éducation

Quelle culture en sciences du vivant pour les citoyens de demain ?

Mycologue, botaniste

Toutes les disciplines ont une dimension méthodologique : sous-entendre que certaines en ont moins que d’autres serait une forme d’arrogance disciplinaire. Mais une insuffisante compréhension des apports méthodologiques des sciences du vivant et de l’environnement conduit à sur-représenter ceux d’autres sciences, non seulement dans la formation des citoyens mais aussi… dans celle des spécialistes.

Nos enfants, semble-t-il, savent moins bien que nous lire, écrire et compter. Et nous nous désolons de la dégradation de ce que nous considérons comme des « fondamentaux ». Mais que dire des générations actuellement aux affaires ? D’un côté, la régression actuelle des capacités à lire, écrire et compter nous dit implicitement qu’elles y excellaient davantage. D’un autre côté, elles affrontent des crises environnementales et sanitaires qu’elles ont déclenchées, mais peinent à endiguer…

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Les fondamentaux qu’elles maitrisent n’ont pas suffi à éviter cela : en manquerait-il un ? Allons à la découverte de ce fondamental manquant : le savoir-vivre, c’est-à-dire la compréhension de notre organisme en lien avec les autres vivants (humains ou non) et la perception de ce que notre environnement vivant exige de nous et nous permet de faire.

Le savoir-vivre, ce fondamental qui nous a manqué

Le climat change, menaçant le bien-être de chacun sans qu’on parvienne à freiner les émissions de gaz à effet de serre ; les pesticides ruinent la biodiversité qui fait les écosystèmes et altèrent notre santé, sans que nous consommions plus de produits bio (la consommation française a régressé de plus de 5 % par an ces derniers temps) ; des maladies bactériennes et virales nouvelles émergent, à un rythme multiplié par 5 depuis les années 1950, tandis que le scepticisme se développe face aux vaccins, paradoxe au pays de Pasteur ; des maladies du métabolisme (diabète, obésité…) et du système immunitaire (asthme, allergies, sclérose en plaque…) prolifèrent sans amener à une alimentation plus équilibrée (nature et dose plus raisonnées des viandes et des graisses) ni plus favorable à nos microbiotes protecteurs (plus de fibres végétales)… Eh oui, il manque à nos fondamentaux un peu de savoir-vivre !

Un mot caractérise notre comportement : l’acrasie, ce choix d’un trajet tournant le dos aux issues indiquées par toutes les données disponibles et le meilleur jugement. Pourquoi cette acrasie ? Bien sûr, les lobbys, la publicité et la paresse… nous empêchent souvent de changer de cap. Mais plus encore, notre vision du monde étouffe notre motivation à changer et à lutter contre ce qui nous fige. La société nous semble largement affranchie de la nature et capable de toujours parer aux problèmes que celle-ci peut poser. Dans la lignée de cette séparation entre homme et environnement, ou entre nature et société, dont un Descola ou un Latour ont souligné l’absence de fondement, nous pensons toujours qu’un peu de technologie et de chimie gérera tout, y compris le monde naturel.

Nos fondamentaux revendiqués, mathématiques et littéraires, sont intrinsèquement internes à la société. De la biologie et du monde vivant, nous ne pensons ni les impératifs, ni les solutions qu’ils offrent. Nous n’écoutons pas les sciences du vivant et de l’environnement, au point que, vous l’avez vu quelques lignes plus haut, ce sont des philosophes et des anthropologues, mais non les médecins ou les écologues, qui parviennent à nous sensibiliser au message qu’elles portent. Au mieux, nous les écoutons quand elles expliquent les dysfonctionnements de la santé ou de l’environnement… mais hélas, rendues seulement porteuses de mauvaises nouvelles, elles nous semblent encore moins aimables.

Ce qui est fondamental, c’est que nous sommes des vivants : des perspectives nous sont promises et d’autres, interdites. Il y a des jours sans compter, d’autres sans lecture, d’autres encore sans écriture. Tous ces jours-là (certains sont ces vacances que nous aimons tant !), on respire, on mange, on vit, on consomme, on mène une vie sexuelle, on génère des déchets… Pour bien faire cela, il faut savoir-vivre ! Ce fondamental, qui nous a manqué hier, aiderait nos enfants à ne pas reproduire les erreurs du passé et, surtout, à trouver des pistes réparant nos errements. Les fondamentaux changent : hier, c’était le latin et le grec ; aujourd’hui, la maitrise de notre langue et des mathématiques domine ; demain, il faudra actualiser encore nos priorités, au moins en y ajoutant le savoir vivre.

Le savoir-vivre, ce fondamental qui pourrait nous aider

Il y a dans l’étude du vivant plus qu’une initiation à une galerie de curiosités et d’anecdotes diverses à laquelle on réduit parfois les sciences du vivant : s’il a pu en être ainsi jusqu’à la fin du 19e siècle (et marginalement après), c’est dans ce siècle précisément que sont nés une méthode et un cadre conceptuel. Basée sur l’observation et l’expérimentation (telles qu’incarnées par Claude Bernard ou Louis Pasteur, bien que leurs conclusions n’aient pas toujours été alignées), cette nouvelle discipline transcende le catalogue de la diversité en élaborant de grandes lois. Lois de l’hérédité (grâce à Gregor Mendel), de l’évolution (initiée par Jean-Baptiste Lamarck puis Charles Darwin) ou encore de l’écologie (qui ne percera qu’un siècle plus tard, mais nait sous la plume d’Alexander von Humboldt)… Ces lois sont unificatrices. Largement testées et affinées depuis leur origine, elles proposent une explication de la diversité du vivant et ont eu des conséquences puissantes au niveau heuristique (pour le développement des connaissances) mais aussi en termes d’applications médicales, biotechnologiques ou agricoles.

Il y a donc, dans les sciences du vivant et de l’environnement non seulement des leçons sur ce que nous sommes et ce qui nous environne, mais aussi des éléments méthodologiques majeurs dont l’usage dépasse le cadre de ces sciences elles-mêmes. Nous avons tous besoin de savoir observer pour puiser de l’information dans ce qui nous environne : les sciences humaines et les disciplines artistiques y préparent aussi ; il nous faut aussi comprendre ce qu’est une démarche expérimentale sérieuse pour la pratiquer et différencier ses conclusions de celles de l’opinion : les sciences chimiques et physiques y préparent aussi.

Ces savoir-faire, eux-mêmes fondamentaux, sont absents de l’écriture, de la lecture ou des mathématiques. En effet, ces disciplines construisent un univers intellectuel, de la règle en linguistique à la logique en mathématique, qui font qu’un énoncé ou un résultat est vrai ou faux. Si parvenir au résultat exact est en effet exercice intellectuel utile en soi, il ne suffit pas. La plupart des choix de la vie pratique ne relèvent pas du vrai ou du faux : bien au contraire, laisser entendre cela masque la nature de nos choix, qui se font dans le flou et le complexe. Quelle quantité de viande manger ce soir ? Emballage Tétra Pack ou bouteille de verre pour mieux protéger l’environnement ? Se vacciner ou non ? Quelle production si on retarde l’application d’un pesticide dans un champ ? Tout au plus, une option est-elle plus probablement profitable qu’une autre ; observer ce qui se fait peut aider à éviter des écueils ; des expériences aident parfois à former une idée plus précise. Qu’on relise bien les phrases précédentes : la notion de probabilité renvoie aux mathématiques qu’elle légitime donc comme outil, nous y reviendrons.

Toutes les disciplines ont une dimension méthodologique : sous-entendre que certaines en ont moins que d’autres serait une forme d’arrogance disciplinaire. Mais une insuffisante compréhension des apports méthodologiques des sciences du vivant et de l’environnement conduit à sur-représenter ceux d’autres sciences, non seulement dans la formation des citoyens mais aussi… dans celle des spécialistes.

Ainsi, les mathématiques et les sciences chimiques et physiques sont-elles devenues des matières de sélection dans des cursus où devrait prédominer une compétence biologique : certains recommandent en terminale les options mathématiques et physique-chimie aux futurs médecins et agronomes ; au concours d’entrée des écoles d’ingénieurs, la biologie et les mathématiques ont le même coefficient… On entend dire que la biologie, ça se rattrape : mais s’il est vrai que quelques anecdotes s’apprennent vite, la démarche qui les transcende (comme nous le disions) en lois et la manipulation spontanée de ces lois demande de l’entrainement… C’est ce qui a sans doute manqué, par le passé, aux médecins et aux agronomes – j’en laisse juge le lecteur, même si les crises sanitaire et agronomique actuelles ont des racines complexes.

Enseigner le fondamental du savoir-vivre 

Voyons à présent comment décliner ce fondamental dans la scolarité. D’abord, nous devons de toute urgence renforcer la présence des sciences du vivant et de l’environnement dans le primaire, où elles ne font l’objet d’aucune partie de programme. Bien sûr, les initiatives de certains professeurs des écoles (parfois aidés d’associations comme « La main à la pâte » ou « Les petits débrouillards ») font merveille, mais la majorité des autres s’avoue mal formée pour introduire le vivant en classe, car elle est issue de cursus littéraires.

Une formation continue, impliquant par exemple des enseignants des sciences de la vie et de la Terre (SVT) du secondaire, voire des professeurs volants de sciences au primaire, pourrait les aider. Quant à l’avenir, il est inquiétant que le ministère de l’Éducation valide les maquettes de formations universitaires des futurs professeurs des écoles sans exiger de formation scientifique obligatoire : de fait, mauvais signal, cette compétence n’est actuellement pas validée au concours de recrutement. C’est aberrant dans un monde devenu si riche en applications et en enjeux de la science.

Ainsi vont nos enfants, dont le premier bain intellectuel est dépourvu de sciences, notamment du vivant et de l’environnement. Pourtant, le primaire serait le moment d’une sensibilisation au vivant, de la création d’un lien et, qui sait, d’une curiosité sur laquelle pourraient se bâtir ensuite les questions du secondaire. Nulle conceptualisation n’est attendue au primaire : juste, avec l’aide de disciplines artistiques et le développement de l’observation (la « leçon de choses »), un premier pas vers le vivant. Un pas vital, à une époque où les français vivent, en moyenne, à 16 km de l’endroit de nature spontanée le plus proche.

Dans le secondaire vivote une heure de SVT par semaine, au collège et jusqu’en seconde – une discipline marginale par ses horaires qui disparait comme telle du tronc commun en première et en terminale. Au collège, des heures de dédoublement de classe qui servaient à faire des travaux pratiques (et à se rapprocher du vivant par l’observation et l’expérimentation) ont récemment été réaffectées au soutien en mathématiques, renforçant la vaine hégémonie des fondamentaux que nous nous sommes imposés.

Un tel effort permettra-t-il à la génération montante d’affronter les défis sanitaires et environnementaux ? Ou simplement d’assurer sa santé et son alimentation ? D’un point de vue économique, prépare-t-on la production alimentaire de demain et pourvoira-t-on bien, en compétences, aux 600 000 emplois ouverts chaque année par les filières de l’agroalimentaire et de la santé ? D’un point de vue sanitaire, prépare-t-on assez de médecins bien instruits des bases biologiques de la santé et de l’évolution microbienne, dès avant leurs études de médecine ? Nous négligeons nos propres besoins, revoyons nos programmes !

Un dernier exemple significatif des attitudes à revoir est le programme d’enseignement moral et civique. D’un côté, il a récemment évolué en s’ouvrant aux questions biologiques relatives à la santé et à l’environnement, avec une éducation au développement durable dès le CP-CE1 (« Respect dû à l’environnement et au vivant à partir de la compréhension des règles collectives »), une introduction à la Charte de l’Environnement en 3e et aux droits environnementaux en seconde. Mais l’aspect moral et civique de ces questions n’est pas toujours clarifié, tandis que le reste de ce programme, centré sur des approches purement internes à la société, ne dit que rarement leur lien à la santé et à l’environnement. Surtout, la puissance de ce programme est atrophiée, car il n’y a ni enseignant particulier, ni heures dédiées pour le développer : il n’est qu’un vœu pieux !

Enseigner le savoir-vivre en interdisciplinarité

Le commentaire précédent, qui renvoie à la nécessité d’envisager notre vie et nos sociétés sous plusieurs angles à la fois, introduit un dernier impératif d’enseignement : l’interdisciplinarité. Nous devons lier l’étude du vivant et de l’environnement aux autres disciplines. Par exemple, notre sexualité intéresse aussi les lettres et la philosophie ; les notions de moyenne et d’écart à la moyenne, qui sont au cœur des sciences de l’environnement et de la santé, ne se construisent pas sans mathématiques ; le changement climatique n’a pas de sens sans physique ni chimie ; comment aborder la notion d’évolution ou d’extinction des espèces sans puiser des données dans l’histoire ?

Cela ne signifie nullement que les sciences du vivant et de l’environnement seraient prométhéennes et pourraient, seules, féconder les autres : l’inverse est aussi vrai. On ne peut comprendre ces sciences sans une perspective d’histoire des sciences, qui les décrit en évolution permanente ; seule l’épistémologie et la sociologie expliquent comment leurs conclusions s’appuient sur des débats internes et sont exposées à des révisions au gré de l’acquisition des données.

Ces approches ont d’ailleurs manqué à nos concitoyens au début de la COVID : la croyance naïve en une science faite de certitudes les a conduits à l’incrédulité devant le débat scientifique soudain mis en lumière, débat qui fait pourtant le sérieux des conclusions tirées à un instant donné. Il est certain qu’une vision philosophique et sociologique des sciences, notamment du vivant, met en perspective leur fonctionnement : elle a manqué aux enseignements biologiques passés.

On a isolé les fondamentaux traditionnels sans tenir compte des rôles que lire, écrire, compter peuvent tenir dans une éducation interdisciplinaire, pris dans un carquois plus large. Comprendre les sciences du vivant et de l’environnement demande des mathématiques et peut développer l’expression écrite et orale. L’étude d’une pomme permet de rédiger pour décrire son apparence et son goût, de compter les pépins en classe pour approcher la notion de moyenne et d’écarts à la moyenne, de comprendre sa fonction biologique – avant d’aborder ses rôles nutritionnels…

On a naïvement hiérarchisé les savoir-faire sans tisser de liens efficaces entre eux. Or, ces liens donnent du sens à chaque discipline et justifient sa pertinence. L’interdisciplinarité aiderait aussi les élèves à accéder aux objets enseignés par la discipline qu’ils préfèrent : par exemple, une approche historique du climat et de ses conséquences peut séduire l’élève que la physique sous-jacente rebuterait.

Oui, nos enfants doivent naitre des cendres de deux pratiques qui nous ont privés de bien voir le monde. Finissons-en donc avec elles. Première pratique vaine, la hiérarchisation, parfois inconsciente, des sciences : nulle science ne domine ou ne surpasse les autres, toutes sont vassales d’une autre au moins. Leur « hiérarchie » rappelle l’illusion optique de cet escalier circulaire dont les marches successives ramènent à la marche de départ : toutes les disciplines sont à la fois outils et utilisatrices (et donc intégratrices) des autres.

Seconde pratique vaine, il faut en finir avec les approches trop étroitement disciplinaires : chaque discipline, prise isolément, offre du monde une vision qui se veut souvent universaliste, mais ne se soucie pas de cohérence avec les autres. Les incohérences interdisciplinaires qui en résultent démontrent la fausseté des conclusions proposées. Par exemple, l’économie a foi en une croissance que ni la thermodynamique, ni les lois de l’écologie ne permettent d’imaginer ; bien des scientifiques croient avoir raison et parler du vrai, alors que l’histoire n’atteste que leur efficacité et la philosophie, leur valeur heuristique, ce qui n’est pas la même chose.

Dès que les enseignements sont délivrés par différents spécialistes, donc du collège à l’université, on apprend à loucher, c’est-à-dire à dissocier une réalité unique en plusieurs reflets… Cette schizophrénie (que dis-je, polyphrénie même !) doit être soignée. L’un des remèdes serait de proposer, dans les programmes de chaque année, des thèmes communs à deux ou trois disciplines, à traiter en synergie : ces sujets seraient donc mieux mis en lumière et forceraient à concilier les approches disciplinaires.

Mais… l’auteur, malgré 25 années de participation à des programmes d’enseignement, n’est jamais parvenu à faire vivre ce projet ! Et ne me dites pas que l’interdisciplinarité est chose difficile : ça, c’est ce que votre formation vous conduit à éprouver et à penser. Tout chemin vers la connaissance est et sera difficile : rappelez-vous le vôtre ! On propose juste un autre type de chemin, avec ses difficultés propres. Nous sommes prisonniers des approches disciplinaires passées que nous peinons à surpasser.

L’exigence d’interdisciplinarité concerne aussi les formations post-bac : des compétences métissées, attendues par la société, se morfondent dans les limbes. Certes, les formations tendent à s’ouvrir : en particulier, les enjeux du climat et de la biodiversité induisent de nouvelles formations dans les écoles et les mastères de sciences politiques, d’ingénierie classique ou d’économie. Toutefois, ces enseignements restent plus juxtaposés que mariés au cœur des disciplines enseignées.

D’autres hybridations disciplinaires peinent à voir le jour : par exemple, le droit de l’environnement souffre d’un manque d’enseignants universitaires. En effet, les candidats aux recrutements doivent être auparavant habilités par le Conseil national des universités, qui siège par discipline : ni celles du vivant, ni celle du droit ne se sentent légitimes à habiliter en droit de l’environnement. C’est peut-être sincère mais… ubuesque : il ne peut donc y avoir ni candidat, ni poste, ni réponse à la demande sociétale croissante en ce domaine.

BioGée, pour le savoir-vivre

Enseigner plus de sciences du vivant et de l’environnement et pratiquer plus d’interdisciplinarité, en ces sciences comme en tout enseignement : ce défi est cher à la Fédération BioGée, voix des sciences du vivant et de l’environnement en France. BioGée réunit six académies (Science, Agriculture, Médecine, Vétérinaire, Pharmacie et Technologies), le Muséum national d’Histoire naturelle, une trentaine de sociétés scientifiques nationales, des consortiums d’entreprise, des associations d’enseignants et une vingtaine d’autres associations.

Son nom, emprunté au philosophe Michel Serres, illustre une volonté d’interdisciplinarité. BioGée soutient les apports positifs des disciplines qu’elle représente dans la vie des citoyens et la formation des plus jeunes, par des interventions médiatiques, la sensibilisation des cabinets ministériels ou des élus, des prises de parole dans les médias, un festival annuel à Rouen… Tous les moyens sont mobilisés, et ce défi de l’avenir de l’éducation est aussi celui de la vulgarisation et de l’information scientifique.

L’action ne saura en effet se limiter aux établissements scolaires : il y belle lurette que, l’accès à l’information se simplifiant, l’apprentissage ne se fait plus seulement entre les murs des écoles ! Dans nos médias, des quotas de science pourraient transposer ce qui a été fait avec succès pour soutenir les chansons et les fictions françaises. Le transfert des pages de science dans le corps des journaux favoriserait leur diffusion. On rêve d’un Bright Friday annuel dans l’information, où une thématique scientifique, différente chaque année et intéressant tous les citoyens, ferait les unes de la journée… Enfin, la plupart des informations, dont les fausses nouvelles, passent aujourd’hui par internet et par les réseaux sociaux, où youtubeurs, podcasteurs et influenceurs occupent l’espace. Des labels, des récompenses et surtout des financements devraient encourager ceux qui ajoutent le sérieux à l’attractivité. Sans doute nos enseignements devront-ils s’appuyer sur leurs productions.

Les générations passées ont manqué de savoir-vivre et nous mutilons les générations suivantes en les privant encore de ce fondamental. Non que la science doive gouverner nos sociétés : Pierre-Gilles de Gennes disait justement que « la principale responsabilité publique du savant, c’est d’informer sans retard ses concitoyens. (…) Mais les hommes de science n’ont pas à décider de ce qui est bon ou mauvais pour leurs contemporains. (…) Dans une démocratie, la responsabilité des choix qui engagent une société appartient aux citoyens et à leurs élus ». Toutefois, sans sciences du vivant et de l’environnement, nos décisions seront souvent encore mal fondées, et pas vraiment libres : ces sciences ne sauveront pas le monde à elles seules, mais assurément le monde ne sera pas sauvé ni libéré de ses fatalités sans elles.


Marc-André Selosse

Mycologue, botaniste, Professeur du Muséum national d’Histoire naturelle et aux universités de Gdansk (Pologne) et Kunming (Chine)