La Terre face à Trump : cynisme et radicalité
En quelques mois, les menaces diffuses qui pesaient sur nous se sont cristallisées. En France, à la suite des élections européennes et de la dissolution de l’Assemblée nationale, le glissement à droite, de plus en plus visible au fur et à mesure que s’égrenaient les années Macron, a connu une vive accélération. Et ce tant sur le plan de la représentation politique qu’en termes de paysage médiatique.
Le front républicain forgé à l’occasion des législatives s’est évanoui. Domine désormais un front informel allant du centre à l’extrême droite. Le ministre de l’Intérieur s’en prend à l’État de droit, le Figaro remet en cause les sciences sociales au sein du CNRS, les questions écologiques passent au énième plan, quand on ne rêve pas de supprimer l’Agence de la transition écologique, etc. La droitisation des représentants et la secondarisation des questions écologiques qui en découle valent tout autant à l’échelle du Parlement et de la Commission européenne.
La campagne présidentielle américaine a laissé de plus en plus apparaître, derrière le populisme trumpien, une menace fasciste. Trump annonce notamment qu’il recourra à une ancienne loi de 1798 (The Alien Enemies Act) en vue d’une déportation de masse des migrants, et possiblement contre les « ennemis de l’intérieur ». Il vient d’être réélu à la présidence des États-Unis. Le tout se déroule avec, à l’arrière-plan, une situation géopolitique et écologique menaçante : des soldats nord-coréens proches des frontières ukrainiennes, une armée israélienne à la furie meurtrière et déstabilisatrice, un effondrement des populations de vertébrés terrestres de 73 % en cinquante ans et un climat qui a d’ores et déjà basculé dans l’inédit, avec l’évidence d’un régime hydrologique alternant canicules à répétition, sécheresses et inondations hors norme.
Quel lien peut-il exister entre la dérive extrême droitière accélérée des forces politiques au sein des anciennes nations industrielles et la dégradation tant géopolitique qu’écologique de la planète ? Je reprendrai à mon compte ici l’idée formulée il y a plus de vingt ans par Thomas Frank sur l’émergence d’une nouvelle culture populaire tout en l’actualisant et chercherai à montrer les liens qu’elle noue avec la prise de conscience de la gravité de la donne écologique et de la nasse où s’enferment nos sociétés.
De la moralisation du paysage politique nord-américain à Trump
Lors du rally organisé le 27 octobre au Madison Square Garden, un des intervenants précédant l’allocution de Trump lui-même, également milliardaire, n’a pas hésité à en appeler à la suppression de toute espèce d’impôt au profit des seules taxes sur les biens, indépendantes, donc, des revenus des individus. Lors du même rassemblement, il a par ailleurs été notamment question de la suppression des agences de l’État, lesquelles viennent souvent secourir les plus démunis. Et, dans les deux cas, sous des tonnerres d’applaudissements.
Or, les auditeurs MAGA [Make America Great Again, le slogan de campagne de Donald Trump, ndlr] de ces propos sont statistiquement plutôt issus des États les plus pauvres et des couches démunies de la population. Il est ainsi fascinant de voir des foules applaudir à des mesures qui contribueront à leur appauvrissement et à leur mise en danger. Diverses propositions émises lors de ce même meeting n’étaient d’ailleurs pas sans rappeler le programme politique mis en œuvre par Javier Milei en Argentine, et notamment celles défendues, juste avant l’entrée en scène de Trump lui-même, par Elon Musk.
Rappelons le bilan de Trump à l’issue de la crise du Covid-19 (1 400 000 morts, et non parmi les plus riches), son refus de continuer à apporter une aide, bien tardive, à Porto Rico après la tempête Maria, son blocage, via la Chambre des représentants et son Speaker [le président de la Chambre des représentants, Mike Johnson, ndlr], de l’accord bipartisan sur l’immigration et l’aide à l’Ukraine obtenu au Sénat, ses essais pour contrecarrer l’aide apportée aux habitants de la Caroline du Nord par l’Agence fédérale de gestion des situations d’urgence (Federal Emergency Management Agency, FEMA) à la suite de l’ouragan Hélène, etc. Son indifférence à la misère d’autrui ne relève pas de quelques supputations.
Revenons à nos supporters MAGA. Ils soutiennent par ailleurs, pour leur plus grand nombre, la dérive fasciste de leur leader : ils approuvent le recours à la violence contre les « enemies from within » à hauteur de 29 % et y voient même un acte patriotique. Et les accusations de fascisme en provenance de généraux comme Milley ou Kelly n’ont en rien réduit la dynamique électorale du camp trumpiste.
Il est tentant alors, tout en s’inspirant des propos célèbres de Bertrand Russell sur le caractère « sûrs d’eux des imbéciles », opposé à l’esprit dubitatif des « plus intelligents », de discerner dans cette forme inédite de fascisme un régime approuvé par des abrutis, débouchant sur le muselage d’une partie des élites. Ce n’est pas le point de vue que nous adopterons ici. Il nous importe plus, ici, de débusquer les mécanismes d’abrutissement à l’œuvre.
La première condition à l’abrutissement de pans entiers d’une population est la fragmentation du paysage de l’information et l’impossibilité de comparaison qui en découle. Cette fragmentation rend possible un véritable enfermement informationnel. Les réseaux sociaux et leurs algorithmes viennent encore renforcer cette clôture sémantique. Le public MAGA s’informe essentiellement sur Fox News. Point de construction d’un personnage comme Trump sans cette chaîne désormais la plus suivie. Trump était d’ailleurs une construction médiatique avant même sa première campagne présidentielle de 2016, l’émission The Celebrity Apprentice l’ayant rendu populaire.
Mais il y a plus encore, à savoir la destruction des liens que nouent langage, argumentation, connaissance et vérité. Plus fondamentalement, il s’agit de casser le langage, d’ouvrir un chemin d’identification sombre et opaque au-delà même des mots. Le premier mécanisme ad hoc est de créer un monde contrefactuel grâce aux médias et la répétition incessante de contrevérités : il y avait foule en janvier 2017, lors de la cérémonie d’intronisation de Trump, selon une vérité avouée comme « alternative » ; Trump relaie un attentat en Suède qui n’a eu lieu que dans la propagande de Fox News ; il a arrêté une guerre avec la France ; Kamala Harris n’est pas « noire » ; l’élection de 2020 lui a été volée et on tentera de lui voler celle de 2024 ; l’Amérique de Biden est à feu et à sang et le bilan économique de sa mandature est une catastrophe, etc.
Deuxième mécanisme, l’inversion systématique des valeurs : les dictateurs sont bons – à commencer par Poutine, plus fiable que ses propres services de renseignement, ou Kim Jong-il – alors que les alliés européens sont des tricheurs qu’il convient d’abandonner si besoin à l’armée russe ; Poutine n’est pas l’agresseur cynique d’un pays souverain, mais un partenaire digne de confiance ; les héros de guerre et autres victimes des conflits antérieurs sont des loosers ; un milliardaire comme lui est soucieux du sort des plus pauvres et une victime du système ; la presse est par définition mensongère et ne saurait donc rien révéler, etc.
Enfin, troisième mécanisme, l’inversion systématique des accusations et autres reproches : les démocrates trichent électoralement, Kamala Harris est fasciste, incompétente ou folle, les rallies démocrates en sa faveur sont désertés alors qu’il n’y avait que vingt mille MAGA au Madison Square Garden contre soixante-quinze mille citoyennes et citoyens à Washington DC, quelques jours après, pour Kamala Harris, etc. S’y ajoute le recours systématique à une syntaxe élémentaire – sujet, verbe, complément – et à un lexique extrêmement pauvre.
Il importe de considérer que le recours à ces mécanismes est le fait d’instances établies pour Fox News, et même officielle pour Trump, ancien et nouveau président des États-Unis. Il n’est ainsi aucune extraterritorialité possible à la vérité alternative. Même le grand nombre des évangéliques cautionnent un pédophile, ami de Jeffrey Epstein. Nous sommes loin de Clinton et de l’affaire Monica Lewinsky.
Trump est aux yeux de ses partisans le référent ultime. Il n’est de vérité que partisane, que communautaire. Rappelons que, même dans un cadre scientifique classique, la validité des expériences et de leurs résultats en passe par la reconnaissance d’une communauté épistémique. La vérité est ainsi ce que Trump dit et ce que les MAGA ipso facto croient. Il n’est plus aucun référent à proprement parler possible, plus aucune possibilité d’échapper au nous forgé par le leader contre ses ennemis. Leader auquel les partisans ont soudé leurs jugements et leur destin.
La communauté des MAGA, sous inspiration et domination de Trump, interdit toute sortie de la trappe, toute échappée vers un réel transcendant. L’opposition aux ennemis politiques dissout jusqu’à l’idée de communauté nationale sous-jacente, jusqu’à l’idée d’un ordre et d’objectifs constitutionnels que l’on pourrait communément respecter avec la partie adverse. Le processus oppositionnel d’adversité politique s’emballe et devient à lui-même sa propre fin, quitte à détruire la nation, à la grande satisfaction du leader populiste.
Mais cette démolition du langage et de la logique politique classique n’est que la condition d’une communication infralinguistique, celle que Trump exerce sur son auditoire et les supporters MAGA en général. Il instille manifestement une haine croissante au sein de ses troupes à force d’insultes, de calomnies concernant ses adversaires, de mensonges systématiques et récurrents, d’expressions haineuses et même d’appels directs à la haine, voire au poteau d’exécution comme à l’encontre de Liz Cheney. À tel point que les élections de 2024 doivent avoir lieu sous la protection de tireurs d’élite postés sur des toits face à quelques bureaux de vote ! Et ce parce qu’un seul homme proclame depuis quatre ans que l’élection de 2020 lui a été volée.
Le décollage du réel permet de donner libre cours aux passions haineuses au-delà de toute espèce de raison. Tout se passe un peu comme si Trump entrait directement en communication avec l’inconscient de ses supporters, comme s’il pouvait attiser des passions indépendamment de tout objet, de toute raison un tant soit peu objective. Tel est son charisme, et il me semble qu’il n’y ait eu guère qu’Hitler qui fut doté d’un tel levier sur la haine et les pulsions de mort de tout un peuple.
On peut gloser sur les capacités intellectuelles de Trump, sur la maîtrise qu’il exerce ou non sur son propre pouvoir de fascination, tel n’est pas le sujet. Qu’il apparaisse bizarre, weird selon l’expression de Tim Walz, ne constitue pas une critique, mais n’est qu’un corollaire de l’emprise qu’il exerce. Les absurdités qu’il peut énoncer – de l’épisode de l’eau de Javel durant la crise du Covid-19 aux migrants dévorant chats et chiens jusqu’à Kamala Harris coupable de faire disparaître les vaches – ne sont que des marqueurs d’un discours hors normes et raisons.
En revanche, il importe de remarquer à quel point le fascisme de Trump peut être différent des fascismes du XXe siècle. Le nazisme avait cherché, comme n’a cessé de le montrer l’historien Johann Chapoutot, à agréger toutes sortes d’éléments propres à la culture occidentale – mentionnons le colonialisme, le darwinisme social, la hiérarchie des races, la fascination pour la puissance des techniques, la révérence pour la connaissance scientifique, fût-elle massivement détournée, le culte de la richesse matérielle et de la puissance économique, etc. – dans un racialisme jusqu’au-boutiste. Ce dernier magnifiait la figure de l’homme nordique de race pure. Il n’en reste pas moins vrai qu’il offrait une Weltanschauung très « cohérente », puisant dans le patrimoine culturel occidental et parvenant même à reprendre, en le détournant, le messianisme occidental, d’origine chrétienne mais laïcisé avec succès par la veine marxiste et communiste[1]. La même remarque pourrait être adressée au totalitarisme d’inspiration marxiste-léniniste.
Rien de tel dans le trumpisme, qui ne constitue pas une idéologie à proprement parler. Au contraire, la destruction des sciences, qu’il s’agisse de celle du climat comme de la biologie et des vaccins, fait au contraire partie du programme. La destruction de la fonction protectrice du droit est aussi au programme comme suffirait à le monter l’immunité préventive qui lui a été accordée touchant l’exercice de la fonction présidentielle par la Cour suprême ou l’intention de nommer la juge Cannon Attorney General [c’est-à-dire procureure générale, en charge du département de la Justice et membre du cabinet du président des États-Unis, ndlr] pour la remercier de son refus d’un véritable examen de l’affaire des documents présidentiels secrets illégalement détenus à Mar-a-Lago. Toutes caractéristiques inséparables de la post-vérité.
Cette figure du fascisme s’apparente plus à une gangrène mafieuse qu’à un quelconque projet doctrinal, où argent et pouvoir semblent les seuls moteurs, comme en roue idéologiquement libre. Notons que toutes les figures mondiales du populisme ont été mafieuses ou ont noué des liens avec des mafias : Poutine, Modi, Erdoğan, Orbán, etc. La morale familiale est parfois invoquée, comme une sorte de paravent pour abrutis plus ou moins religieusement inspirés.
Il me semble toutefois que, pour comprendre la possibilité d’un phénomène comme le trumpisme, il convient de rappeler les analyses de Thomas Frank. Et c’est en repartant de ce type d’analyses que nous pourrons nous tourner vers la situation hexagonale.
Ce dernier avait montré, il y a vingt ans, que la donne politique américaine tournait la page de l’organisation du débat politique autour des questions sociales et de répartition de la richesse. Frank montre comment l’héritage du New Deal rooseveltien s’est peu à peu effacé au bénéfice de la mise en avant des questions morales comme celle de l’avortement. S’y est ajoutée, avec Trump, la question migratoire, mais avec une lecture morale du migrant souillant le sang américain, porteur de fentanyl, etc. Et à ce propos, il n’est pas pertinent d’accuser exclusivement les démocrates et de pointer leur indifférence à la question sociale, car la désindustrialisation et la ruine de la Rust Belt et des classes populaires qui en a découlé ont été plutôt le produit de la politique des républicains, élus par ces mêmes couches populaires.
Revenons au caractère moral de la culture politique qui a remplacé la grille antérieure, sociale et en termes de répartition de la richesse. Frank insiste sur les caractéristiques d’humilité, de piété, de loyauté, de modestie au travail et, pour tout dire, d’authenticité (p. 33-46) mises en valeur par le discours républicain et endossées par les électrices et électeurs. Ils les endossent parce qu’ils sont convaincus, désormais, que la politique est incapable de changer le monde. Un demi-siècle d’inégalités croissantes les en a persuadés. Les enthousiasmes électoraux démocrates antérieurs, celui pour Obama par exemple, n’ont en rien affecté cette nouvelle donne. Et Fox News ne cesse de leur asséner le spectacle « d’un monde en ruines » (p. 343) qu’il est illusoire de vouloir changer. Le monde est rude et cruel, la seule élévation encore possible est d’ordre moral et relève de la vertu. La morale ordonne de ne pas se conduire en « parasite »[2].
Trump a donné un tour paradoxal à cette moralisation de la société et de la politique. Il a permis un changement d’accent notable : c’est le réalisme déceptif qui l’a emporté et la valorisation de la force qui en découle. D’où la valorisation de la violence, d’où le fait qu’il ne perdrait, à ses dires, aucun électeur même s’il assassinait un passant sur la cinquième avenue à New York. Un de ses supporter MAGA déclare à un journaliste que « Trump est sincère même s’il ment » ! Le paradoxe n’est qu’apparent car tout chez Trump fleure la grossièreté et la brutalité, aussi bien face au genre féminin qu’au genre humain en général. Dans de telles hypocrisies, il ne se doit de feindre aucun comportement et peut simplement s’étaler avec une absence absolue d’empathie. Rien à voir avec les promesses des libéraux, de la gauche du point de vue nord-américain, qui ne sont, pour autant qu’elles soient un tant soit peu fortes, jamais honorées.
Point de Trump sans cette moralisation préalable du politique, sans l’enfouissement des questions de répartition sociale de la richesse. État de choses qui implique une relative indifférence au programme proposé aux suffrages, très labile en ce qui concerne Trump. Les élections ne visent pas alors à exprimer l’assentiment populaire à un programme, mais l’identification des électrices et électeurs au leader populiste, une forme de proximité fantasmée entre l’un et les autres. Une identification qui donne sens et leur permet de feindre de croire qu’ils sont du côté des forts et non des migrants. Remarquons au passage que le primat de l’identification, certes contradictoire, valait pour l’électorat de Kamala Harris : amour et générosité, confiance en l’avenir versus haine, violence et destructivité tous azimuts.
La France et l’estompement de l’imaginaire socialiste
Une révolution culturelle analogue a eu lieu en Europe. Concentrons-nous sur la France. Tout se passe comme si, un demi-siècle après les Trente glorieuses, l’imaginaire et l’espérance socialistes avaient quasiment disparu. Qui croit encore au paradis socialiste d’antan ? Les pesanteurs de l’histoire du XXe siècle sont passées par là.
En outre, la donne contemporaine ne nourrit pas non plus quelque attente de rédemption sociale, de mutation fondamentale des rapports sociaux. Alors même que les retraites et les salaires de la fonction publique française sont payés chaque mois par une épargne provenant des riches de pays plus pauvres, alors même que nos biens et le plus souvent nos aliments viennent de contrées lointaines, qu’une violence sourde suinte de certains quartiers, que le dérèglement climatique menace l’ordre social (comme les pillages et le chaos après les pluies torrentielles de Valence), alors même que chaque repas nécessite une chaîne extrêmement complexe de collaborations etc., il est oiseux de rêver du grand soir, de pouvoir subvertir un écheveau de dominations quasi-infinies, sans précipiter un chaos indescriptible et meurtrier.
Nous avons tous et toutes compris, après des décennies de déceptions, que les instruments politiques ne disposent que d’une efficacité partielle quant aux changements souhaitables. D’où le caractère désormais insupportable de l’hypocrisie politique, de l’attitude qui consiste à soutenir le discours des espérances d’antan tout en mettant en œuvre les politiques standards des économies au sein d’un marché global. Le cas typique étant la présidence Hollande, entamée avec la promesse du combat contre la finance, s’écrasant in fine sur le mur de la loi Travail et de la répression policière.
La présidence Macron a poursuivi le travail de sape en démonétisant comme jamais la parole politique par un découplage constant du discours présidentiel de l’action du gouvernement. Le Front de gauche puis La France insoumise ont quant à eux cherché à sauver une part de l’héritage de la gauche. Nous y reviendrons. Horrible époque où les espérances sont devenues rances alors même que le spectre fasciste resurgit. Horrible époque où le système économique échappe en grande partie aux leviers politiques nationaux, à la capacité d’une société d’agir sur elle-même.
Les analyses de Benoît Coquard[3], mais aussi celles de Violaine Girard ou Félicien Faury sur d’autres terrains, permettent de comprendre l’émergence d’une nouvelle culture politique populaire qui a résolument tourné le dos à l’imaginaire socialiste d’autrefois, une culture propice au Rassemblement national. Il s’agit bien d’une culture populaire spécifique (p. 36 et 173), fortement présente dans les zones rurales plutôt désertées par les anciennes industries.
Culture doit ici d’abord s’entendre au sens d’un style de vie partagé, plutôt par petits groupes aux individus soudés, ouvriers et employés, petits patrons également, sans identification de classe à proprement parler, et fortement genré avec des rôles et des manières d’être qui varient d’un sexe à l’autre (p. 26, 44 et suivantes et 176). La nostalgie pour les Trente glorieuses et pour la vie de la génération précédente y est sensible. Le capital économique y est de loin plus important que le capital culturel, cela étant toutefois moins vrai pour les femmes (p. 76-77). On y pratique, pour les hommes, le football, la chasse et le motocross (p. 181). L’importance de la culture et de la réussite scolaires sont déniées (p. 48, 88 et suivantes et 173). On y regarde intensément la télévision et les jeux vidéo y sont importants (p. 109 et suivantes). Les valeurs revendiquées sont la solidarité, la fierté et l’humilité (p. 176). On fait preuve du souci de sa réputation, mais, en revanche, utiliser les biens de l’entreprise (p. 33) à son usage personnel ne pose aucun problème. La vie est dure, il convient de se débrouiller.
On comprendra dès lors l’absence totale d’effet d’un procès comme celui contre le Rassemblement national et son détournement des fonds du Parlement européen. Les leaders du RN suscitent un sentiment d’identification ; l’idée qu’ils soient « comme nous » s’est peu ou prou imposée. On y fustige les migrants, ceux qui profitent (p. 11), et le slogan Les Français d’abord (p. 196 et 209) y rencontre un franc succès. Les questions écologiques n’y ont aucune place. Le désir politique d’hommes forts est puissant. On revendique une lucidité sociale et un « réalisme amical », de « ne pas être bisounours » (p. 178, 179 et 195), « on ne nous la fait pas » (p. 190). Être à gauche est en revanche une preuve de naïveté, voire une manifestation de fainéantise (p. 185). La société apparaît comme un jeu à somme nulle et la croissance, une illusion du passé. La dureté des rapports sociaux est évidente et il importe avant toute chose de ne pas être en bas de l’échelle, en situation de migrant ou de cassos.
Dans un tel contexte, je doute grandement de la tentative de renaissance des forces de gauche, à la hauteur requise (majoritaire), initiée par LFI d’abord, puis avec les alliances successives de la NUPES et du NFP. Ce dernier, bien qu’arrivé en tête des formations déclarées aux dernières législatives, n’en a pas moins fait un score faible pour la gauche unie au regard des résultats d’avant l’échec de la gauche hollandienne. LFI est un mouvement vertical, suspendu à la parole de Mélenchon, lequel l’entraîne dans des prises de position internationales baroques, quand elles ne sont pas écœurantes, à la remorque de dictatures ignobles.
On ne refonde pas non plus la gauche en focalisant sur la seule cause palestinienne tout une campagne électorale décisive, où il en allait de l’avenir de ce qui reste de la démocratie française, et ce dans un contexte d’appauvrissement général. Qui ne s’indigne pas de l’écrasement, d’une brutalité inouïe, de Gaza et des Gazaouis est dépourvu de tout sens de la justice, fût-ce minimaliste. Mais qui ne s’indigne que de Gaza en passant par pertes et profits les autres écrasements populaires – de l’Ukraine aux Ouïghours, en passant par la Syrie, le Soudan, l’Iran, etc. –, dispose d’un sens non moins atrophié de la justice. C’est une stratégie électorale mortifère, qui séduit certaines populations en s’aliénant le plus grand nombre, d’autant qu’elle s’accompagne de l’association à la mouvance islamiste, revendiquant une forme religieuse de fascisme, par Hamas interposé ou non. On ne peut sur ce plan que suivre les critiques de François Ruffin et sa volonté de toucher l’ensemble des classes populaires[4].
En outre, il n’est de refondation de la gauche qu’à la faveur d’un projet de reconstruction de la nation, et ce dans un cadre européen. Un tel projet impose aussi de s’adresser à ses adversaires, et c’est là la limite de la dynamique de la lutte des classes : plus question aujourd’hui de fantasmer la disparition, fût-ce dans les camps, de la bourgeoisie. Dans la société de demain, il y aura des niveaux de formation et d’instruction différents, des fonctions sociales très diverses aux intérêts rarement convergents, des détenteurs de patrimoine plus ou moins important, d’autres sans patrimoine ou si peu, des concurrents, des fournisseurs, la nécessité d’importer et d’exporter, etc. Il n’est pas de projet de réforme de la société qui ne parte de cette réalité.
Beaucoup plus intéressant est, dans cette situation, un mouvement comme Les Soulèvements de la terre[5]. Non que je croie en la possibilité de subvertir par ces voies un ordre destructeur de nos conditions terriennes de vie, mais elles sont nécessaires à la vigueur morale et intellectuelle de celles et ceux qui ont compris où le mainstream nous conduit.
D’une radicalité à l’autre
Sommes-nous condamnés à la désespérance politique ? Doit-on se pendre ? Non, absolument pas. Il convient bien plutôt de s’appuyer sur le mouvement que ni nos adversaires, ni nous-mêmes ne contrôlons : celui qui conduit à l’effondrement de l’ordre présent. Il y a en effet plus global que l’économie et le marché. Ces derniers ne sont que prétendument globaux. L’authentique globalité est celle de la Terre, du dérèglement climatique, de l’effondrement de la biodiversité, de l’amenuisement de nombre des ressources essentielles à nos économies.
La Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC), signée en 1992, a assigné à ses parties, à son article 2, l’objectif suivant : « Stabiliser, conformément aux dispositions pertinentes de la Convention, les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique. » Force est, une trentaine d’années plus tard, de constater un échec patent. Nous enchaînons la seconde année à hauteur de 1,5 °C de températures moyennes au-dessus des températures préindustrielles. Les effets sont d’ores et déjà dévastateurs. Nos sociétés ont été dans l’incapacité de faire front aux difficultés écologiques qui les assaillent et semblent même sur le point de renoncer à leurs maigres efforts. Elles ne savent proposer que des solutions illusoires et opposer désormais un déni aussi obtus que croissant.
Rappelons qu’à l’échelle mondiale, les émissions continuent à croître (+ 1,3 % en 2023), que la réélection de Trump donne le signal de l’hallali sur les fossiles, et que seule une Europe qui ralentit désormais fortement son entrain climatique était parvenue à réduire un tant soit peu ses émissions. Et ce sans mentionner les autres menaces.
Je ne donnerai que deux exemples de ce mélange de technosolutionnisme et de déni : l’électromobilité et l’escapisme martien d’un Musk. Certes, un moteur électrique présente un rendement bien supérieur à celui d’un moteur thermique. Si l’on se focalise sur les seules émissions de carbone, cela apparaît comme une solution. Si ce n’est que l’électrification du seul parc britannique exigerait, à technologies constantes, plus que la production mondiale de lithium ou de cuivre[6] ! Impossible sans un changement social drastique quant à l’appropriation privée et généralisée de véhicules. Ce n’est pas le genre d’impasse dont on vous entretiendra chez votre concessionnaire, ni du côté des décideurs politiques. Par ailleurs, le goulot d’étranglement énergétique se situe aujourd’hui du côté des convertisseurs, à savoir des matériaux qui nous permettent de capter, transformer, transporter et stocker l’énergie[7].
Il semblerait par ailleurs que le soutien à Trump apporté par Musk ait à voir avec la promotion de son projet de conquête de Mars. Je rappellerai que la masse de Mars est insuffisante pour attacher à cette planète une atmosphère analogue à la nôtre[8]. Il n’est pas nécessaire d’en dire plus. L’Occident s’est longtemps gaussé des mythes des sociétés dites « primitives ». Or, nous faisons avec nos rêves de croissance verte ou de fuite en avant technologique beaucoup mieux. Et je ne sache pas que ces sociétés ne se soient jamais donné comme caciques des menteurs, violeurs, pédophiles, voleurs, psychopathes, séniles du type Trump. Nous sommes bien au bout d’une aventure de civilisation.
Que nous soyons de droite ou de gauche, face à quoi sommes-nous impuissants, ou relativement impuissants ? La condition à l’essor du capitalisme mondial après-guerre a été la production massive et à bas coût de nourriture. Ce que l’on a appelé la révolution verte. Il en a découlé, avec la baisse du budget alimentaire, la libération d’une manne financière propice au consumérisme. Sans elle, il n’eut pas été possible d’acheter un nombre croissant de biens et de services divers, ni même d’augmenter le nombre d’étudiantes et d’étudiants dans les universités. Or, je crains que nous ne soyons contraints de parcourir progressivement, à compter de l’actuelle décennie, un chemin inverse. Pourquoi ?
Nous sommes en effet entrés dans un nouveau régime climatique, notamment caractérisé par une alternance de canicules en série débouchant sur des sécheresses et des pluies torrentielles dues à une évaporation, elle-même hors norme, des mers, entraînant inondations destructrices tant des récoltes que du sol lui-même.
Quelques illustrations : la goutte froide et son déluge de pluies sur Valence, avec ses plus de deux cents morts et ses disparus, ses milliers d’hectares agricoles détruits – alors que nombre de villes côtières offrent une situation de risque analogue, entre mer et reliefs ; les étendues immenses submergées durant la tempête Boris en Europe centrale, tempête qui a lourdement affecté les cultures de tournesol et de maïs, les semis de colza et les installations de stockage, et ce dans cinq pays ; les inondations records du Pakistan en 2022, sur une étendue d’un tiers d’un pays traversé par un fleuve en furie, l’Indus, et soumis à une mousson hors norme ; la sécheresse précoce en Espagne en 2023, qui a annihilé 65 % des surfaces céréalières du pays, etc. À quoi s’ajoutent au printemps les épisodes de gel tardif ou, autre aléa météorologique, les grêlons hors norme ; la déstabilisation des écosystèmes et ses conséquences en termes de populations croissantes de ravageurs ; et même le fait que la guerre contre le vivant soit en passe d’être perdue si l’on en croit le recours à des molécules de plus en plus violentes comme le dicamba ; évoquons encore l’appauvrissement des sols et le coût croissant de la production d’intrants.
Or, la violence des événements climatiques extrêmes ne cessera de s’intensifier avec la montée des températures, et donc de l’énergie présente dans les basses couches de l’atmosphère ; elle s’ajoutera à l’épuisement sui generis du système lui-même. Produire de la nourriture est ainsi en train de devenir de plus en plus aléatoire ; l’alimentation devrait ainsi devenir plus rare et plus chère ; le retour à proche ou moyen terme des famines n’est pas exclu. Les chances de réduire ces difficultés seront d’autant moins grandes que des gouvernements populistes s’empareront du pouvoir. Il suffit de songer, par exemple, aux actions – diminution des crédits, fake news, obstruction à l’action des agents sur le terrain – des républicains nord-américains contre la FEMA, l’agence fédérale chargée de lutter contre les cyclones et de venir en aide aux sinistrés.
Autre exemple, la région de Valence, gérée par le Parti populaire et l’extrême droite, avait démantelé le service public instauré par la gauche à la faveur d’un épisode précédent de goutte froide, l’Unité valencienne de réponse aux urgences. Le président de la région, Carlos Mazón, a refusé de déclarer l’alerte 3 qui l’aurait obligé de céder le pouvoir au Premier ministre Sanchez, mais c’est ce dernier qui s’est fait caillasser. Valence est ainsi une illustration de la période dans laquelle nous entrons.
À cette situation s’ajoutent les coûts cumulés et des aléas climatiques destructeurs et de la montée du niveau des mers et d’un phénomène comme la contraction des sols argileux avec les sécheresses qui déstabilise le bâti. Nombre de villes côtières adossées à une cuvette peuvent connaître un phénomène du type goutte froide comme à Valence. Le coût d’un ouragan comme Hélène en Caroline du Nord s’élèverait à cinquante-trois milliards de dollars dont grosso modo un cinquième seront pris en charge par l’État et les assurances. Les coûts et destructions à répétition des aléas climatiques, les coûts continus, sur des décennies, pour la montée du niveau des mers, deviendront difficilement supportables et s’apparenteront aux coûts d’une guerre non moins continue, sans perspective de paix.
Enfin, la montée des températures moyennes est en passe de ruiner l’habitabilité de vastes territoires. À partir de 27 °C et jusqu’à 30 °C, la densité des populations décroît significativement et, au-delà de 30 °C, il n’y a plus personne en termes d’habitat permanent. Avec le réchauffement en cours, certaines zones intertropicales deviendront moins habitables et d’autres, inhabitables. Avec une montée de la température mondiale moyenne de 2 °C par rapport à la moyenne préindustrielle, vers le mitan du XIXe siècle, puis de 1 °C supplémentaire avant la fin du siècle – nous en sommes à 1,3 °C, entre 1,5 °C et 2 °C l’intensité des événement extrêmes double –, c’est une immense partie des terres habitées de la planète qui deviennent invivables[9]. Les terres gagnées dans les latitudes Nord, abstraction faite de tout considération politique, ne compenseront pas les surfaces perdues.
Dans Le Ministère du futur, l’écrivain américain de science-fiction Kim Stanley Robinson entame son récit par un épisode caniculaire dans une région de l’Inde entraînant le décès de vingt millions de personnes. Ajoutez à cela le phénomène de la chaleur humide : quand le taux d’humidité atteint les 40‑60 %, le mécanisme de refroidissement de la peau (et donc de la température intérieure) par l’évaporation de la sueur devient moins efficace ; ce taux peut aller jusqu’à saturation. Avec l’augmentation de la concentration de vapeur d’eau dans l’atmosphère terrestre, ce sont ainsi ces mêmes aires tropicales, au moins, qui peuvent subir des mois de chaleur humide dangereuse ou mortelle. Et il suffit d’un épisode de trois jours consécutifs de chaleur humide intense à raison de cinq heures quotidiennes – et les modèles montrent que la probabilité n’en est pas négligeable – pour entraîner une mortalité massive.
Les humains peuvent travailler de nuit, travailler et vivre à l’intérieur, mais les animaux ? et les végétaux ? En mai 2024, ce sont plusieurs centaines de singes hurleurs qui sont tombés raides morts des arbres dans une forêt tropicale côtière au sud du Mexique. Tout cela est très nouveau : on connaît les conséquences de la chaleur pour la santé humaine, beaucoup moins pour celle des animaux et des plantes.
On peut toujours, à l’instar de certains économistes, chercher à calculer le coût de ces dérèglements en termes de baisse du PIB. Tâche futile. Tout dépend en effet du caractère systémique ou non des activités touchées. S’il s’agit de la production alimentaire ou de la production d’énergie, les effets produits n’auront rien à voir avec les points de PIB concernés. Préservons ce qu’on peut préserver et préparons la reconstruction qui ne pourra qu’advenir, fût-ce dans un avenir incertain.
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Revenons au sujet de la radicalité. Il est devenu de bon ton de fustiger la radicalité des écologistes et autres défenseurs de l’environnement. En réalité, nous sommes confrontés à deux radicalités dont la première masque la seconde et interdit d’y parer. La première n’est autre que la dérive extrême droitère qui s’est récemment emparée de toutes les forces de droite en Europe comme aux États-Unis. C’est en quelque sorte la queue de la comète néolibérale et l’expression ultime de ses effets. On peut même parler de dérive fasciste en ce sens que, partout, les droits humains sont fustigés et sont vantés les régimes autoritaires. Trump, quant à lui, n’hésite pas à évoquer avec le 5 novembre de possibles ultimes élections fédérales et le recours à la force armée contre les ennemis de l’intérieur.
En revanche, la revendication de la fabrication d’un nouveau type humain, caractéristique des fascismes du XXe siècle, est absente du renouveau fasciste contemporain. La dimension guerrière également essentielle au fascisme historique est elle aussi absente, mais s’y substitue la chasse aux travailleurs migrants et l’ampleur nouvelle donnée à la guerre contre le vivant.
Rien n’interdit non plus que l’indifférence aux inégalités qui caractérise le néolibéralisme, voire la promotion d’un séparatisme des plus riches, n’évolue vers un phénomène nouveau, à savoir l’organisation de l’abandon à leur misère de populations de plus en plus étendues. C’est d’ailleurs déjà le cas pour les deux alliés de l’heure, la Russie et la Corée du Nord ; l’idée d’îles artificielles réservées à des milliardaires promue par Peter Thiel, ami de Musk, relève d’une logique semblable. Les développements de l’IA vont probablement nourrir cet imaginaire d’un séparatisme ultime, une manière de pendant pour les ultra-riches des anciens fantasmes marxistes d’annihilation de la bourgeoisie.
En revanche, ce n’est certainement pas en déniant les difficultés écologiques, en clamant que le « GIEC exagère », en refusant toute forme d’anticipation et de prévention, en supprimant les agences environnementales, les services météorologiques, les sciences du climat ou de la biodiversité, etc. que l’on parera aux dangers à venir. La dynamique en cours n’en sera qu’accélérée et le délitement du système qu’on prétend cependant préserver n’en sera que plus rapide.
Que faire ? D’autant qu’il convient d’agir en tension entre un monde dont on doit amortir l’effondrement tout en préparant une organisation alternative de la société. Contentons-nous de mentionner quelques lignes directrices aptes à nourrir un projet politique de résistance à la double donne ambiante : défendre l’État de droit pour assurer la protection contre les abus de tout pouvoir ; reconnaitre et défendre le principe de l’universalité de la dignité humaine ; défendre l’idée européenne et les intérêts de l’Europe contre les empires ; réduire fortement les inégalités – la richesse matérielle étant le facteur principal de destruction de la nature – et lutter contre le séparatisme des plus riches ; défendre l’idée selon laquelle les activités économiques ne sont qu’une composante de la vie sociale, composante qui doit être soumise à des règles concernant les autres dimensions de la société et la nature ; préserver les dispositifs de protection et de sécurité sociales ; défendre la création et la diffusion de la connaissance et l’esprit critique ; défendre la laïcité comme espace hors de toute emprise religieuse, condition à la coexistence de différentes religions ; défendre les plus vulnérables, humains et non-humains ; construire la protection et la solidarité face aux violences de la nature que nous avons provoquées ; construire les règles et les techniques nouvelles nous permettant de vivre en harmonie avec les écosystèmes et leurs composantes non-humaines ; réensauvager des écosystèmes entiers afin de remettre la biosphère et ses régulations sur leurs rails.
Quoi qu’il en soit, il convient de résister de toutes nos forces à cette contagion de la furie destructrice d’autrui et du monde que j’ai décrite dans Dévastation. La question du mal aujourd’hui (Presses universitaires de France, septembre 2024). Elle en passe toujours par le surplomb, celui dont s’autorisent en l’occurrence les autocrates et que leur reconnaissent les foules, et par un récit délégitimant l’humanité de catégories entières. À cette folie récurrente, l’Occident a ajouté l’exploitation sans bornes de toute espèce de capital naturel. Et c’est en partie pour perpétuer cette exploitation suicidaire que des forces économiques puissantes s’acharnent désormais contre l’État de droit démocratique et ses digues fragiles. Déshumaniser autrui, dénaturer la nature, tel est le mal.