Amélie Netflix in Paris, France
«On n’a pas fini d’imaginer la France », pas nécessaire d’être psychanalyste pour voir un triste aveu dans cette définition par la négative… On n’a pas fini le job alors on va trouver quelqu’un pour le faire. Mais de quoi parle-t-on ? D’un communiqué de presse aux couleurs bleu-blanc-rouge diffusé le 1er février 2024 sur le site d’Atout France. C’est l’opérateur touristique de la France qui « a pour mission de renforcer la compétitivité et l’attractivité de la destination France ».
Faire aimer la France et faire venir des touristes, voici en deux mots les objectifs tout à fait louables et légitimes de ce groupement d’intérêt économique (GIE) dont le président du conseil d’administration est, précise son site web, « nommé par la Ministre déléguée chargée des Petites et Moyennes Entreprises, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme ».
Ce GIE travaille avec 1 100 professionnels du secteur et 29 bureaux dans le monde. Les actions sont multiples et on se souvient par exemple il y a quelques années d’une formidable exposition de la photographe Maia Flore. « Afin de renforcer leur attractivité auprès des clientèles internationales, les destinations littorales françaises doivent aujourd’hui se réinventer. C’est pourquoi Atout France a fait appel à l’artiste Maia Flore avec pour ambition de valoriser l’extraordinaire diversité des littoraux français » explique le site du GIE. Ce type d’action de marketing et de communication pour renforcer la compétitivité et l’attractivité de la France est complété par la mise en œuvre de veilles et d’analyses des marchés touristiques en France et à l’étranger, du pilotage de dispositifs liés à la satisfaction des voyageurs comme par exemple le classement des hébergements touristiques.
Et Netflix dans tout ça, alors ? Ce communiqué de presse annonce d’emblée qu’Atout France et Netflix « unissent leurs forces au service du rayonnement culturel et touristique de la France ». On ne serait donc pas surpris par cette annonce de début février à la simple lecture des missions de cet opérateur national du tourisme. Car qui dit Netflix, dit une exposition mondiale et des contenus proposés à des millions d’abonnés à cette plateforme. On pourrait, dès lors, se dire que c’est un moyen de communication tout à fait pertinent pour une stratégie mondiale de promotion de la destination France et surtout l’année des Jeux Olympiques et Paralympiques. Alors, la bonne idée ou plutôt la belle affaire ? Il n’ y a pas grand monde pour porter une analyse critique à cette annonce sauf Raphael Llorca qui explique très justement le 12 février dans L’Opinion que ce partenariat le « dérange ». Nous lirons avec profit sa chronique qui détaille trois points : la « souveraineté narrative », l’« imaginaire national stéréotypé et tronqué » proposé par Netflix et Netflix qui « recompose le paysage touristique national, en le déformant ».
Netflix le grand sauveur
« La souveraineté narrative » de Llorca à l’instar par exemple de la souveraineté énergétique (repensons à l’affaire Alstom…) peut être replacée dans le cadre plus large de la notion d’influence. On n’a donc pas fini de définir (du moins ce que l’on souhaite communiquer) ce qu’est la France pour le reste du monde dit cet opérateur de l’État. C’est dès lors à Netflix que l’on confie les clés de la maison. Cet aveu d’impuissance est, d’une part, désarmant et, d’autre part, discutable. Que fait, sinon cela, la diplomatie culturelle depuis plus d’une centaine d’années avec ses agents du réseau culturel (attaché culturel, attaché audiovisuel etc.) à l’œuvre au quotidien pour justement proposer un imaginaire, des références et des valeurs au reste du monde. Ici, du débat d’idées avec une conférence sur l’intelligence artificielle, des présentations d’ouvrages de langue française traduits, une « Nuit des idées » à l’échelle mondiale, là des invitations de podcasteurs, de scientifiques ou encore, ici et là, des festivals de films français et francophones, des concerts de musique dites actuelles, des expositions, des pièces de théâtre.
Ce réseau culturel composé des Instituts français et des Alliances françaises propose au quotidien dans leurs espaces ou dans ceux de leurs partenaires des programmations (et pas des contenus) porteuses de sens, de références, d’une histoire et d’une ambition. Un exemple : l’édition 2023 de « La Nuit des Idées » organisée à l’échelle mondiale avec notamment le réseau culturel avait pour thème « Plus ? ». C’est 115 pays, 182 villes qui organisent conférences, rencontres, tables rondes, projections et performances. S’interroger sur « Plus ? » c’est questionner « les modes d’extraction, de production et de consommation, les grandes questions posées par la croissance démographique et la culture de la performance, dans le sport, à l’école, au travail et dans les loisirs » explique le site de cette manifestation. « Lignes de faille » est le thème de cette année… difficile de ne pas y voir la volonté de s’interroger sur la marche du monde. Il nous semble que cela dit beaucoup. Ce n’est certes pas Atout France qui organise tous ces événements au long cours dans le réseau culturel (il y a parfois cependant des collaborations) mais toutes ces programmations proposées chaque année disent bien quelque chose. Ce « quelque chose » peut être analysé, critiqué mais il existe. Et il y a bien d’autres facteurs qui participent aussi à dire ce qu’est la France.
Bref et quoi qu’il en soit, pour justifier ce partenariat avec Netflix (« Forts des enseignements de cette étude »), le communiqué de presse fait référence à une étude de l’institut Basis. Pas d’informations disponibles sur cette étude et lorsque nous contactons Atout France, c’est l’agence de presse de Netflix qui nous répond. Et après un premier échange (et relances) plus de nouvelles et surtout pas d’envoi de cette étude. Mais au-delà de l’accès aux données et à la méthode utilisée, une des conclusions de l’étude affirme que « les spectateurs qui ont regardé des programmes français sur Netflix sont trois fois plus susceptibles de désigner la France comme leur destination de voyage n°1. » Ils seraient donc…« susceptibles ». Soit, mais ils ne sont donc pas « certains ». Et finalement combien de « susceptibles » viennent réellement ? Ne nous laissons pas tromper par les files d’attente devant Shakespeare and Company du 37 rue de la Bûcherie dans le 5e arrondissement (de Paris, bien sûr) chère à Emily-pas-Poulain-in-Paris. Plus de monde, certes, mais combien exactement ? D’autres facteurs concourent-ils à leur venue dans le 5e ? C’est bien de la délicate question de l’évaluation de l’influence dans les sciences humaines et sociales dont il est question. Alors à partir d’une étude qui n’est pas accessible et des interviewés qui sont « susceptibles », notre meilleur ami Netflix a la voie libre (« une campagne publicitaire » et « un guide de voyage numérique pour permettre aux spectateurs de découvrir la France à travers les films et les séries Netflix ») aux stéréotypes pour construire son imaginaire de la France.
Vers un avenir radieux
Ce partenariat appelle trois conclusions. Tout d’abord, à l’heure où l’influence est devenue la sixième fonction stratégique de la France (lisons les ouvrages de Frédéric Charillon, David Colon ou l’étude pour l’IRSEM de Paul Charon et Jean-Baptiste Jeangène-Vilmer pour mieux cerner le cadre de réflexion), à l’heure où le président de la République dit « j’aime moi le mot d’influence, il faut l’assumer » et notamment pour la diplomatie culturelle, c’est donc à ce géant privé américain que l’on confie une partie (importante vu les audiences) de cette mission d’influencer. Emily in Paris vs le réseau culturel in the world ? Les deux me direz-vous, oui pourquoi pas sauf que la vision de Netflix est justement la vision de… Netflix dont la force de frappe est considérable.
Ensuite et comme un corolaire à ce premier point, « finalement ce qui compte c’est les valeurs » pour paraphraser Perceval dans l’hilarant épisode sur le jeu du sirop de Kaamelott. Nos valeurs doivent-elle nous conduire à confier à une entreprise américaine la mission de finir le boulot ?
Enfin, la stratégie de l’influence culturelle doit s’obliger à penser contre les fausses bonnes idées. Dans la même logique, on avait pu s’interroger sur la signature d’un contrat par le Louvre avec Uniqlo et dont personne n’avait trouvé rien à redire. Oui à la coopération, oui à la co-construction et pourquoi pas même avec Netflix si l’on parvient à maîtriser le discours. Cependant quelle est la marge de manœuvre ? La fin de Vers un avenir radieux le dernier film de Nani Moretti est éclairante sur ce point précis des relations avec la plateforme et notamment la savoureuse scène avec l’argument soi-disant imparable des 190 pays où sont diffusés ses contenus. Donc pourquoi pas coopérer mais imaginerions-nous les États-Unis laisser à une entreprise audiovisuelle française le soin de dire ce qu’ils sont ? Alors invoquons nos chevaliers de la Table ronde du XXIe siècle et Perceval pour se dire que « de temps en temps il faut prendre le taureau par les cornes » car « ce qui compte, c’est les valeurs »… pour aller vers un avenir radieux ?
Cet article a été publié pour la première fois le 22 avril 2024 dans le quotidien AOC.