Numérique

Mais comment en est-on venu à parler d’« intelligence artificielle » ?

Philosophe

D’où vient l’expression intelligence artificielle ? De quoi fut-elle le nom ? Une mise en perspective historique permet de s’émanciper du narratif téléologique univoque imposé par les GAFAM, celui de la victoire, utopique ou collapsologique, de l’IA sur l’être humain. Il en va d’un rapport alternatif aux technologies et à la pensée, libéré des mystifications hégémoniques.

Les discours sur l’IA ont beau ne pas se tarir, un effet de saturation se fait sentir. Tantôt pour se répondre, tantôt pour se confondre, les mêmes thématiques reviennent sans cesse : course à l’IA aux airs de course aux armements, remplacement effectif ou hypothétique du travail humain, crainte de perte de contrôle et désir de toute-puissance, spéculations sur les évolutions possibles, opportunités financières… L’émerveillement face à l’inédit côtoie des peurs et des fantasmes anciens sur fond de business as usual. Le tout s’accommode à merveille avec une approche superficielle du phénomène qui laisse parfois croire à une génération spontanée. La publicité, évidemment, en rajoute et ne manque plus une occasion de nous vanter les mérites de dispositifs et de services estampillés IA, sans qu’il soit nécessaire que nous saisissions de quoi il retourne.

publicité

Les sigles s’accompagnent souvent de brumes. Celles dans lesquelles on s’enfonce ici n’émanent pas de l’ignorance de l’expression dont est tiré l’acronyme. Nul besoin de rappeler qu’« IA » signifie « intelligence artificielle » ! Elles ne dérivent pas non plus de cette mauvaise manie de spécialistes qui consiste à réduire pour mieux jargonner. Le vocabulaire technique du domaine foisonne d’abréviations et de termes plus circonscrits et rigoureux. L’« IA » accentue le flou qui entoure déjà l’« intelligence artificielle ».

Décortiquer la formule ne serait d’une aide que toute relative. Les définitions de l’intelligence ont avant tout conduit à des batailles théoriques ; les multiples mesures, échelles et tests qu’elle a inspirés aussi. L’artificiel ne s’en sort guère mieux. À moins, peut-être, de jeter aux orties tout dialogue critique avec les grandes catégories héritées de l’Antiquité occidentale.

Prendre les deux mots d’un seul bloc risque de ne pas nous satisfaire davantage. On cherchera en vain une définition consensuelle et univoque de l’« intelligence artificielle ». Au reste, la pertinence de l’expressio


[1] Voir Pamela McCorduck, Machines Who Think: A Personal Inquiry into the History and Prospects of Artificial Intelligence, Natick, A.K. Peters, 2004, p. 115.

[2] Sur cette histoire, voir Ronald Kline, « Cybernetics, Automata Studies, and the Dartmouth Conference on Artificial Intelligence », IEEE Annals of the History of Computing, vol. 33, nᵒ 4, avril 2011, p. 8.

[3] John McCarthy et al., « A Proposal for the Dartmouth Research Project on Artificial Intelligence », 1955, p. 1.

[4] On rappellera cependant que la notion d’information donne lieu, au sein même de la cybernétique, à des théories divergentes. Sur ce point, et sur la cybernétique en général, voir Mathieu Triclot, Le Moment cybernétique : la constitution de la notion d’information, Seyssel, Champ Vallon, 2008.

[5] Sur la manière dont la cybernétique entend bâtir une « science de l’esprit », voir Jean-Pierre Dupuy, Aux origines des sciences cognitives, Paris, La Découverte, 2005.

[6] Alan Turing, « Computing Machinery and Intelligence », Mind, LIX, nᵒ 236, octobre 1950, p. 436.

[7] Machine imaginaire qu’Alan Turing présente dans un célèbre article de 1937 et qui offre un modèle formel de la notion d’algorithme. Voir Alan Turing, « On Computable Numbers, with an Application to the Entscheidungsproblem », Proceedings of the London Mathematical Society, vol. s2-42, nᵒ 1, 1937, p. 230-265.

[8] Nous soulignons. Cité par Ronald Kline, « Cybernetics, Automata Studies, and the Dartmouth Conference on Artificial Intelligence », op. cit., p. 8.

[9] Si certains travaux de Shannon ont été déterminants pour le devenir de l’intelligence artificielle et s’il a participé aux balbutiements du champ, il ne s’est pas illustré comme un acteur majeur de celui-ci.

[10] Rappelons qu’aujourd’hui encore, le cerveau est loin d’avoir livré tous ses secrets, et que, dans les années 1950, les connaissances scientifiques en la matière étaient pour le moins rudimentaires.

[11] Nils John Nilsson, The Quest for Artificial Intelligence, C

Vivien García

Philosophe, Enseignant-chercheur à la Faculté de Médecine de l'Université de Lorraine

Mots-clés

IA

Notes

[1] Voir Pamela McCorduck, Machines Who Think: A Personal Inquiry into the History and Prospects of Artificial Intelligence, Natick, A.K. Peters, 2004, p. 115.

[2] Sur cette histoire, voir Ronald Kline, « Cybernetics, Automata Studies, and the Dartmouth Conference on Artificial Intelligence », IEEE Annals of the History of Computing, vol. 33, nᵒ 4, avril 2011, p. 8.

[3] John McCarthy et al., « A Proposal for the Dartmouth Research Project on Artificial Intelligence », 1955, p. 1.

[4] On rappellera cependant que la notion d’information donne lieu, au sein même de la cybernétique, à des théories divergentes. Sur ce point, et sur la cybernétique en général, voir Mathieu Triclot, Le Moment cybernétique : la constitution de la notion d’information, Seyssel, Champ Vallon, 2008.

[5] Sur la manière dont la cybernétique entend bâtir une « science de l’esprit », voir Jean-Pierre Dupuy, Aux origines des sciences cognitives, Paris, La Découverte, 2005.

[6] Alan Turing, « Computing Machinery and Intelligence », Mind, LIX, nᵒ 236, octobre 1950, p. 436.

[7] Machine imaginaire qu’Alan Turing présente dans un célèbre article de 1937 et qui offre un modèle formel de la notion d’algorithme. Voir Alan Turing, « On Computable Numbers, with an Application to the Entscheidungsproblem », Proceedings of the London Mathematical Society, vol. s2-42, nᵒ 1, 1937, p. 230-265.

[8] Nous soulignons. Cité par Ronald Kline, « Cybernetics, Automata Studies, and the Dartmouth Conference on Artificial Intelligence », op. cit., p. 8.

[9] Si certains travaux de Shannon ont été déterminants pour le devenir de l’intelligence artificielle et s’il a participé aux balbutiements du champ, il ne s’est pas illustré comme un acteur majeur de celui-ci.

[10] Rappelons qu’aujourd’hui encore, le cerveau est loin d’avoir livré tous ses secrets, et que, dans les années 1950, les connaissances scientifiques en la matière étaient pour le moins rudimentaires.

[11] Nils John Nilsson, The Quest for Artificial Intelligence, C