Politique

Un schisme de réalité : sur la crise de la Ve République

Écrivain

Le 5 septembre dernier, la sentence tombe : Michel Barnier est nommé Premier ministre par Emmanuel Macron. Un vieux de la vieille Ve République, aux pieds et poings liés par le RN – comme si de rien n’était. En nous léguant la notion de schisme de réalité, le philosophe allemand Oskar Negt offre une nouvelle manière d’envisager la déliquescence politico-institutionnelle en cours. Et des pistes pour résister.

«On entre dans le bizarre », avait déclaré Emmanuel Macron en juin 2022, constatant qu’il ne disposait que d’une majorité relative à l’Assemblée nationale. Deux ans plus tard, après une dissolution de l’Assemblée et une nouvelle défaite aux élections législatives anticipées, le bizarre s’est installé à demeure. Mais, au-delà de la référence amusante aux Tontons flingueurs, que signifie « le bizarre » en termes politico-institutionnels ? « Le président voulait dire que se retrouver dans une situation type IVe République avec les institutions de la Ve, c’est entrer dans le bizarre », décrypte un conseiller.

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Il y a déjà un moment que le régime de la Ve République manifeste des signes de dislocation. Les cohabitations mises en œuvre sous les présidences de François Mitterrand et de Jacques Chirac ne témoignaient nullement de cette adaptabilité des institutions qu’on a cru y voir à l’époque, à l’abri du sophisme de l’article 9 de la Constitution – le président préside, le gouvernement gouverne. Ce principe n’avait jusque-là trouvé à s’appliquer qu’en cas de non-contradiction entre les deux sources de légitimité du pouvoir, l’élection du président au suffrage universel et le scrutin majoritaire aux élections législatives.

Le principe de la cohabitation installait au sommet de l’exécutif un attelage discordant entre ses deux principales têtes. Il ne s’agissait nullement d’une synthèse politique ou d’une répartition bien comprise du pouvoir entre les deux têtes de l’exécutif, mais d’un conflit de légitimité qui créait une figure hybride, bizarre en effet, une sorte de visage de Janus primo-présidentiel. Pour tenter de rapprocher ou de fondre ces deux sources de légitimité contradictoires, on inventa divers subterfuges comme le domaine réservé présidentiel, puis le quinquennat et le renversement du calendrier électoral. Peine perdue. Le présidentialisme gaullien avait du plomb dans l’aile.

Avec Emmanuel Macron, la martingale du pouvoir présidentiel s’est déchirée.


Christian Salmon

Écrivain, Ex-chercheur au CRAL (CNRS-EHESS)