International

Entre France et Sénégal : l’illusion d’un conflit de valeurs

Anthropologue

Alors que certains médias français reprochent au jeune et nouveau président du Sénégal, Bassirou Diomaye Faye, de pratiquer la polygamie, le quotidien ivoirien Le Méridien a fait remarquer que personne au Sénégal ou en général en Afrique ne s’est ému que Gabriel Attal, le Premier ministre français, ait affiché son orientation homosexuelle, pratique largement condamnée sur le continent africain. Un conflit de valeurs, vraiment ?

Dans un article précédent d’AOC, j’avais commenté la controverse suscitée en France et au Sénégal par la décision du footballeur sénégalais du PSG Idrissa Gana Gueye de ne pas porter le maillot arc-en-ciel lors de la journée de lutte contre l’homophobie.

Cette controverse opposait notamment les autorités footballistiques françaises défendant les valeurs universelles de lutte contre l’homophobie à l’opinion sénégalaise dans son ensemble ou tout du moins à celle qui apparaît dans les médias de ce pays et qui condamne sans ambages les relations entre personnes de même sexe.

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Il semble que l’on assiste à un nouvel avatar de cette controverse à propos de Bassirou Diomaye Faye, le nouveau président du Sénégal auquel certains médias français reprochent de pratiquer la polygamie. Celui-ci a effet deux épouses : la première épousée en premières noces, Marie Khoné, une chrétienne dont il a eu quatre enfants, et en secondes noces, Absa Faye qui est de confession musulmane[1].

« France 24 » s’est ainsi étonné de le voir afficher publiquement sa situation d’époux polygame tandis que Le Parisien, dans une analyse plus élaborée, recourant aux commentaires d’un sociologue sénégalais, estime pour sa part que l’affichage de cette pratique condamnée par de nombreuses femmes sénégalaises tranche avec la volonté de rupture du nouveau président. En outre, sans que l’on sache précisément ce qu’il en est, il est noté que cet affichage public vise à restreindre la polygamie cachée, ce qu’on nomme au Sénégal, en wolof le « takou souf » ou dans d’autres pays d’Afrique le « deuxième bureau ».

Bref, derrière ces commentaires, on a le sentiment que certains médias français cherchent à montrer que Bassirou Diomaye Faye, qui est présenté par ailleurs comme un « panafricaniste de gauche », souhaite promouvoir, dans une optique de rupture avec la culture occidentale une culture africaine « authentique ». Cela évoquant d’une certaine manière la prise de position violente d’Ousmane Sonko, son


[1] Nazaire Kadia, « Affaire « polygamie du président Bassirou Diomaye Faye »: pourquoi les médias français n’ont aucune leçon de morale à donner au peuple sénégalais », Bamada, 3 avril 2024.

[2] Jean-Loup Amselle, « Le retour des panafricanismes » dans Critique de la raison animiste, Mimesis, 2023.

Jean-Loup Amselle

Anthropologue, Directeur de recherche émérite à l'EHESS

Notes

[1] Nazaire Kadia, « Affaire « polygamie du président Bassirou Diomaye Faye »: pourquoi les médias français n’ont aucune leçon de morale à donner au peuple sénégalais », Bamada, 3 avril 2024.

[2] Jean-Loup Amselle, « Le retour des panafricanismes » dans Critique de la raison animiste, Mimesis, 2023.