Littérature

La poésie ou la conscience écologique de la culture (1/2)

Directeur de l'École nationale supérieure des arts décoratifs

À l’heure de l’Anthropocène, il est urgent de passer d’une croyance en l’infini des ressources naturelles à l’acceptation de leur finitude. Un travail qui a lieu sur le plan de l’imaginaire, et auquel peut grandement contribuer la poésie, si on apprend à l’écouter.

Dans les premières pages de son autobiographie intellectuelle, Le Monde d’hier, qui est aussi un précieux témoignage sur la vie culturelle européenne au tournant du XIXe et du XXe siècles, Stefan Zweig revient sur le creuset de la modernité – artistique, intellectuelle et morale – que fut Vienne à cette époque. L’une des caractéristiques principales qu’il met en exergue est l’omniprésence de la culture, doublée d’un rapport harmonieux avec la nature.

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Dans cette ville où « le désir de culture » était plus élevé que partout ailleurs, écrit-il, « on sentait à peine où commençait la nature, où commençait la ville, et tout fusionnait sans résistance ni contradiction […] il n’y avait pas de querelle entre l’ancien et le nouveau, pas plus qu’entre la pierre de taille et la nature vierge[1]. » Cette relation harmonieuse se fonde pourtant sur un escamotage : « bien que nous nous sentîmes poètes en herbe ou tout au moins en puissance, poursuit-il, nous nous intéressions très peu à la nature[2]. »

Ces considérations sont un bon témoignage pour qui veut saisir la relation de la culture à la nature à l’époque moderne et le rôle qu’y tient la poésie. Elles invitent à penser que la culture en serait venue, sur fond de rapport pacifié et fluide entre la ville et la campagne, à se détourner de la nature, tout en laissant entendre qu’il serait dans la vocation du poète de s’y « intéresser », mais que quelque chose se serait interrompu.

Alors qu’on assiste aujourd’hui à un regain d’intérêt pour la poésie, doublé d’une conscience écologique croissante, elles sont aussi un bon point de départ pour interroger le rôle qui aura longtemps été dévolu à la poésie, et qui semble être à nouveau le sien : celui d’être la conscience écologique de la culture, c’est-à-dire la forme par laquelle la culture abrite et entretient en son sein le souci de la nature.

Romantisme allemand

Pour le grand écrivain autrichien de la première moitié du XXe siècle, qui fut dans sa jeunesse un admirateur


[1] Stefan Zweig, Le Monde d’hier, Folio Gallimard, 2013, p. 41.

[2] Idid, p. 96.

[3] « Le plus ancien programme systématique de l’idéalisme allemand », in Philippe Lacoue-Labarthe et Jean-Luc Nancy, L’absolu littéraire. Théorie de la littérature du romantisme allemand, collection Poétique, Seuil, 1978, p. 54.

[4] August Wilhelm Schlegel, « Idées » in Philippe Lacoue-Labarthe, Jean-Luc Nancy, op. cit., p. 208.

[5] Novalis, Art et Utopie. Les derniers fragments (1799-1800), Éditions Olivier Schefer, Paris, , 2005, p. 94 (frag. 54-55).

[6] August Wilhelm Schlegel, « Idées » et « Le poème », in Philippe Lacoue-Labarthe, Jean-Luc Nancy, op. cit., p. 216, 343.

[7] Hésiode, Les Travaux et les jours, Les Belles Lettres, 2018, Christine Hunzinger, « Introduction », p. XVII.

[8] Ibid, v. 694, p. 59.

[9] Aristote, Poétique, Paris, Seuil, 1980, chapitre 24.

[10] Arthur Rimbaud, Lettre à Paul Demeny, 15 mai 1871, p. 250 éd. Pléiade.

[11] Virgile, Le souci de la terre, nouvelle traduction des Géorgiques par Frédéric Boyer, Gallimard, 2019, « Faire Virgile », préface de Frédéric Boyer, p. 24.

[12] Ibid., p. 25.

[13] Je traduis librement.

Emmanuel Tibloux

Directeur de l'École nationale supérieure des arts décoratifs

Rayonnages

Écologie Culture

Mots-clés

Anthropocène

Notes

[1] Stefan Zweig, Le Monde d’hier, Folio Gallimard, 2013, p. 41.

[2] Idid, p. 96.

[3] « Le plus ancien programme systématique de l’idéalisme allemand », in Philippe Lacoue-Labarthe et Jean-Luc Nancy, L’absolu littéraire. Théorie de la littérature du romantisme allemand, collection Poétique, Seuil, 1978, p. 54.

[4] August Wilhelm Schlegel, « Idées » in Philippe Lacoue-Labarthe, Jean-Luc Nancy, op. cit., p. 208.

[5] Novalis, Art et Utopie. Les derniers fragments (1799-1800), Éditions Olivier Schefer, Paris, , 2005, p. 94 (frag. 54-55).

[6] August Wilhelm Schlegel, « Idées » et « Le poème », in Philippe Lacoue-Labarthe, Jean-Luc Nancy, op. cit., p. 216, 343.

[7] Hésiode, Les Travaux et les jours, Les Belles Lettres, 2018, Christine Hunzinger, « Introduction », p. XVII.

[8] Ibid, v. 694, p. 59.

[9] Aristote, Poétique, Paris, Seuil, 1980, chapitre 24.

[10] Arthur Rimbaud, Lettre à Paul Demeny, 15 mai 1871, p. 250 éd. Pléiade.

[11] Virgile, Le souci de la terre, nouvelle traduction des Géorgiques par Frédéric Boyer, Gallimard, 2019, « Faire Virgile », préface de Frédéric Boyer, p. 24.

[12] Ibid., p. 25.

[13] Je traduis librement.