Le logement locatif intermédiaire n’est pas du logement social
La déclaration de politique générale du Premier ministre à l’Assemblée nationale le 30 janvier 2024, puis la présentation en Conseil des ministres du projet de loi consacré au logement le 3 mai dernier ont propulsé dans le débat public le logement locatif intermédiaire, produit immobilier jusque-là plutôt connu des seuls spécialistes.
L’idée promue par le gouvernement est d’intégrer partiellement ces logements dans la comptabilisation des logements sociaux dans le cadre de la mise en œuvre de l’obligation issue de l’article 55 de la loi Solidarité et renouvellement urbains (SRU) de décembre 2000. Rappelons qu’il s’agit, au nom de la mixité sociale, de contraindre les communes urbaines à atteindre au minimum un taux de 20 ou 25% de logements sociaux[1].
L’argumentaire gouvernemental repose sur l’idée que le développement d’un parc locatif intermédiaire dans les territoires où le marché immobilier est particulièrement tendu et les prix élevés, serait susceptible de faciliter l’accès au logement des ménages relevant de la classe moyenne.
Outre que cette classe moyenne urbaine constitue une cible politique importante pour l’actuelle majorité présidentielle, la question de l’accès au logement des ménages actifs à revenus modeste et moyen revêt, notamment depuis la crise sanitaire de 2020, une acuité particulière. Preuve en est l’émergence dans les débats politique et législatif[2] de la catégorie des « travailleurs essentiels », qui reprend le concept déjà ancien des « travailleurs clés » ou « key workers » pour lesquels la question de l’accès à un logement décent à proximité de leur lieu d’activité relève de l’intérêt collectif.
Or, l’importance de la pression qui pèse sur le parc locatif social[3] constitue un frein réel à l’accès au logement de ces actifs qui apparaissent souvent comme moins prioritaires que des personnes en situation d’urgence. Le logement locatif intermédiaire constituerait un moyen de répondre à leurs besoins.
Cela signifie-t-il pour autant que ce produit immobilier peut être légitimement assimilé à du logement social ? Nous prenons le parti de considérer que ce n’est pas le cas. La description historique et contemporaine du logement locatif intermédiaire, qui passe par quelques explications techniques indispensables à sa compréhension, contribue à argumenter ce constat et à comprendre à la fois son utilité réelle et ses limites.
Une histoire ancienne
L’idée d’impulser le développement d’une offre de logements locatifs ciblant un public aux revenus moins modestes que le logement social ordinaire, mais peinant à se loger correctement aux conditions du marché est très ancienne. C’est l’argumentaire constant à l’appui du développement du logement intermédiaire : il y a, dans les villes où l’offre locative privée est chère, un écart de loyer tel avec ceux du parc social, que les ménages dont les revenus sont tout juste supérieurs aux plafonds de ressources pour y accéder seraient pénalisés. Il serait donc nécessaire de développer une offre locative spécifique pour ces ménages, avec des loyers « intermédiaires », supérieurs à ceux du parc social, mais inférieurs à ceux du secteur libre.
On en trouve les premières traces dans la loi Loucheur de 1928 qui programme la production de 60 000 logements « à loyer moyen » qui viennent s’ajouter à un objectif de 200 000 habitations à bon marché (HBM). Le principe sera repris aux cours des décennies de l’après-guerre avec les Immeubles à loyer moyen (ILM) et même « à loyer normal » (ILN) qui, jusqu’à la grande réforme de 1977, côtoient dans les grands ensembles les « HLM ordinaires » (HLM-O) et s’adressent à des ménages dont les revenus sont supérieurs aux plafonds traditionnels du parc social. L’accès aux ILN, construits et gérés par les bailleurs sociaux, s’effectue même sans condition de ressources.
La réforme du financement du logement de 1977 réunifie la typologie des logements sociaux avec un produit unique, le prêt locatif aidé (PLA, devenu à partir de 2000 le Prêt locatif à usage social – PLUS). Mais l’expérience sera brève car à partir des années 1980 et 1990, une nouvelle diversification s’engage, vers le bas (avec les PLA-Intégration ciblés sur les ménages en grande difficultés) et vers les classes moyennes avec le Prêt locatif social (PLS) en 1992, intégré dès l’origine dans le cadre réglementaire du logement social, contrairement au Prêt locatif intermédiaire (PLI), créé en 1987[4], qui ne l’est pas.
Même si ces deux catégories de logements sont produites et gérées principalement par les mêmes acteurs (des organismes de logement social), les différences sont nombreuses. Elles touchent les plafonds de ressources et de loyers, nettement supérieurs pour le PLI ; mais aussi les modalités d’attribution des logements : réglementées au même titre que les autres logements sociaux pour le PLS, libres pour le PLI. De plus, le PLS bénéficie de la pérennité du statut de logement social, ce qui lui permet d’être comptabilisé dans les objectifs de l’article 55 de la loi SRU, ce qui n’est pas le cas, à ce jour, du PLI.
À partir du début des années 2000, le PLS a représenté environ un tiers de la production de logements sociaux, avec de fortes disparités territoriales : jusqu’à 40% dans les villes les plus chères (le cœur de l’Ile-de-France, les grandes métropoles en régions), beaucoup moins ailleurs.
Le PLI, pour sa part, est resté marginal et tendait, dès le début des années 2010, à s’éteindre du fait de modalités de financement très déséquilibrées. Dans un article de 2020, Benoist Apparu, ancien ministre du Logement et alors président d’In’Li, la filiale spécialisée dans le logement intermédiaire d’Action Logement, écrivait même que « le PLI est un produit presque théorique. Il existe sur le plan réglementaire mais il n’est presque plus développé car il n’offre aucune rentabilité aux investisseurs ». C’est ce dépérissement qui a conduit à la création d’un nouveau modèle de logement intermédiaire en 2014.
Parallèlement, dès le milieu des années 1980, l’État incite les particuliers à investir dans le développement de l’offre locative privée à l’aide de mesures fiscales régulièrement réformées et portant les noms de la plupart des ministres en charge du logement, de Paul Quilès en 1985 à Sylvia Pinel en 2015.
Initialement totalement libres en matière de loyers et de ressources des locataires, les logements ainsi produits ont progressivement été de plus en plus encadrés à partir du début des années 2000, tant en termes géographiques, depuis 2009 avec l’instauration d’un zonage du territoire national, pour en concentrer la production là où les besoins sont avérés[5], qu’en termes de cible sociale (depuis 1999). C’est ainsi, par exemple, que les logements acquis dans le cadre du dispositif Pinel sont assortis de plafonds de ressources pour les locataires et de loyers équivalents à ceux du PLI et de la formule contemporaine du logement intermédiaire, créée en 2014.
Le logement intermédiaire institutionnel d’aujourd’hui
Le statut du logement locatif intermédiaire tel que considéré dans la politique gouvernementale en 2024 est issu d’une ordonnance de 2014. À partir de la fin de 2024, date d’extinction du dispositif Pinel, il deviendra la seule modalité de développement d’un parc locatif explicitement intermédiaire, le PLS étant, pour sa part, considéré comme un logement social à part entière.
Contrairement aux logements issus du dispositif Pinel qui relevaient d’investisseurs personnes physiques soumis à l’impôt sur le revenu, les logements locatifs intermédiaires sont la propriété d’investisseurs personnes morales, soumis à l’impôt sur les sociétés. Leur production émane pour l’essentiel d’opérateurs issus directement ou indirectement du monde du logement social (les bailleurs sociaux eux-mêmes ou des filiales spécialisées de grands groupes tels qu’In’Li pour Action Logement ou CDC Habitat pour la Caisse des dépôts). Ces groupes s’appuient sur des fonds alimentés par de grands investisseurs (sociétés d’assurance, caisses de retraite, etc.).
Les propriétaires s’engagent théoriquement à louer les logements pendant 20 ans, mais ils sont autorisés à en revendre une partie à partir de la onzième année et la totalité après 15 ans.
La production des logements locatifs intermédiaires bénéficie d’un taux de TVA réduit à 10% et d’un crédit d’impôt sur les sociétés qui s’est substitué depuis 2023 à une exonération de taxe foncière pendant 20 ans qui constituait un frein à leur développement du fait de la résistance des collectivités concernées.
Avantages fiscaux et perspectives de plus-value à la revente constituent donc les deux composantes de la rentabilité de ces opérations.
Le bénéfice de ces aides n’est octroyé qu’aux opérations situées dans les territoires où il existe un écart important entre les loyers du parc social et ceux du secteur privé (voir note 6). Par ailleurs, au nom de l’objectif de mixité sociale, toutes les opérations comportant du logement locatif intermédiaire doivent comporter au moins 25% de logements sociaux, sauf si elles sont situées dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville ou dans des communes déjà dotées de plus de 35% de logements sociaux.
Le rythme de production de logements locatifs intermédiaires est, depuis la fin des années 2010, d’environ 15 000 unités par an pour un total avoisinant à ce jour les 80 000 logements. Le gouvernement a annoncé en mars 2024 sa volonté de doubler ce rythme pour atteindre la production d’un total de 75 000 logements entre 2024 et 2026. L’intégration d’une dose de logements intermédiaires dans la comptabilisation « loi SRU » contribue à cet objectif.
Les cibles sociales : des plafonds de ressources qui dépassent nettement la classe moyenne
L’essentiel du débat portant sur la prise en compte du logement locatif intermédiaire dans la comptabilisation « loi SRU » repose sur la réalité de la cible sociale que couvrent les plafonds de ressources applicables aux candidats à la location des différentes catégories de logements et sur leur lien avec ce que l’on peut considérer comme constituant la classe moyenne.
La hiérarchie des plafonds de ressources pour accéder au logement social et au locatif intermédiaire est assez simple. Les plafonds applicables au PLS sont de 30% supérieurs à ceux du logement social standard[6] et ceux du logement intermédiaire sont eux-mêmes égaux à ceux du PLS majorés d’un peu moins de 30%.
En 2024, dans la zone A, localisation prioritaire pour le logement intermédiaire, un couple avec un enfant doit gagner au maximum 4 290 euros par mois pour accéder au logement social standard, 5 577 euros pour un PLS et 7 160 euros pour un logement intermédiaire[7]. À titre de comparaison pour un couple avec un enfant, le revenu mensuel médian dans la métropole du Grand Paris était en 2020[8] de 3 700 euros par mois, et celui qui délimitait les 20% les plus aisés[9] était de 6 354 euros. On voit qu’avec de tels plafonds, les frontières de la classe moyenne sont nettement dépassées
En somme, si le critère de l’utilité sociale de ces catégories de logements dits « intermédiaires » reposait sur la définition juridique de leur cible par les plafonds de ressources, on serait loin du compte. Le logement locatif social, dans son acception large intégrant le PLS couvre déjà largement le périmètre des classes moyennes.
La compréhension du fait qu’il y a bien un public et une utilité sociale repose justement sur le fait que ce n’est pas du logement social
L’un des arguments couramment employés pour justifier l’utilité du logement intermédiaire pour les classes moyennes renvoie à la réalité de la demande exprimée et des attributions prononcées, qui se situent, pour toutes les catégories, du plus social à l’intermédiaire, à des niveaux souvent nettement plus bas que les plafonds.
L’exemple parisien, pour lequel on dispose de statistiques très précises, est sur ce plan particulièrement éloquent. Les 19% de logements intermédiaires attribués en 2021 l’ont été pour près de 90% à des ménages relevant de plafonds de ressources inférieurs à ceux du PLS, voire du PLUS. Il en va d’ailleurs de même pour près des deux tiers de ceux ayant bénéficié d’un PLS. Ce sont les logements sociaux les plus sociaux qui manquent à l’appel et les formes intermédiaires ne trouvent preneurs que par défaut. L’argument est donc à double tranchant : d’un côté il légitime l’intermédiaire en montrant qu’il a bien une clientèle ; de l’autre, il souligne les insuffisances de l’offre sociale.
D’autant que ces logements, du fait de leur statut, bénéficient d’autres avantages liés à la souplesse de leurs procédures d’attribution. Pour se voir attribuer un logement social, il faut déposer une demande formelle enregistrée dans le fichier national des demandeurs de logements sociaux et donc considérer que l’on y est bien potentiellement éligible.
Dans un contexte global d’image toujours dégradée des HLM qui seraient réservés aux ménages les plus précaires, on peut concevoir que ceux dont les revenus sont supérieurs ou égaux à ceux de 60 ou 70% des ménages (c’est-à-dire autour des 6ème et 7ème déciles de la répartition nationale des revenus) n’aient pas toujours conscience de leur éligibilité, voire la rejettent (« ce n’est pas pour moi »). C’est ainsi, par exemple, qu’une étude de l’Agence nationale de contrôle du logement social (Ancols) montre que seuls 6% de ménages éligibles seulement au PLS[10] et locataires du parc privé ont effectivement demandé à accéder au logement social (contre un quart de ceux éligibles au PLA-I et 12% de ceux éligibles au PLUS).
Pour ces ménages relevant effectivement de la classe moyenne, le logement locatif intermédiaire apparaît donc plus adapté et plus facilement accessible dans la mesure où la candidature et l’examen du dossier se font dans des conditions identiques à celles du parc locatif privé, sans passer par la lourde procédure d’attribution des logements sociaux.
C’est d’ailleurs le constat que font les bailleurs disposant des deux catégories de parc qui peinent parfois à trouver preneurs pour les PLS, alors que les ménages potentiellement éligibles se dirigent plus facilement vers le logement intermédiaire. La souplesse de la réglementation qui s’y applique et une image nettement différenciée de celle du logement social apparaissent ainsi comme des atouts importants pour les publics ciblés.
C’est donc bien le fait que les logements intermédiaires ne soient pas des logements sociaux qui constitue une part importante de leur attrait.
Des loyers plus chers et une propension plus élevée à la mobilité des locataires. L’exemple de la région Ile-de-France
Les loyers de ces logements y sont pourtant nettement plus élevés. Si on applique les plafonds de loyers réglementaires au m² en vigueur en 2024 dans la zone A, là où le besoin en logement intermédiaire serait le plus important, un logement de trois pièces de 64m² reviendrait, hors charges, à environ 900 euros en intermédiaire, à 780 euros en PLS et à 480 euros en PLUS[11]. Dans le secteur libre, le loyer du même appartement s’établirait entre 980 et 1 050 euros dans la plupart des communes de Seine-Saint-Denis relevant de la zone A, et entre 1 100 et 1 300 euros dans le Val-de-Marne[12]. En termes de loyer, le logement intermédiaire semble donc bien trouver sa place à mi-chemin entre le social et le libre.
À ce positionnement en termes de loyers, en Ile-de-France, le logement locatif intermédiaire ajoute deux spécificités notables.
D’abord en termes de localisations. Du fait de leurs modalités de montage financier, les opérations de logement intermédiaire peinent à s’équilibrer économiquement là où le foncier est le plus cher, ce qui freine leur développement dans les communes potentiellement les plus attractives pour les ménages ciblés. Plusieurs études[13] montrent d’une part que beaucoup des logements intermédiaires produits en Ile-de-France au cours des années 2010 l’ont été dans les départements de la Grande couronne et d’autre part qu’en Petit couronne, c’est en Seine-Saint-Denis qu’ils sont les plus nombreux. Les logements locatifs intermédiaires se concentrent donc plutôt dans des villes moins attractives ou plus excentrées.
Par ailleurs, à la différence du parc locatif social où dominent les logements de taille familiale, avec les deux tiers du parc composés de logements de trois pièces et plus, la production de logements intermédiaires est très concentrée sur les typologies de deux et trois pièces (74% selon l’étude de l’Apur pour CDC Habitat en Ile-de-France). Cette caractéristique, au-delà du critère des niveaux de revenus, contribue à préciser les contours du public cible : celui de ménages de jeunes actifs en début de vie professionnelle et familiale. L’étude de l’Institut Paris Région estimait ainsi en 2020, que le public potentiellement concerné en Ile-de-France représentait entre 3 et 6% de l’ensemble des ménages, soit entre 91 500 et 198 000 ménages.
Il résulte de l’ensemble de ces indicateurs que les logements locatifs intermédiaires constituent bien un maillon utile dans la chaîne du logement dans les territoires où le marché immobilier est le plus tendu, mais qu’il s’agit, pour beaucoup de ménages, d’une étape de début de parcours résidentiel puisque la plupart d’entre eux dégageront assez rapidement une propension et une capacité à la mobilité, notamment vers des logements familiaux plus grands et probablement en accession à la propriété.
L’utilité du développement du logement locatif intermédiaire dans les territoires où l’accès au parc locatif privé ou à la propriété s’avèrent difficiles pour les ménages de la classe moyenne, est donc démontrée. Il constitue l’une des modalités du vaste champ du « logement abordable » qui englobe aussi les formes aidées et sociales de l’accession à la propriété et dont la diffusion constitue aujourd’hui une priorité importante pour les politiques du logement, qu’elles soient nationales ou locales dans un contexte marqué par des prix durablement élevés.
En revanche, il ne peut se confondre avec l’objectif de poursuivre l’accroissement de l’offre de logements locatifs sociaux à loyers nettement plus bas et assortis d’une réglementation rigoureuse qui assure la pérennité de leur statut et les priorités accordées aux ménages les plus en difficulté. L’ampleur de la demande exprimée pour ce parc social et les insuffisances quantitatives de sa capacité à y répondre interdisent de baisser les bras sur ce plan. La nécessité est encore renforcée dans les villes où persiste un retard en la matière et qui s’affranchissent d’une obligation pourtant énoncée depuis près de 25 ans.
L’idée d’intégrer, même modérément, une part de logements locatifs intermédiaires dans la comptabilisation des objectifs issus de la loi SRU apparaît donc, au mieux, comme une confusion des enjeux, au pire, et plus probablement, comme une concession malvenue à des maires récalcitrants.