie du ressentiment et de l’indignation est au cœur de la critique du « populisme de gauche » développée par Éric Fassin dans Populisme : le grand ressentiment. Textuel, 2017.

Michel Feher

Philosophe, Fondateur de Zone Books

Rayonnages

PolitiqueÉlections

Notes

[1] Que Fabrice Leggeri figure en troisième position sur la liste du RN pour les prochaines élections européennes constitue à cet égard un puissant symbole. Contraint à la démission suite à un rapport faisant état de refoulements illégaux et du harcèlement de son propre personnel, l’ancien directeur de Frontex compte désormais sur la voie électorale poursuivre son combat contre la submersion migratoire. Voir notamment Youmni Kezzouf et Camille Polloni, « L’ancien patron de Frontex rejoint le Rassemblement national pour les Européennes », Mediapart, 18 février 2024.

[2] Julia Cagé et Thomas Piketty, Une histoire du conflit politique. Élections et inégalités sociales en France, 1789-2022, Éditions du Seuil, 2023.

[3] Cinq ans plus tôt, Bruno Amable et Stefano Palombarini formulait un diagnostic similaire dans L’illusion du bloc bourgeois. Alliances sociales et avenir du modèle français, Raisons d’Agir, 2018.

[4] Plus circonspects que leurs collègues économistes sur l’essor d’une « gauche de rupture », Amable et Palombarini n’insistent pas moins sur les intérêts contradictoires qui empêchent le « bloc bourgeois » et le « pôle souverainiste » de fusionner sans pertes dans un « bloc de droite 2.0 ». Voir leur livre d’entretiens, Où va le bloc bourgeois ?, La Dispute, 2022.

[5] L’antinomie du ressentiment et de l’indignation est au cœur de la critique du « populisme de gauche » développée par Éric Fassin dans Populisme : le grand ressentiment. Textuel, 2017.