Numérique

Vers le totalitarisme informatique

Juriste

Les machines, les logiciels et leur logique utilitariste s’insèrent, se proposent ou s’imposent dans rigoureusement toutes les sphères, tous les moments et tous les lieux de la vie individuelle et collective : en tentant de rendre ainsi l’être humain superflu l’informatique correspond à l’une des définitions que Hannah Arendt avait proposées du totalitarisme.

Depuis la parution – pourtant toute récente – de mon essai Le totalitarisme informatique, j’ai pu avoir l’impression que l’histoire s’accélère. D’une part, les travaux en la matière, y compris critiques, se multiplient et dans les lignes qui suivent, je vais tacher de rendre compte de quelques-unes de ces publications que je n’avais pas encore prises en considération. D’autre part, des échanges autour de l’ouvrage et notamment deux interviews[1] m’amènent à préciser et à prolonger certaines de ses analyses.

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On évoquera successivement les erreurs terminologiques du monde informatique, la quête de toute-puissance et de rationalisation, l’apport décisif de Byung-Chul Han et enfin les domaines droit, politique et vie sociale.

Erreurs, illusions, mensonges ?

Dans l’introduction, le livre s’interroge sur la substitution terminologique d’informatique par numérique, sachant que les 0 et 1 de la programmation électronique ne sont pas des numéros, mais des signes d’un code. De telles contrevérités sont courantes : songeons à la « dématérialisation » d’activités variées et de services publics[2] qui se solde dans la réalité par une empreinte matérielle bien plus lourde que le papier. Si de par son allure d’allégement, la dématérialisation possède déjà une portée trompeuse, facilitant la réduction des services publics, impostures et mystifications sont encore bien plus importantes dans le sillage de la soi-disant intelligence artificielle.

On ne reviendra pas ici sur ce qui a déjà été développé, à partir de multiples sources, dans le livre. Contentons-nous de citer un article fort pertinent de la philosophe Anne Alombert. Elle montre que « les notions d’intelligence artificielle, d’apprentissage automatique ou de réseaux neuronaux sont problématiques, en tant qu’elles impliquent des analogies entre humain et machine, pensée et calcul, cerveau et ordinateur, qui reposent elles-mêmes sur une réduction de l’esprit à des opérations mathématiques. » Pourtant, « le fonction


[1] Dont nous tirons certains des passages qui suivent. Il s’agit de : « Et si l’informatique était une nouvelle forme de totalitarisme ? », entretien avec Olivia Dufour, 22 fév. 2024 ; « Le totalitarisme informatique qui vient », entretien avec Laurent Mucchielli, 16 avril 2024.

[2] Simon Arambourou, « Les déshumanisateurs. De quoi la “dématérialisation” des services publics est-elle le nom ? », Le Monde diplomatique, avril 2024, p. 3.

[3] Georges Canguilhem, « Le cerveau et la pensée » (1980), dans Georges Canguilhem, philosophe, historien des sciences, Albin Michel 1993, p. 21.

[4] Christian Bobin, Le muguet rouge, Gallimard, 2022.

[5] Nicolas Nova, Smartphones. Une enquête anthropologique, préface Dominique Cardon, MétisPresses, 2020, p. 330.

[6] Günther Ortmann, Der zwingende Blick. Personalinformationssysteme – Architektur der Disziplin, Campus : Frankfurt/Main 1984, p. 110-116.

[7] Benjamin Lavigne, Le petit surhomme des jeux vidéo et la gamification du monde. Éthique de la manipulation par l’interactivité ludique, Les Presses du réel, 2022.

[8] Miguel Benasayag, Le mythe de l’individu, La Découverte, 2004, p. 67.

[9] Correspondance par mail.

[10] Groupe Marcuse, La Liberté dans le coma. Essai sur l’identification électronique et les motifs de s’y opposer, « Contre l’informatisation du monde », éditions La Lenteur, nlle éd. 2019, p. 114-117.

[11] Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme (1951), t. 3 : Le système totalitaire, Seuil 2005, p. 274.

[12] Jaime Semprun, L’abîme se repeuple, Encyclopédie des nuisances 1997, p. 83.

[13] Christopher Pollmann, « The two-fold idealism of far-right politics », Ritsumeikan Studies in Language and Culture, vol. 14, n° 1, mai 2002, p. 201 à 209; id., « Diminuer le refoulement éducatif pour éviter le défoulement meurtrier. Après Auschwitz, reconnaître la dimension affective de notre existence et apprendre la vie relationnelle », colloque Théorie critique des crises contemporaines, Centre culturel international de Cerisy,

Christopher Pollmann

Juriste, Professeur de droit public à l’Université de Lorraine à Metz

Notes

[1] Dont nous tirons certains des passages qui suivent. Il s’agit de : « Et si l’informatique était une nouvelle forme de totalitarisme ? », entretien avec Olivia Dufour, 22 fév. 2024 ; « Le totalitarisme informatique qui vient », entretien avec Laurent Mucchielli, 16 avril 2024.

[2] Simon Arambourou, « Les déshumanisateurs. De quoi la “dématérialisation” des services publics est-elle le nom ? », Le Monde diplomatique, avril 2024, p. 3.

[3] Georges Canguilhem, « Le cerveau et la pensée » (1980), dans Georges Canguilhem, philosophe, historien des sciences, Albin Michel 1993, p. 21.

[4] Christian Bobin, Le muguet rouge, Gallimard, 2022.

[5] Nicolas Nova, Smartphones. Une enquête anthropologique, préface Dominique Cardon, MétisPresses, 2020, p. 330.

[6] Günther Ortmann, Der zwingende Blick. Personalinformationssysteme – Architektur der Disziplin, Campus : Frankfurt/Main 1984, p. 110-116.

[7] Benjamin Lavigne, Le petit surhomme des jeux vidéo et la gamification du monde. Éthique de la manipulation par l’interactivité ludique, Les Presses du réel, 2022.

[8] Miguel Benasayag, Le mythe de l’individu, La Découverte, 2004, p. 67.

[9] Correspondance par mail.

[10] Groupe Marcuse, La Liberté dans le coma. Essai sur l’identification électronique et les motifs de s’y opposer, « Contre l’informatisation du monde », éditions La Lenteur, nlle éd. 2019, p. 114-117.

[11] Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme (1951), t. 3 : Le système totalitaire, Seuil 2005, p. 274.

[12] Jaime Semprun, L’abîme se repeuple, Encyclopédie des nuisances 1997, p. 83.

[13] Christopher Pollmann, « The two-fold idealism of far-right politics », Ritsumeikan Studies in Language and Culture, vol. 14, n° 1, mai 2002, p. 201 à 209; id., « Diminuer le refoulement éducatif pour éviter le défoulement meurtrier. Après Auschwitz, reconnaître la dimension affective de notre existence et apprendre la vie relationnelle », colloque Théorie critique des crises contemporaines, Centre culturel international de Cerisy,