Écologie

Climatique du politique

Architecte

Pour Marx, le communisme n’est pas une idéologie sortie du chapeau, mais la conséquence historique du capitalisme. Les régimes communistes du XXe siècle l’ont oublié, faisant preuve d’idéalisme en imposant une superstructure communiste malgré leur infrastructure féodale. Une piqûre de matérialisme ne fera donc pas de mal à la gauche maintenant que la menace environnementale pèse sur nos infrastructures, nourrissant les idéologies réactionnaires.

« Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de différentes manières, ce qui importe c’est de le transformer[1]. »
Karl Marx

C’est une nouvelle étrangement prophétique du réchauffement climatique que celle que l’écrivain polonais Bruno Schulz écrit en 1937, « L’autre automne », publiée dans son recueil Le Sanatorium au croque-mort[2]. Il y est décrit « une infection du climat par les miasmes de l’art », où la production artistique humaine (comme une métaphore prémonitoire des émissions anthropiques de CO2) finit « par adoucir exagérément notre climat », prolongeant les chaudes et belles journées de l’automne jusqu’au plus profond de l’hiver, sorte d’été indien infini qui « ne se décidait pas à mourir » et dénommé, dans la nouvelle, « l’autre automne », ou « pseudo-automne ».

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Les premiers jours de l’été 2024, avec une météo froide et pluvieuse à Paris, ont pu se lire, à l’envers du texte de Bruno Schulz, comme « une infection de l’art par les miasmes du climat », où la fraîcheur agréable des tièdes journées de printemps se prolongeant exagérément dans l’été corrompt la politique humaine jusqu’à faire oublier la réalité caniculaire des étés passés et à venir. Plus un mot sur le réchauffement climatique dans la campagne des européennes, rien sur l’écologie, les premières semaines d’été, pour les élections législatives, comme si la fraîcheur de ce pseudo-printemps nous faisait perdre toute conscience du rôle essentiel de l’infrastructure matérielle (climatique, énergétique, hydrologique, etc.) dans la vie humaine et la forme des sociétés, au profit des seuls affrontements idéologiques (politique, religieux, moral, etc.) dans une superstructure idéaliste de plus en plus extrême.

Si l’idéalisme est le propre des politiques de droite, le philosophe allemand Karl Marx a passé sa vie à mettre en garde la gauche contre l’oubli des conditions matérielles[3] quand on fait de la politique et, plus radical encore, à ne pas perdre son temps à vouloir changer les idées, mais bien plutôt changer le monde réel, sa nature chimique, physique, biologique. Car pour Marx, il n’y a que dans le monde terrestre, dans l’infrastructure matérielle, en transformant cette dernière, que l’on peut révolutionner la vie sociale et humaine[4] : « Ce n’est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience[5]. »

C’est pourquoi, en tant que matérialiste, Marx dénonce tous les socialistes idéalistes, commençant par Hegel, qui « croit construire le monde par le mouve­ment de la pensée »[6], Bruno Bauer, qui ne comprend pas que « des idées ne peuvent rien mener à bonne fin » et que « pour mener à bonne fin des idées, il faut des hommes qui mettent en jeu une force pratique »[7], et ensuite Proudhon, qui n’a pas compris que « les rapports sociaux sont intimement liés aux forces pro­ductives »[8].

À sa suite, Friedrich Engels dénoncera les politiques idéologiques et utopiques plutôt que pratiques et scientifiques. Il prendra à partie le philosophe socialiste idéaliste Eugen Dühring[9], qui croit que le monde change quand on change de représentation (on dirait aujourd’hui de récit) alors que, pour Engels, il change quand change la « combinaison de forces physiques et d’agents chimiques »[10].

Transformer le monde dans son infrastructure matérielle, plutôt que l’interpréter dans la superstructure idéelle, c’est ce à quoi en appelle Marx par ce qu’il nomme « praxis » ou « pratique » selon les traductions. Et c’est, chez Marx, seulement par la pratique que le socialisme peut surgir, en faisant en sorte que les conditions matérielles soient favorables aux humains et assez abondantes pour que les inégalités entre les humains disparaissent et en transformant la nature si celle-ci n’est pas immédiatement florissante, pour qu’elle le devienne. Tant que les humains auront faim, qu’ils souffriront du froid, de la chaleur, des inondations, de la sécheresse, la société restera inégalitaire, le socialisme ne pourra jamais advenir. « On ne peut libérer les hommes tant qu’ils ne sont pas en état de se procurer complètement nourriture et boissons, logement et vêtements en qualité et en quantité parfaite »[11], explique ainsi Karl Marx.

Et Friedrich Engels précisera plus tard : « La machine à vapeur […] comme repré­sen­tante de toutes ces puissantes forces de production qui en découlent, ces forces qui permettent seules un état social où il n’y aura plus de différences de classes, plus de souci des moyens d’existence individuels, et où il pourra être question pour la première fois d’une liber­té humaine véritable, d’une existence en harmonie avec les lois connues de la nature[12]. » Le communisme est la forme sociale inhérente aux sociétés industrielles, car abondantes en charbon et en nourriture, quand le servage est la forme sociale inhérente aux sociétés féodales, car en pénurie d’énergie et de nourriture[13]. On peut en passant se poser ici avec inquiétude la question de la forme que prendront nos sociétés de sobriété, assommées par le réchauffement climatique, les canicules, les sécheresses et les inondations.

Alors pourquoi tant de débats idéologiques dans la politique de ces dernières semaines, tant de disputes juridiques et morales, et si peu de paroles, à gauche, concernant l’infrastructure, la base matérielle, le climat, l’énergie, l’eau, la nourriture ?

Un premier article du quotidien bolchevik la Pravda, datant du 25 février 1921 et relatif aux famines qui allèrent faire des millions de morts entre 1921 et 1922, peut nous montrer que cet embarras n’est pas propre à notre époque, et qu’il est plus facile de lutter contre des superstructures humaines que contre des infrastructures inhumaines : « La Russie soviétique, y est-il écrit, vit, en ce moment, une crise des plus aiguës. Si nous avons vaincu sur le front militaire, la lutte sur le front économique commence seulement maintenant. Il était auparavant clair pour tous les travailleurs que seule une victoire sur les bandits de l’intérieur et de l’extérieur pourrait ouvrir la voie à la construction d’une vie nouvelle, et ce doit être maintenant une vérité claire et évidente pour tous que la victoire sur l’effondrement économique, sur l’indigence, la faim et le froid donnera une base à cette construction.

« Mais la seconde vérité est plus difficile à saisir pour les masses ouvrières et paysannes. Elles connaissent leur ennemi de classe, elles le sentent et sont prêtes à le battre ; il est bien plus malaisé de vaincre la nature inanimée et les formes diverses de l’esclavage capitaliste. De là l’exceptionnelle difficulté de la situation ; c’est là justement que se greffent tous les espoirs de nos ennemis vaincus mais non exterminés[14]. » Ce texte reflète par anticipation une difficulté psychologique pour l’écologie politique aujourd’hui, celle de mobiliser sur un sujet infrastructurel (économique), comme celui du CO2 ou des éoliennes en mer, tandis qu’il semble plus simple de rassembler sur des sujets superstructurels (militaires), comme par exemple la dénonciation des actants humains et sociaux du capitalisme extractiviste.

Si, comme nous l’avons dit, c’est le propre de la droite d’être idéologique, pourquoi la gauche exacerbe-t-elle aujourd’hui, elle aussi, des prises de positions au niveau des conséquences superstructurelles plutôt que des causes infrastructurelles, loin du matérialisme ? Et plus généralement, pourquoi le discours sur l’infrastructure économique est-il tant absent des discours politique depuis tant d’années ? Pour essayer de le comprendre, et peut-être de trouver une solution, il faut certainement revenir sur les régimes communistes d’inspiration marxiste du XXe siècle et comprendre le traumatisme qu’ont été pour la gauche les échecs de l’URSS et de la République populaire de Chine et leur responsabilité dans le discrédit du matérialisme aujourd’hui.

Ce qui manque dans la politique d’aujourd’hui, c’est un peu de matérialisme […], c’est la conscience [… du] terrible bouleversement de l’infrastructure matérielle provoqué par le réchauffement climatique.

Pour sortir de la misère des sociétés féodales, Vladimir Ilitch Lénine, Joseph Staline et Mao Tsé-toung tenteront d’appliquer à la lettre le programme marxiste de révolution matérielle, mais, on va le voir, en oubliant d’une part que la praxis n’est pas que le propre des humains, et que la nature extérieure, par les inondations, les grêles, le froid, le vent, les sécheresses agit aussi de manière pratique à transformer le monde, et en oubliant d’autre part les étapes dialectiques énoncées par Marx, en établissant vainement une société égalitaire sur une agriculture moyenâgeuse ou une industrie inexistante.

Avant de prendre le pouvoir, Vladimir Ilitch Lénine, toujours matérialiste[15] et seulement matérialiste, défendra à la suite de Marx un « réalisme naïf »[16] contre le sophisme de l’empiriocriticisme des socialistes Richard Avenarius et Ernst Mach, qui prétendaient s’élever au-dessus du matérialisme et de l’idéalisme pour finalement ne rester que des idéalistes. Mais en asseyant une superstructure communiste sur une infrastructure féodale au moment de la révolution d’octobre 1917, il contredit finalement la chronologie dialectique du matérialisme historique énoncée par Marx en changeant d’abord la superstructure sans que l’infrastructure ait changé, aboutissant à une famine qui fit près de cinq millions de morts entre 1921 et 1922.

Ce renversement catastrophique du processus dialectique avec la révolution d’Octobre, qui a vu changer la superstructure politique de la féodalité au communisme avant que ne s’industrialise l’infrastructure agricole et industrielle féodale russe, mène à cette terrible famine. Lénine semble en prendre la mesure, comme on peut le lire dans la Pravda du 11 février 1921, tout en cherchant honteusement à le justifier : « Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, cette grave crise est, chez nous, le signe d’une certaine reprise. Tant que nous n’avions pas le moyen de ranimer l’activité des mines, les maigres restes du passé étaient lentement utilisés ; ils “suffisaient”. Lorsque nous eûmes de nouvelles ressources, nous nous efforçâmes d’élargir la production, et nous eûmes vite fait de consommer tout ce que nous avions. Que signifie cela ? Cela signifie que nous “développions” nos activités sans aucun plan, follement, sans prendre garde aux perspectives du lendemain[17]. »

Joseph Staline, toujours matérialiste, mais oubliant totalement la matière naturelle pour ne considérer que la matière humaine, défendra quant à lui, comme Marx et Engels, la « dialectique »[18] pratique contre la « métaphysique »[19] idéelle. Mao Tsé-toung, marxiste également, prônera la « pratique »[20] contre la « connaissance » tout en reproduisant les mêmes erreurs dialectiques que Lénine. Staline et Mao industrialisèrent ainsi leur pays, lancèrent de gigantesques opérations de transformation agricole du territoire comme autant de praxis voulant révolutionner la nature des sols, le climat, la production agricole afin d’apporter à tous la nourriture et le confort physique en abondance, pour que plus personne ne souffre du froid et de la faim, ce qui permettrait, en conséquence, d’assoir naturellement, dans un enchaînement historique matérialiste dialectique, les régimes politiques en des régimes socialistes ou communistes.

Mais, comme pour Lénine, leur erreur a été double : d’une part d’avoir inversé chronologiquement la cause économique et la conséquence idéologique, de mettre en place une superstructure communiste sur une infrastructure féodale comme celles qui prévalaient alors en Russie et en Chine, et d’autre part d’avoir, dans un excès de confiance en la praxis humaine, mésestimé l’importance de la praxis non-humaine, celle de la météo, du climat, de la pédologie ; de l’écologie en général.

La praxis révolutionnaire de Staline et Mao, certainement trop confiante dans la capacité dialectique des humains à transformer les conditions matérielles, oubliera que la nature elle-même participe toujours à la formation de ces conditions matérielles. L’échec du « Grand Bond en avant » de Mao, avec ses famines effroyables en conséquence, sera causé par une praxis humaine mésinformée d’une part, avec la mise en place de techniques agricoles (labour profond, densification des semences, extermination des moineaux) qui se révélèrent contre-productives, et d’autre part à cause d’épisodes météorologiques imprévisibles, pluies, sécheresses, inondations du fleuve Jaune en juillet 1959, aboutissant à de funestes conséquences.

Quant à la praxis anthropocentrique de Staline lors de la collectivisation, elle entraînera une famine qui fit près de huit millions de morts en 1932, la nouvelle espèce de blé plantée ne résistant pas aux intempéries. De la même façon, son « grand plan de transformation de la nature » de 1948 fut contrecarré par la praxis non-humaine d’un climat finalement totalement indépendant qui fit mourir les millions d’arbres que Staline fit planter dans les steppes du sud pour contrer les vents, modifier le climat et permettre à l’agriculture de s’y développer.

L’échec de ces programmes n’est pas celui de Marx[21], qui n’avait imaginé puis encouragé l’arrivée naturelle du communisme que dans les sociétés à l’infrastructure déjà industrialisée, comme celle de l’Angleterre du XIXe siècle, et non pas sur des infrastructures féodales, comme celles de la Russie ou de la Chine de l’époque. Pour Marx, le communisme n’était pas une idéologie sortie de son chapeau, mais une conséquence idéologique historique de l’industrialisation matérielle bourgeoise. Car dans son matérialisme historique, l’idée même du communisme ne peut naître et se réaliser que sur une abondance matérielle, en nourriture et en confort thermique, telle celle donnée par le charbon et les machines à vapeur du XIXe siècle. D’une certaine façon, Lénine, Staline et Mao, en allant trop vite, en transformant d’abord la superstructure politique avant que l’infrastructure économique n’ait changé, en révolutionnant d’abord les idées avant les conditions matérielles, ont fait preuve à leur tour d’idéalisme.

Si certains interprètent la social-démocratie des pays européens d’après les années 1950, avec l’ensemble de ses droits et acquis sociaux, comme une forme rudimentaire du communisme imaginé par Marx, les échecs des régimes communistes du XXe siècle, accompagnés par l’abondance matérielle issue des avancées scientifiques et techniques des trente glorieuses dans le bloc de l’Ouest, ont ouvert la porte, pour de mauvaises raisons, à la mise au ban du matérialisme et au retour d’une gauche idéaliste.

Avec les deux tomes de sa Critique de la raison dialectique (1960 et 1985), Jean-Paul Sartre s’engouffre dans les échecs de l’URSS de Staline pour jeter le bébé avec l’eau du bain, jeter le matérialisme[22] avec le régime communiste de Staline.

Sartre, faisant étonnamment preuve d’une réelle compréhension scientifique de l’écologie, prend l’exemple de praxis ratées, comme celle du déboisement par les paysans, en Chine, visant à étendre les cultures agricoles et entraînant de terribles inondations[23], ou celle du métro de Budapest, pour entamer une critique tout à fait recevable de la praxis soviétique, critique qu’il fonde paradoxalement sur des raisons « physico-chimiques » : « Le métro de Budapest était réel dans la tête de Rákosi ; si le sous-sol de Budapest ne permettait pas de le construire, c’est que ce sous-sol était contre-révolutionnaire. Le marxisme, en tant qu’interprétation philosophique de l’homme et de l’Histoire, devrait nécessairement refléter les partis pris de la planification : cette image fixe de l’idéalisme et de la violence exerça sur les faits une violence idéaliste[24]. »

Mais sa conclusion est de condamner[25] le matérialisme scientifique et la praxis comme pratique physico-chimique, de jeter la « Raison positiviste », c’est-à-dire la praxis matérialiste, au profit d’une « Raison dialectique »[26], c’est-à-dire une dialectique dans la superstructure qui rouvre grand la porte à l’idéalisme hégélien et à la métaphysique. Il se défend par avance en écrivant que « ces invectives contre la métaphysique, ce sont de vieilles connaissances : on les rencontrait au siècle dernier sous la plume des positivistes »[27]. Et de proposer l’existentialisme à la place du matérialisme.

Car quand Sartre écrit que « l’existence précède l’essence », il faut se souvenir que Marx disait l’exact opposé, que l’essence précède l’existence, en expliquant que « le travail aliéné renverse le rapport de telle façon que l’homme, du fait qu’il est un être conscient, ne fait précisément de son activité vitale, de son essence qu’un moyen de son existence »[28]. Et ne nous trompons pas, l’essence de l’humain chez Marx reste absolument matérielle et en aucune façon donnée par des idées, métaphysiques, morales, culturelles ou religieuses. Henri Lefebvre le rappellera en écrivant, en 1945, que « l’existentialisme s’inscrit dans la ligne de la métaphysique »[29]. Et le communiste Jean Kanapa en expliquant, en 1948, que « la liberté de Sartre n’est que la liberté de Sartre. L’abstraction n’est, une fois de plus, que la transposition métaphysique d’un privilège exclusif de la bourgeoisie et en même temps un appareil destiné à désarmer la classe montant dans la lutte : “Pourquoi revendiquez-vous la liberté ? dit l’existentialiste au prolétaire. Vous l’avez !” »[30].

En arrière-fond de la Raison dialectique de Jean-Paul Sartre, la critique du matérialisme avait commencé à poindre dans La Dialectique de la raison de Theodor W. Adorno et Max Horkheimer, publié en 1944.

Max Horkheimer attaque dès lors le cœur de la pensée de Karl Marx en tournant en ridicule le matérialisme, qu’il considère être une « idéologie » comme une autre, de plus « désuète », s’accordant avec Wilhelm Dilthey pour dire que le matérialisme est une métaphysique, et de citer Karl Jaspers pour expliquer que l’on ne peut réduire les phénomènes spirituels à des phénomènes matériels : « Si je ne suis rien d’autre que la nature telle qu’on la trouve dans les systèmes de relations causales accessibles à la connaissance, il est non seulement incompréhensible que je la connaisse et qu’à partir de cette connaissance j’intervienne dans son mécanisme, mais encore absurde que je me justifie[31]. »

Et c’est par la dérision que Max Horkheimer donne le coup de grâce au matérialisme, en écrivant que « le matérialisme ne manque pas d’idéaux »[32], se moquant de ses visions « naïves » et « grossières ». « Les travaux d’Erich Fromm ont démontré de façon approfondie que seule une psychologie naïve, fondée sur des considérations purement économiques, pouvait concevoir cette aspiration au bonheur dans le simple sens d’une satisfaction de besoins grossièrement matériels »[33], écrit ainsi Max Horkheimer, désarmant les intellectuels sur les questions chimico-physiques pour les cinquante années suivantes, réactivant l’idéalisme, pourtant de droite, et donnant des arguments pour déconsidérer toute cause matérielle à l’histoire des sociétés humaines, arguments repris par les climato-sceptiques[34] ou les antivax, mais plus communément par le silence des intellectuels[35] sur la question écologique, avant l’entrée de scène de Bruno Latour dans les années 2000.

Au final, en écrivant que « les idéaux peuvent devenir des forces motrices »[36], Max Horkheimer réhabilite dans la pensée de gauche l’idéalisme, l’idéologie, l’utopie, contre lesquels s’est toujours battu Marx, idéalisme qui est pourtant le cœur même de la pensée politique de droite car, si on peut peut-être rêver de justice et d’égalité, l’idéalisme permet le plus souvent de faire passer n’importe quelle oppression, n’importe quelle injustice ou inégalité entre les humains pour une volonté de Dieu, de la « nature », d’un roi ; de baser des systèmes sociaux, des disparités de classes, de rangs, de salaires sur des vérités métaphysiques infalsifiables, qui ne sont qu’opiums du peuple[37], afin de ne rien changer dans l’infrastructure économique et pour que rien ne change dans la superstructure sociale, que rien ne mette en péril le mode de vie de la classe dominante privilégiée.

Pour être honnête, l’idéalisme de gauche a néanmoins parfaitement fonctionné et a réalisé de grandes révolutions sociales depuis les années 1950, dans la superstructure moderne soutenue par le pétrole, le nucléaire, les antibiotiques et les vaccins. Avant Michel Foucault ou Pierre Bourdieu, Claude Lévi-Strauss, le premier en France, reconnaissant toujours le primat marxiste de l’infrastructure sur la superstructure[38], mais se concentrant sur l’étude des mécanismes agissant au sein même de la superstructure, a été le passeur entre la gauche matérialiste et la gauche idéaliste.

Porté par une infrastructure stable, opulente et silencieuse, celle des énergies fossiles, l’idéalisme de gauche a révolutionné la superstructure idéelle, la vie sociale, morale et esthétique de la fin du XXe siècle et du début du XXIe siècle, dans un pur enchaînement dialectique marxiste[39]. Mais que faire quand cette infrastructure matérielle se fracture avec le réchauffement climatique et l’épuisement des énergies fossiles ? Doit-on continuer à ne combattre que pour des idées, comme si de rien n’était, comme si nous vivions toujours sur cette même infrastructure stable et opulente, donnée par le pétrole, du XXe siècle ? Ne devrions-nous pas aussi plus largement reconsidérer la base économique, l’infrastructure matérielle, avant que sa transformation par le réchauffement climatique révolutionne à notre place les idées, pas forcément à notre avantage ?

Ce qui manque dans la politique d’aujourd’hui, c’est un peu de matérialisme. Ce qui manque, c’est la conscience que ce qui menace nos démocraties, nos libertés, nos égalités, en deçà des récits et des idéologies, c’est le terrible bouleversement de l’infrastructure matérielle provoqué par le réchauffement climatique qui fracassera en conséquence nos modèles de société et qui est peut-être déjà responsable du retour des idéologies réactionnaires. Ce qu’il faut en politique, aujourd’hui, plutôt que l’interpréter, c’est transformer le monde, dans le réel, à l’échelle globale, par la pratique, transformer l’infrastructure économique de nos sociétés : ce que l’on appelle transition écologique est la révolution.


[1] Karl Marx, Thèses sur Feuerbach (1855/1888), Montreuil-sous-Bois, Science marxiste, 2009.

[2] Bruno Schulz, Œuvres complètes, Paris, Denoël, 2004.

[3] « La condition première de toute histoire humaine est naturellement l’existence d’êtres humains vivants. Le premier état de fait à constater est donc la complexion corporelle de ces individus et les rapports qu’elle leur crée avec le reste de la nature. Nous ne pouvons naturellement pas faire ici une étude approfondie de la constitution physique de l’homme elle-même, ni des conditions naturelles que les hommes ont trouvées toutes prêtes, condi­tions géologiques, orographiques, hydrographiques, climatiques et autres. Toute histoire doit partir de ces bases natu­relles et de leur modification par l’action des hommes au cours de l’histoire [Karl Marx et Friedrich Engels, L’Idéologie Allemande, 1845]. »

[4] « La production des idées, des représentations et de la conscience est d’abord directe­ment et intimement mêlée à l’activité matérielle et au commerce matériel des hommes, elle est le langage de la vie réelle. Les représentations, la pensée, le commerce intellectuel des hommes apparaissent ici encore comme l’émanation directe de leur comportement matériel [ibid.]. »

[5] « De ce fait, la morale, la religion, la métaphysique et tout le reste de l’idéologie, ainsi que les formes de conscience qui leur correspondent, perdent aussitôt toute apparence d’autonomie. Elles n’ont pas d’histoire, elles n’ont pas de développement ; ce sont au contraire les hommes qui, en développant leur production matérielle et leurs rapports matériels, transfor­ment, avec cette réalité qui leur est propre, et leur pensée et les produits de leur pensée. Ce n’est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience [ibid.]. »

[6] Karl Marx, Misère de la philosophie, 1847.

[7] Karl Marx et Friedrich Engels, La Sainte famille, ou Critique de la critique critique, 1845.

[8] « M. Proudhon l’économiste a très bien compris que les hommes font le drap, la toile, les étoffes de soie, dans des rapports déterminés de production. Mais ce qu’il n’a pas compris, c’est que ces rapports sociaux déterminés sont aussi bien produits par les hommes que la toile, le lin, etc. Les rapports sociaux sont intimement liés aux forces pro­ductives. En acquérant de nouvelles forces productives, les hommes changent leur mode de production, et en changeant le mode de production, la manière de gagner leur vie, ils changent tous leurs rapports sociaux. Le moulin à bras vous donnera la société avec le suzerain ; le moulin à vapeur, la société avec le capitalisme industriel [Karl Marx, Misère de la philosophie, 1847]. »

[9] « La structure économique de la société constitue cha­que fois la base réelle qui permet, en dernière analyse, d’expliquer toute la supers­tructure des insti­tu­tions juridiques et politiques, aussi bien que des idées religieuses, philoso­phiques et autres de chaque période historique. Ainsi l’idéalisme était chassé de son dernier refuge, la conception de l’histoire ; une conception matérialiste de l’histoire était donnée et la voie était trouvée pour expliquer la conscience des hom­mes en partant de leur être, au lieu d’expliquer leur être en partant de leur conscience, comme on l’avait fait jusqu’alors [Friedrich Engels, Anti-Dühring, 1878]. »

[10] Ibid.

[11] Karl Marx et Friedrich Engels, L’Idéologie Allemande, 1845.

[12] Friedrich Engels, Anti-Dühring, 1878.

[13] « On ne peut abolir l’esclavage sans la machine à vapeur et la mule-jenny ni abolir le servage sans améliorer l’agriculture […]. La libération est un fait historique et non un fait intellectuel et elle est provoquée par des conditions historiques, par l’état de l’industrie, du commerce, de l’agriculture [Karl Marx et Friedrich Engels, L’Idéologie Allemande, 1845]. »

[14] Cité dans Pierre Sorlin et Irène Sorlin, Lénine – Trotski – Staline, 1921-1927, Paris, Armand Colin, 1961.

[15] « Pour les matérialistes, la nature est première, et l’esprit second ; pour les idéalistes, c’est l’inverse [Vladimir Ilitch Lénine, Matérialisme et empiriocriticisme (1909), Montreuil-sous-Bois, Science marxiste, 2009]. »

[16] « Le “réalisme naïf” de tout homme sain d’esprit, qui ne sort pas d’une maison d’aliénés ou de l’école des philosophes idéalistes, consiste à admettre l’existence des choses, du milieu, du monde indépendamment de notre sensation, de notre conscience, de notre Moi et de l’homme en général… La conviction “naïve” de l’humanité, le matérialisme la met consciemment à la base de sa théorie de la connaissance [ibid.]. »

[17] Cité dans Pierre Sorlin et Irène Sorlin, Lénine – Trotski – Staline, 1921-1927, op. cit.

[18] La dialectique, « qui regarde la nature comme “un état de mouvement et de changement perpétuel, de renouvellement et de développement incessant” » (Joseph Staline, Le Matérialisme dialectique et le matérialisme historique [1938], Paris, Sociales, 1959).

[19] La métaphysique, « qui regarde la nature comme en état de repos et d’immobilité, de stagnation et d’immuabilité » (ibid.).

[20] « D’où viennent les idées justes ? », in Citations du Président Mao Tsé-toung, Pékin, Langues étrangères, 1966.

[21] « Comme on m’a reproché sans bonne fois de ne pas citer Marx dans cet article, je précise que mes critiques ne s’adressent pas à lui mais à la scolastique marxiste de 1949. Ou, si l’on veut, à Marx à travers le néo-marxisme stalinien », précise Jean-Paul Sartre dans la réédition de son essai « Matérialisme et révolution » (1946), in Situations, III, Paris, Gallimard, 1949. Nous sommes ici d’accord avec lui.

[22] « Or, à la plupart d’entre eux (les jeunes gens), les principes du matérialisme semblent philosophiquement faux : ils ne peuvent comprendre comment la matière pourrait engendrer l’idée de matière [ibid.]. »

[23] « Le lœss des montagnes et des pénéplaines n’étant pas fixé par les arbres, encombre le fleuve, les exhausse au-dessus du niveau de la plaine et, dans les parties inférieures de leur cours, il les obture comme un bouchon et les contraint à déborder. Ainsi, le processus entier des terribles inondations chinoises apparaît comme un mécanisme construit intentionnellement. Si quelque ennemi de l’homme avait voulu persécuter les travailleurs de la Grande Chine, il aurait chargé des troupes mercenaires de déboiser systématiquement les montagnes. Le système positif de la culture s’est transformé en machine infernale [Jean-Paul Sartre, Critique de la raison dialectique, I, Paris, Gallimard, 1960]. »

[24] Jean-Paul Sartre, « Marxisme et existentialisme », in Critique de la raison dialectique, op. cit.

[25] « Le matérialisme en niant sa subjectivité pense l’avoir fait évanouir. Mais la ruse est facilement décelable : pour supprimer la subjectivité, le matérialisme se déclare objet, c’est-à-dire matière de science. Mais, une fois qu’il a supprimé la subjectivité au profit de l’objet, au lieu de se voir chose parmi les choses, ballotté par les ressacs de l’univers physique, il se fait regard objectif et prétend contempler la nature telle qu’elle est absolument [Jean-Paul Sartre, « Matérialisme et révolution », Situations, III, op. cit.]. »

[26] « Le but de ma recherche sera donc d’établir si la Raison positiviste des Sciences naturelles est bien celle que nous retrouvons dans le développement de l’anthropologie ou si la connaissance et la compréhension de l’homme par l’homme implique non seulement des méthodes spécifiques mais une Raison nouvelle, c’est-à-dire une relation nouvelle entre la pensée et son objet. En d’autres mots, y a-t-il une Raison dialectique [ibid.] ? »

[27] Ibid.

[28] Karl Marx, Manuscrits de 1844. Économie politique et philosophie, 1932.

[29] Cité dans Dominique Aury, « Qu’est-ce que l’existentialisme ? Bilan d’une offensive », Les Lettres françaises, 24 novembre 1945, p. 5.

[30] Jean Kanapa, L’Existentialisme n’est pas un humanisme, Paris, Sociales, 1948. Voir l’article de David Drake, « Sartre et le parti communiste français (PCF) après la libération (1944-1948) ».

[31] Max Horkheimer, « Matérialisme et métaphysique », in Théorie traditionnelle et théorie critique, Paris, Gallimard, 1970.

[32] Ibid.

[33] Ibid.

[34] Comme le constatait avec consternation Bruno Latour, dans son article « Why Has Critique Run Out of Steam ? », Critical Inquiry, vol. 30, n°2, The University of Chicago, 2004.

[35] Voir l’article de Gérard Chausset, « Changement climatique, que font les intellectuels ? » : « Pour autant notre intelligentsia reste quasi muette sur le sujet. Il est vrai que le climat n’est influencé ni par Dieu ni par Marx et lutter contre l’effet de serre ce n’est pas très romantique. »

[36] Max Horkheimer, « Matérialisme et métaphysique », in Théorie traditionnelle et théorie critique, op. cit.

[37] « La misère religieuse est, d’une part, l’expression de la misère réelle, et, d’autre part, la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’une époque sans esprit. C’est l’opium du peuple. Le véritable bonheur du peuple exige que la religion soit supprimée en tant que bonheur illusoire du peuple. Exiger qu’il soit renoncé aux illusions concernant notre propre situation, c’est exiger qu’il soit renoncé à une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc, en germe, la critique de cette vallée de larmes, dont la religion est l’auréole » ; et : « L’homme fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme [Karl Marx, Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, 1843]. »

[38] « Sans mettre en cause l’incontestable primat des infrastructures, nous croyons qu’entre praxis et pratiques s’intercale toujours un médiateur, qui est le schème conceptuel par l’opération duquel une matière et une forme, dépourvues l’une et l’autre d’existence indépendante, s’accomplissent comme structures, c’est-à-dire comme êtres à la fois empiriques et intelligibles. C’est à cette théorie des superstructures, à peine esquissée par Marx, que nous souhaitons contribuer, réservant à l’histoire – assistée par la démographie, la technologie, la géographie historique et l’ethnographie – le soin de développer l’étude des infrastructures proprement dites, qui ne peut être principalement la nôtre, parce que l’ethnologie est d’abord une psychologie [Claude Lévi-Strauss, La Pensée Sauvage, Paris, Plon, 1962]. »

[39] « Dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un degré de développement déterminé de leurs forces productives matérielles. L’ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base concrète sur laquelle s’élève une superstructure juridique et politique et à laquelle correspondent des formes de conscience sociales déterminées. Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie sociale, politique et intellectuel en général. Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être ; c’est inversement leur être social qui détermine leur conscience. À un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n’en est que l’expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s’étaient mues jusqu’alors. De formes de développement des forces productives qu’ils étaient ces rapports en deviennent des entraves. Alors s’ouvre une époque de révolution sociale. Le changement dans la base économique bouleverse plus ou moins rapidement toute l’énorme superstructure [Karl Marx, Critique de l’économie politique, 1859]. »

Philippe Rahm

Architecte, MAÎTRE DE CONFÉRENCES À L’ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE D’ARCHITECTURE DE VERSAILLES, PROFESSEUR ASSOCIE A LA HAUTE ÉCOLE D’ART ET DE DESIGN DE GENEVE (HEAD – GENEVE, HES-SO)

Mots-clés

Gauche

Notes

[1] Karl Marx, Thèses sur Feuerbach (1855/1888), Montreuil-sous-Bois, Science marxiste, 2009.

[2] Bruno Schulz, Œuvres complètes, Paris, Denoël, 2004.

[3] « La condition première de toute histoire humaine est naturellement l’existence d’êtres humains vivants. Le premier état de fait à constater est donc la complexion corporelle de ces individus et les rapports qu’elle leur crée avec le reste de la nature. Nous ne pouvons naturellement pas faire ici une étude approfondie de la constitution physique de l’homme elle-même, ni des conditions naturelles que les hommes ont trouvées toutes prêtes, condi­tions géologiques, orographiques, hydrographiques, climatiques et autres. Toute histoire doit partir de ces bases natu­relles et de leur modification par l’action des hommes au cours de l’histoire [Karl Marx et Friedrich Engels, L’Idéologie Allemande, 1845]. »

[4] « La production des idées, des représentations et de la conscience est d’abord directe­ment et intimement mêlée à l’activité matérielle et au commerce matériel des hommes, elle est le langage de la vie réelle. Les représentations, la pensée, le commerce intellectuel des hommes apparaissent ici encore comme l’émanation directe de leur comportement matériel [ibid.]. »

[5] « De ce fait, la morale, la religion, la métaphysique et tout le reste de l’idéologie, ainsi que les formes de conscience qui leur correspondent, perdent aussitôt toute apparence d’autonomie. Elles n’ont pas d’histoire, elles n’ont pas de développement ; ce sont au contraire les hommes qui, en développant leur production matérielle et leurs rapports matériels, transfor­ment, avec cette réalité qui leur est propre, et leur pensée et les produits de leur pensée. Ce n’est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience [ibid.]. »

[6] Karl Marx, Misère de la philosophie, 1847.

[7] Karl Marx et Friedrich Engels, La Sainte famille, ou Critique de la critique critique, 1845.

[8] « M. Proudhon l’économiste a très bien compris que les hommes font le drap, la toile, les étoffes de soie, dans des rapports déterminés de production. Mais ce qu’il n’a pas compris, c’est que ces rapports sociaux déterminés sont aussi bien produits par les hommes que la toile, le lin, etc. Les rapports sociaux sont intimement liés aux forces pro­ductives. En acquérant de nouvelles forces productives, les hommes changent leur mode de production, et en changeant le mode de production, la manière de gagner leur vie, ils changent tous leurs rapports sociaux. Le moulin à bras vous donnera la société avec le suzerain ; le moulin à vapeur, la société avec le capitalisme industriel [Karl Marx, Misère de la philosophie, 1847]. »

[9] « La structure économique de la société constitue cha­que fois la base réelle qui permet, en dernière analyse, d’expliquer toute la supers­tructure des insti­tu­tions juridiques et politiques, aussi bien que des idées religieuses, philoso­phiques et autres de chaque période historique. Ainsi l’idéalisme était chassé de son dernier refuge, la conception de l’histoire ; une conception matérialiste de l’histoire était donnée et la voie était trouvée pour expliquer la conscience des hom­mes en partant de leur être, au lieu d’expliquer leur être en partant de leur conscience, comme on l’avait fait jusqu’alors [Friedrich Engels, Anti-Dühring, 1878]. »

[10] Ibid.

[11] Karl Marx et Friedrich Engels, L’Idéologie Allemande, 1845.

[12] Friedrich Engels, Anti-Dühring, 1878.

[13] « On ne peut abolir l’esclavage sans la machine à vapeur et la mule-jenny ni abolir le servage sans améliorer l’agriculture […]. La libération est un fait historique et non un fait intellectuel et elle est provoquée par des conditions historiques, par l’état de l’industrie, du commerce, de l’agriculture [Karl Marx et Friedrich Engels, L’Idéologie Allemande, 1845]. »

[14] Cité dans Pierre Sorlin et Irène Sorlin, Lénine – Trotski – Staline, 1921-1927, Paris, Armand Colin, 1961.

[15] « Pour les matérialistes, la nature est première, et l’esprit second ; pour les idéalistes, c’est l’inverse [Vladimir Ilitch Lénine, Matérialisme et empiriocriticisme (1909), Montreuil-sous-Bois, Science marxiste, 2009]. »

[16] « Le “réalisme naïf” de tout homme sain d’esprit, qui ne sort pas d’une maison d’aliénés ou de l’école des philosophes idéalistes, consiste à admettre l’existence des choses, du milieu, du monde indépendamment de notre sensation, de notre conscience, de notre Moi et de l’homme en général… La conviction “naïve” de l’humanité, le matérialisme la met consciemment à la base de sa théorie de la connaissance [ibid.]. »

[17] Cité dans Pierre Sorlin et Irène Sorlin, Lénine – Trotski – Staline, 1921-1927, op. cit.

[18] La dialectique, « qui regarde la nature comme “un état de mouvement et de changement perpétuel, de renouvellement et de développement incessant” » (Joseph Staline, Le Matérialisme dialectique et le matérialisme historique [1938], Paris, Sociales, 1959).

[19] La métaphysique, « qui regarde la nature comme en état de repos et d’immobilité, de stagnation et d’immuabilité » (ibid.).

[20] « D’où viennent les idées justes ? », in Citations du Président Mao Tsé-toung, Pékin, Langues étrangères, 1966.

[21] « Comme on m’a reproché sans bonne fois de ne pas citer Marx dans cet article, je précise que mes critiques ne s’adressent pas à lui mais à la scolastique marxiste de 1949. Ou, si l’on veut, à Marx à travers le néo-marxisme stalinien », précise Jean-Paul Sartre dans la réédition de son essai « Matérialisme et révolution » (1946), in Situations, III, Paris, Gallimard, 1949. Nous sommes ici d’accord avec lui.

[22] « Or, à la plupart d’entre eux (les jeunes gens), les principes du matérialisme semblent philosophiquement faux : ils ne peuvent comprendre comment la matière pourrait engendrer l’idée de matière [ibid.]. »

[23] « Le lœss des montagnes et des pénéplaines n’étant pas fixé par les arbres, encombre le fleuve, les exhausse au-dessus du niveau de la plaine et, dans les parties inférieures de leur cours, il les obture comme un bouchon et les contraint à déborder. Ainsi, le processus entier des terribles inondations chinoises apparaît comme un mécanisme construit intentionnellement. Si quelque ennemi de l’homme avait voulu persécuter les travailleurs de la Grande Chine, il aurait chargé des troupes mercenaires de déboiser systématiquement les montagnes. Le système positif de la culture s’est transformé en machine infernale [Jean-Paul Sartre, Critique de la raison dialectique, I, Paris, Gallimard, 1960]. »

[24] Jean-Paul Sartre, « Marxisme et existentialisme », in Critique de la raison dialectique, op. cit.

[25] « Le matérialisme en niant sa subjectivité pense l’avoir fait évanouir. Mais la ruse est facilement décelable : pour supprimer la subjectivité, le matérialisme se déclare objet, c’est-à-dire matière de science. Mais, une fois qu’il a supprimé la subjectivité au profit de l’objet, au lieu de se voir chose parmi les choses, ballotté par les ressacs de l’univers physique, il se fait regard objectif et prétend contempler la nature telle qu’elle est absolument [Jean-Paul Sartre, « Matérialisme et révolution », Situations, III, op. cit.]. »

[26] « Le but de ma recherche sera donc d’établir si la Raison positiviste des Sciences naturelles est bien celle que nous retrouvons dans le développement de l’anthropologie ou si la connaissance et la compréhension de l’homme par l’homme implique non seulement des méthodes spécifiques mais une Raison nouvelle, c’est-à-dire une relation nouvelle entre la pensée et son objet. En d’autres mots, y a-t-il une Raison dialectique [ibid.] ? »

[27] Ibid.

[28] Karl Marx, Manuscrits de 1844. Économie politique et philosophie, 1932.

[29] Cité dans Dominique Aury, « Qu’est-ce que l’existentialisme ? Bilan d’une offensive », Les Lettres françaises, 24 novembre 1945, p. 5.

[30] Jean Kanapa, L’Existentialisme n’est pas un humanisme, Paris, Sociales, 1948. Voir l’article de David Drake, « Sartre et le parti communiste français (PCF) après la libération (1944-1948) ».

[31] Max Horkheimer, « Matérialisme et métaphysique », in Théorie traditionnelle et théorie critique, Paris, Gallimard, 1970.

[32] Ibid.

[33] Ibid.

[34] Comme le constatait avec consternation Bruno Latour, dans son article « Why Has Critique Run Out of Steam ? », Critical Inquiry, vol. 30, n°2, The University of Chicago, 2004.

[35] Voir l’article de Gérard Chausset, « Changement climatique, que font les intellectuels ? » : « Pour autant notre intelligentsia reste quasi muette sur le sujet. Il est vrai que le climat n’est influencé ni par Dieu ni par Marx et lutter contre l’effet de serre ce n’est pas très romantique. »

[36] Max Horkheimer, « Matérialisme et métaphysique », in Théorie traditionnelle et théorie critique, op. cit.

[37] « La misère religieuse est, d’une part, l’expression de la misère réelle, et, d’autre part, la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’une époque sans esprit. C’est l’opium du peuple. Le véritable bonheur du peuple exige que la religion soit supprimée en tant que bonheur illusoire du peuple. Exiger qu’il soit renoncé aux illusions concernant notre propre situation, c’est exiger qu’il soit renoncé à une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc, en germe, la critique de cette vallée de larmes, dont la religion est l’auréole » ; et : « L’homme fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme [Karl Marx, Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, 1843]. »

[38] « Sans mettre en cause l’incontestable primat des infrastructures, nous croyons qu’entre praxis et pratiques s’intercale toujours un médiateur, qui est le schème conceptuel par l’opération duquel une matière et une forme, dépourvues l’une et l’autre d’existence indépendante, s’accomplissent comme structures, c’est-à-dire comme êtres à la fois empiriques et intelligibles. C’est à cette théorie des superstructures, à peine esquissée par Marx, que nous souhaitons contribuer, réservant à l’histoire – assistée par la démographie, la technologie, la géographie historique et l’ethnographie – le soin de développer l’étude des infrastructures proprement dites, qui ne peut être principalement la nôtre, parce que l’ethnologie est d’abord une psychologie [Claude Lévi-Strauss, La Pensée Sauvage, Paris, Plon, 1962]. »

[39] « Dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un degré de développement déterminé de leurs forces productives matérielles. L’ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base concrète sur laquelle s’élève une superstructure juridique et politique et à laquelle correspondent des formes de conscience sociales déterminées. Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie sociale, politique et intellectuel en général. Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être ; c’est inversement leur être social qui détermine leur conscience. À un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n’en est que l’expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s’étaient mues jusqu’alors. De formes de développement des forces productives qu’ils étaient ces rapports en deviennent des entraves. Alors s’ouvre une époque de révolution sociale. Le changement dans la base économique bouleverse plus ou moins rapidement toute l’énorme superstructure [Karl Marx, Critique de l’économie politique, 1859]. »